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Justice des mineurs : « La pendule est devenue mon premier repère »

Publié le 17-11-2019

Source : Libération

Auteur : Anaïs Moran

Extraits :

«  Sophie Bouttier-Véron, juge des enfants, est inquiète face au manque de moyens et à la « perte de sens » de son métier.

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Sophie Bouttier-Véron, 57 ans, est l’une des dix juges pour enfants de Marseille. Outre le volet pénal et les affaires des mineurs délinquants, elle tranche quotidiennement sur des mesures de « sauvegarde des mineurs en danger ». Chargée de suivre les familles des 9e et 10e arrondissements de la ville, la magistrate compte environ 500 dossiers d’assistance éducatives en cours. Et bien qu’expérimentée et épaulée par sa greffière Allison Cornu, la juge s’interroge, harassée, sur « l’actuelle efficacité » de sa mission. Comme une majorité de professionnels du système de protection de l’enfance aujourd’hui.

« Que du papier »

Cet été, elle avait d’ailleurs publiquement partagé ses inquiétudes lors des 12e Assises nationales du secteur : « Les juges n’échappent pas à ce que j’appellerais le "malaise dans l’institution", avait-elle déclaré sur scène devant le secrétaire d’Etat chargé des mineurs en danger, Adrien Taquet. Jusqu’à présent, on parlait à chaque fois de la charge de travail, de la durée des audiences qui s’allongent, du nombre de dossiers, du manque de greffiers. C’était la plainte, c’était le constat de trop de travail. Là, pour la première fois, on parle de la perte du sens, avait-elle détaillé, largement soutenue par ses partenaires de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et du monde associatif présents à cette occasion. A quoi bon se donner tout ce mal si nos mesures ne sont pas mises en œuvre ? Les juges éprouvent un certain malaise par rapport à cette impression de ne faire que du papier. »

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Gueules d’anges

Selon la magistrate marseillaise, les mineurs étrangers isolés - ou mineurs non accompagnés (MNA) - représentent désormais environ 15 % de ses dossiers en protection de l’enfance. Et l’insuffisance criante des moyens déployés pour leur venir en aide n’est que le miroir d’une justice dépouillée. « Les difficultés budgétaires ne se limitent pas aux départements et aux associations habilités à mettre en place nos mesures. Le système judiciaire est aussi en grande souffrance, souligne-t-elle. On a l’impression d’être dans les Habits neufs de l’empereur, le conte d’Andersen. La justice s’imagine encore vêtue d’or, alors qu’elle est désormais toute nue. » De ses vingt-cinq ans d’expérience, Sophie Bouttier-Véron constate que la qualité du travail s’est atrophiée par les « petites tâches qui mangent le cerveau » et qui n’auraient pas lieu d’être si le nombre de greffiers, de secrétaires et de juges des enfants était suffisant.

La magistrate égrène : « Planifier les convocations des travailleurs sociaux, des avocats, des interprètes. S’occuper de la totalité des papiers administratifs et des mails. Aller chercher les familles perdues dans le tribunal… Ce n’est pas notre job, mais on doit le faire si on veut que les dix cabinets des juges fonctionnent convenablement. » Avant de concéder que ces nouvelles circonstances ont métamorphosé la physiologie de ses audiences : « La pendule au mur est devenue mon premier repère pour gérer les dossiers. » Otage du temps, la magistrate a donc fait des choix. Pour continuer à recevoir longuement les primofamilles et offrir à chaque enfant un temps intime sans les parents, Sophie Bouttier-Véron a décidé de ne plus convoquer les personnes pour qui le renouvellement d’une mesure d’« action éducative en milieu ouvert » (Aemo) sera accepté sans encombre. (...)  »

Voir en ligne : https://www.liberation.fr/france/20...