Traite des êtres humains, esclavage moderne : femmes et mineur-e-s, premières victimes

Source : www.senat.fr

Auteurs : Rapport d’information n° 448 (2015-2016) de Mmes Corinne BOUCHOUX, Hélène CONWAY-MOURET, Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, Brigitte GONTHIER-MAURIN, Chantal JOUANNO et Mireille JOUVE, fait au nom de la délégation aux droits des femmes, déposé le 9 mars 2016

Sommaire :

AVANT-PROPOS

I. LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS : UNE VIOLENCE DONT LES FEMMES SONT LES PRINCIPALES VICTIMES

A. LES MUTATIONS RÉCENTES DE LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS
1. De la « traite des blanches » à l’« esclavage moderne »
a) Traite des êtres humains, esclavage et réseaux criminels : une histoire ancienne
b) Les nouveaux visages de la traite des êtres humains : l’« esclavage moderne »
2. L’ampleur inégalée des réseaux de criminalité organisée, l’action de groupes comme Boko Haram et Daech : une barbarie sans précédent

B. UNE PRISE DE CONSCIENCE PROGRESSIVE TRADUITE PAR UN ARSENAL JURIDIQUE COMPLET
1. Un arsenal juridique international diversifié
a) Le protocole de Palerme des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes (2000)
b) La Convention du Conseil de l’Europe contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005, dite Convention de Varsovie
c) La directive européenne 2011/36/UE relative à la prévention de la traite des êtres humains
d) Le Protocole de la convention de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur le travail forcé
2. Un arsenal juridique national récemment renforcé
a) Le code pénal et la procédure pénale
(1) Une définition de la traite des êtres humains à compléter
(2) Une gradation des sanctions pénales applicables en cas de traite des êtres humains
(3) L’accueil sécurisant et la question de l’hébergement
b) Les droits sociaux des victimes
c) Une protection accrue en matière d’entrée et de séjour pour les victimes de la traite
d) La proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées

II. LA LUTTE CONTRE LA TRAITE : UNE POLITIQUE PUBLIQUE RÉCENTE, DONT LE PILOTAGE EST ENCORE PERFECTIBLE

A. DES ACTEURS NOMBREUX AU SERVICE DU PREMIER PLAN NATIONAL DE LUTTE CONTRE LA TRAITE
1. Une mission aux compétences très larges et aux moyens limités
2. Le Plan d’action national contre la traite des êtres humains (2014-2016) : la lutte contre la traite, véritable politique publique
3. Une mise en œuvre encore partielle du plan
4. Les associations, des partenaires indispensables de la lutte contre la traite des êtres humains
a) Une expertise incontournable et décisive pour l’identification et l’accompagnement des victimes de la traite
b) Des moyens à renforcer afin de ne pas entraver la capacité d’action des associations dans la durée
5. L’action internationale de la France
a) Une approche globale
b) Des zones d’action prioritaires : Afrique de l’ouest et Europe du sud-est
c) Deux points de vigilance

B. DES AMÉLIORATIONS POSSIBLES
1. Un recours encore trop rare à la qualification de traite des êtres humains au regard de l’ampleur du phénomène
2. Une formation toujours insuffisante des différents professionnels susceptibles d’être en contact avec des victimes de la traite
3. L’absence d’outils adaptés au cas des mineurs victimes de la traite, malgré une réelle prise en compte de cette problématique

Extraits :

« « Dispositifs de l’Aide sociale à l’enfance saturés, difficultés de scolarisation, non-respect de la présomption de minorité, risques encourus... de nombreuses difficultés viennent entraver la prise en charge des mineurs victimes de traite75(*) » : la question de la prise en charge des mineurs victimes de traite des êtres humains est l’une des problématiques recueillant à l’heure actuelle le plus grand nombre de critiques des associations. Celles-ci dénoncent :

  • l’accès insuffisant des mineurs à l’assistance d’un tuteur ou d’un administrateur ad hoc, contrairement à ce que recommandent les directives européennes76(*) ;
  • le manque d’accueil sécurisant pour les mineurs victimes de traite en France, sur le modèle du réseau Ac.Sé (accueil sécurisant) pour les victimes majeures ;
  • l’inadaptation du système de l’aide sociale à l’enfance (ASE) à la problématique spécifique de la traite ;
  • le manque de formation des professionnels sur l’emprise des mineurs (cf. supra) ;
  • la difficulté à identifier les victimes et à prouver leur minorité ;
  • l’absence d’office spécialisé en matière d’exploitation des mineurs (la brigade de protection des mineurs (BPM) aide le Parquet de Paris alors qu’elle est déjà surchargée).

