Conseil d’Etat – Décision N° 386769 du 1er juillet 2015 – Compétence du juge judiciaire pour examiner le refus du conseil général d’admettre un mineur isolé étranger à l’aide sociale à l’enfance

Résumé :

Le Conseil d’Etat se prononce, dans cette décision du 1er juillet 2015, sur la juridiction compétente en cas de contestation de minorité et les dispositions du code civil et du code de l’action sociale et des familles modifiées par la loi du 14 mars 2016 réformant la protection de l’enfance.

Il considère qu’à l’issue de l’évaluation sociale réalisée par le conseil général, si celui-ci refuse de saisir l’autorité judiciaire, l’intéressé peut, conformément aux dispositions de l’article 375 du code civil, saisir directement le juge des enfants afin de bénéficier d’une mesure en assistance éducative.

Ainsi, en retenant que la seule voie de recours possible suite à un refus d’admission à l’aide sociale à l’enfance d’un conseil général est la saisine du juge des enfants, le Conseil d’Etat retient l’irrecevable du recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif contre la décision du président du conseil général de refuser de saisir l’autorité judiciaire et la demande de suspension dont ce recours peut être assorti.

« […].

4. Considérant que selon l’article L. 223-2 du code de l’action sociale et des familles : " Sauf si un enfant est confié au service par décision judiciaire ou s’il s’agit de prestations en espèces, aucune décision sur le principe ou les modalités de l’admission dans le service de l’aide sociale à l’enfance ne peut être prise sans l’accord écrit des représentants légaux ou du représentant légal du mineur ou du bénéficiaire lui-même s’il est mineur émancipé. / En cas d’urgence et lorsque le représentant légal du mineur est dans l’impossibilité de donner son accord, l’enfant est recueilli provisoirement par le service qui en avise immédiatement le procureur de la République. / (...) / Si, dans le cas prévu au deuxième alinéa du présent article, l’enfant n’a pas pu être remis à sa famille ou le représentant légal n’a pas pu ou a refusé de donner son accord dans un délai de cinq jours, le service saisit également l’autorité judiciaire en vue de l’application de l’article 375-5 du code civil (...) " ; qu’aux termes de l’article 375 du code civil : " Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public (...) " ; qu’aux termes de l’article 375-3 du même code : " Si la protection de l’enfant l’exige, le juge des enfants peut décider de le confier : (...) 3° A un service départemental de l’aide sociale à l’enfance (...) " ; que selon l’article 375-1 du même code : " Le juge des enfants est compétent, à charge d’appel, pour tout ce qui concerne l’assistance éducative (...) " ; que l’article 375-5 dispose que : " A titre provisoire mais à charge d’appel, le juge peut, pendant l’instance, soit ordonner la remise provisoire du mineur à un centre d’accueil ou d’observation, soit prendre l’une des mesures prévues aux articles 375-3 et 375-4. / En cas d’urgence, le procureur de la République du lieu où le mineur a été trouvé a le même pouvoir, à charge de saisir dans les huit jours le juge compétent, qui maintiendra, modifiera ou rapportera la mesure (...) " ;

5. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que lorsqu’il est saisi par un mineur d’une demande d’admission à l’aide sociale à l’enfance et que le ou les représentants légaux de celui-ci ne sont pas en mesure, notamment en raison de leur éloignement géographique, de donner leur accord à cette admission, le président du conseil général peut seulement, au-delà de la période d’accueil provisoire de cinq jours prévue par l’article L. 223-2 du code de l’action sociale et des familles, décider de saisir l’autorité judiciaire, mais ne peut en aucun cas décider d’admettre le mineur à l’aide sociale à l’enfance sans que l’autorité judiciaire ne l’ait ordonné ; que si le président du conseil général refuse de saisir l’autorité judiciaire, notamment lorsqu’il estime que le jeune a atteint la majorité, celui-ci peut saisir le juge des enfants en application de l’article 375 du code civil ; que l’existence de cette voie de recours, par laquelle un mineur peut obtenir du juge qu’il ordonne son admission à l’aide sociale à l’enfance, y compris à titre provisoire pendant l’instance, sans que son incapacité à agir en justice ne puisse lui être opposée, rend irrecevable le recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif contre la décision du président du conseil général de refuser de saisir l’autorité judiciaire et la demande de suspension dont ce recours peut être assorti ;

6. Considérant que, saisi d’une demande d’admission à l’aide sociale présentée par MmeA..., qui indiquait être née le 1er juin 1999 à Kinshasa et ne pas avoir de famille en France, le président du conseil général du Nord, par une décision du 31 octobre 2014, a refusé de saisir l’autorité judiciaire de sa situation, en contestant tant sa minorité que son isolement ; qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que l’existence de la voie de recours dont l’intéressée disposait devant le juge des enfants s’opposait à ce qu’elle forme devant le tribunal administratif un recours tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision de refus du président du conseil général et en demande la suspension au juge des référés ; que, par suite, la demande présentée par Mme A...sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative doit être rejetée ;

[…]. »

Décision en format pdf ci-dessous :

Conseil d’Etat – Arrêt N° 386769 du 1er juillet 2015
Retour en haut de page