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Action au Parlement européen sur le sort des mineurs isolés : “Je pensais : ‘ouf, me voilà sauvé.’ Mais non”

Publié le 15-06-2022

Date de la publication : 15/06/2022
Source : Telerama
Auteur : Christine Chaumeau

« Volés, battus, exploités… Les enfants qui prennent la route de l’exil subissent de nombreuses violences. Pour alerter Bruxelles, “Shadow Game”, un documentaire qui décrit leur sort, a été projeté sur les murs du Parlement européen.

On devine l’image d’une bouche projetée sur la façade, juste au-dessus de l’entrée du Parlement européen à Bruxelles. Une phrase apparaît, comme une injonction : "Protéger les enfants". Puis des jeunes prennent la parole, dans différentes langues européennes, et interpellent : "Ils ne demandent pas grand-chose. Juste de ne pas subir de mauvais traitements. Qu’allez-vous faire à ce sujet ?", "C’est une violation évidente de leurs droits. C’est un crime", "Je pourrai être dans leur situation s’il y avait la guerre ici". Entre ces déclarations, une séquence montre un adolescent battu par des hommes en noir, masqués, et un autre pourchassé dans un terrain vague. "On nous bat, on nous refoule comme un ballon de foot."

Ce clip de trois minutes d’Olivier Crouzel a été projeté dans la nuit du 13 au 14 juin. Un dispositif imaginé par l’équipe Shadow Game, un projet documentaire et multimédia racontant le sort de mineurs isolés sur la route de l’exil en Europe. Une projection "sauvage", mais effectuée avec la complicité de plusieurs parlementaires européens. "Les preuves des violences contre les mineurs isolés dans l’espace européen ne cessent de s’accumuler. Il est temps d’agir et de trouver des solutions", s’agace Tineke Strik, députée européenne néerlandaise du groupe écologiste. Après avoir vu Shadow Game à Amsterdam, elle a invité l’équipe du film dans la capitale européenne, convaincue du rôle de ce type de dispositif. "C’est un moyen innovant, et j’espère efficace, de convaincre les décideurs politiques", dit-elle.

Au lendemain de la projection du clip nocturne à l’extérieur du Parlement, les réalisatrices de Shadow Game, Els van Driel et Eefje Blankevoort, ainsi que huit protagonistes de leur film ont été reçus par des parlementaires et des membres de la Commission européenne. L’occasion de montrer leur documentaire et de faire entendre la voix des témoins dont elles racontent l’odyssée en Europe.

Sajid Khan a ainsi quitté l’Afghanistan il y a plus de trois ans. Son père a été tué par les talibans, son frère menacé. À Bruxelles, au terme de la projection, il raconte sa traversée de l’Iran, de la Turquie. Sur la route, on lui vole ses chaussures, ses vêtements, une partie de son argent. Après des mois de marche, il atteint la Grèce. "Je pensais : ‘Ouf, me voilà sauvé, je suis en Europe.’ Mais non, les gardes-frontières m’ont refoulé à cinq reprises. Ils m’ont battu. Je n’ai reçu aucune protection."

L’Unicef estime que plus de vingt-deux mille cinq cents enfants et adolescents sont ainsi coincés aux portes de l’Union européenne. Frontex, l’agence européenne de garde-frontières, est régulièrement mise en cause dans des refoulements illégaux. "J’ai demandé de l’aide. J’ai dit que j’avais 15 ans", poursuit Sajid devant les invités. À chaque fois, le même scénario : "Les policiers grecs, roumains, croates m’ont battu, explique-t-il. J’ai dormi dans les forêts, sous les ponts. J’ai eu faim, froid. Enfin, en arrivant en Belgique en 2021, j’ai pu faire une demande d’asile. Je pensais me reposer et reprendre ma scolarité. Mais l’administration belge ne m’a pas cru quand je lui ai dit que j’étais mineur. Un trou s’est formé dans mon cœur." Sajid est alors traité comme un adulte et envoyé dans un centre de demandeurs d’asile. Il attend quatre mois, le temps que son passeport soit envoyé d’Afghanistan. "De nombreux mineurs subissent ces violences. Je porte leur voix devant vous", conclut-il.

À l’issue des rencontres, l’objectif de sensibilisation semble atteint. "C’est très dur de voir ce qui se passe à nos frontières, affirme Cornelia Ernst, députée européenne allemande du groupe de la gauche. C’est une honte pour l’Europe. Nous avons une collection de douze mille six cents témoignages sur les refoulements à la frontière, mais peu concernent les enfants. Là, nous sommes en direct, nous entendons des témoignages de première main. Ce n’est pas si fréquent." Des éléments dont elle entend se servir pour une résolution au Parlement demandant un arrêt des refoulements.

Un documentaire peut-il faire bouger les lignes ? "Nous ne sommes que des journalistes, des réalisatrices, nous rapportons les histoires, explique Eefje Blankevoort. On a constaté encore ce soir le pouvoir du cinéma. C’est aux politiques de s’emparer du sujet." Mardi, à la nuit tombée, les façades du Parlement se sont à nouveau parées des images des enfants demandant aux adultes d’agir. »


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www.telerama.fr