Source : http://www.metropolitiques.eu/
Auteur : Adeline Perrot
Dossier : Les enfants dans la ville
Extrait :
"L’ouverture récente de la zone d’attente des « mineurs isolés étrangers » de l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle révèle l’attention nouvelle portée par la politique française de retenue à la frontière à l’enfance. Adeline Perrot montre que la prise en charge des jeunes enfermés hésite en réalité entre une logique de protection de mineurs en danger et celle de la maîtrise policière des mobilités migratoires.
Ouvert en juillet 2011, à l’intérieur même de la « zone d’attente pour personnes en instance n° 3 » (ZAPI 3), l’espace clos dédié à l’enfermement des mineurs isolés étrangers a été créé dans le but de séparer les mineurs voyageant seuls de la population adulte et des mineurs accompagnés. Selon les estimations disponibles, ces mineurs (et jeunes majeurs) seraient plus de 8 000 à être accueillis sur le sol français par les services de l’État ou de l’aide sociale à l’enfance des départements. Devenus objet de préoccupation politique (Gusfield 2009) au début des années 1990 (Perrot 2015), les mineurs isolés étrangers arrivant par l’aéroport de Roissy sont chaque année des centaines à être placés temporairement en zone d’attente par les autorités françaises. Les raisons en sont la demande d’asile à la frontière, le transit ou la notification de refus d’entrée sur le territoire, faute de posséder les documents requis. Si les mineurs isolés arrivés par voie terrestre et recueillis directement sur le sol français sont considérés légalement comme des « enfants en danger », leur statut n’est pas clair en zone d’attente et la protection de l’enfance ne s’y exerce pas de fait. L’enquête ethnographique a révélé que ces enfants font l’objet d’un traitement ambivalent lié à l’investissement juridictionnel d’un lieu fixé à la frontière et tenu en marge de la ville.
Avant d’être instituée en tant que « zone d’attente » sous législation française, cette privation de liberté se réalisait sans limite de temps, dans la « zone internationale » de l’aéroport de Roissy, entre les couloirs de transit et les postes de police à la frontière. Sans relever ni de la réglementation française ni de la réglementation internationale, cette pratique administrative s’est instaurée hors de tout cadre légal, dans un espace pensé alors comme « extraterritorial ». Le changement récent réside dans l’introduction progressive du droit français et l’ouverture des pratiques de contrôle aux autorités judiciaires, à la suite des contestations de militants associatifs (Makaremi 2010). Désormais, au terme des quatre premiers jours de rétention administrative sur décision préfectorale, le juge des libertés et de la détention est investi du pouvoir légal d’autoriser le renouvellement du maintien (deux fois huit jours, soit vingt jours au maximum) ou d’y mettre fin et de procéder à la libération, en tant que garant des droits liés à la détention frontalière. Cette disposition s’applique de façon identique aux majeurs et aux mineurs.
Au fond, cette suspension de la continuité territoriale, davantage projetée que concrètement mise à l’œuvre, s’est trouvée remise en cause par nos observations. Le dispositif « zone mineurs » tend justement à atténuer la notion de retenue à la frontière au profit de la ratification du statut d’enfant « déjà » en France. Il apparaît, de ce fait, comme un cas édifiant des formes de gestion d’un lieu-frontière créant par lui-même sa propre remise en cause et celle des barrières instituées. En quoi l’aménagement et la professionnalisation de la « zone mineurs », paramétrée petite enfance, contribuent-ils à exposer et à réaliser ce rapprochement aux portes de la ville ?..."
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