Par exemple, au cours de la table ronde du 14 janvier 2016, Bénédicte Lavaud-Legendre, chargée de recherche au CNRS, a souligné que seuls les mineurs victimes de traite dont les auteurs sont impliqués dans des procédures pénales sont protégés. Cela paraît insuffisant : les mineurs devraient en effet être protégés de manière inconditionnelle. Or, force est de constater que le système de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) n’atteint pas son but pour les mineurs victimes de la traite, lorsqu’il n’y a pas de procédure pénale parallèle.

En ce qui concerne la question de l’emprise, les associations ont souligné que les mineurs ne se considèrent généralement pas comme des victimes. Au contraire, ils adhèrent, semble-t-il, au système d’exploitation. Dès lors, il convient avant toute chose de les aider à prendre conscience du caractère illégal et inhumain de leur situation, en leur proposant un système alternatif de références et de valeurs.

L’insuffisance du système de protection des victimes mineures de la traite des êtres humains est d’autant plus incompréhensible que, en matière d’exploitation sexuelle, on constate un abaissement préoccupant de l’âge des victimes. Les associations dénoncent un manque d’outillage patent sur cette question. En effet, actuellement, les mineurs relèvent de l’autorité des conseils départementaux, qui n’ont pas les capacités matérielles de prendre en charge les victimes et dont les personnels ne sont pas formés à ce type d’accueil.

Pour votre co-rapporteure Corinne Bouchoux, les insuffisances dans la prise en charge des mineurs victimes de la traite des êtres humains ne sont pas sans rappeler les défaillances constatées au niveau de l’assistance et du secours apportés aux enfants victimes d’abus sexuels, ce qui appelle donc une vigilance particulière.

L’association ECPAT France, entendue par votre délégation au cours de la table ronde du 14 janvier 2016, a particulièrement souligné l’importance que revêt la désignation de tuteurs pour les mineurs victimes de traite, notamment lorsqu’il s’agit de mineurs étrangers isolés ou lorsque l’environnement familial est lui-même impliqué dans les faits de traite.

En effet, une victime mineure se trouve souvent dans l’incapacité juridique d’agir. Si on lui refuse une prise en charge, elle devra se présenter à un juge pour contester la décision. Or, sans représentant, aucun soutien ne lui sera accordé. Par ailleurs, pour ces mineurs sous emprise, il est essentiel de tisser des liens de confiance pour les sortir du système de traite. Le fait d’avoir un accompagnant unique, pérenne et présent tout au long de la procédure peut réellement faire la différence et améliorer considérablement l’efficacité de la prise en charge.

Au regard de ces lacunes, la délégation recommande la désignation d’un tuteur77(*) formé à la question de la traite, pour les mineur-e-s isolé-e-s étrangers et pour les mineur-e-s en danger dans leur milieu familial, victimes ou potentiellement victimes de traite. Une recommandation sera formulée en ce sens.

En outre, sur le modèle du réseau Ac.Sé existant pour les victimes majeures, il paraît indispensable de mobiliser des structures de protection de l’enfance sur tout le territoire de manière à y orienter de jeunes victimes qui seraient mieux protégées par un éloignement géographique de leur lieu d’exploitation.

Dans le cadre de la mise en oeuvre du Plan d’action national contre la traite des êtres humains, la MIPROF travaille avec l’ECPAT, l’association Hors la Rue78(*) et le collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains » sur l’expérimentation, à Paris, d’une protection adaptée aux mineurs, à travers une plate-forme d’accueil et d’orientation à leur intention. Une convention rassemblant un grand nombre d’acteurs (associations, parquet, ASE) doit ainsi être signée début 2016.

Elle prévoit des mesures de protection basées sur l’éloignement géographique, actuellement prévu uniquement pour les victimes majeures, et sur la formation des éducateurs qui reçoivent les mineurs dans les centres, avec un financement pour cinq mineurs dans un premier temps.

Si cette expérimentation fonctionne, le dispositif sera étendu à l’ensemble du territoire, ce qui constituerait une réelle avancée. Comme le souligne Bénédicte Lavaud-Legendre dans un article récent, « la directive de l’Union européenne consacre quatre articles sur vingt-cinq à la protection des mineurs (...) On identifie en effet des phénomènes de répétition pouvant conduire des victimes à être exploitées sous plusieurs formes différentes au cours de leur vie ou à l’inverse à devenir auteurs après avoir été victimes. Dans ce contexte, tout doit être mis en oeuvre pour rompre ce phénomène de spirale en développant des dispositifs d’accompagnement adapté à ces jeunes79(*) ».

La délégation soutient avec intérêt cette expérimentation qui « fait entrer ces mineurs dans le droit commun de la protection de l’enfance, tout en leur assurant un accompagnement spécialisé, ce qui favorisera leur réintégration sociale »80(*). Elle souhaite sa généralisation sur l’ensemble du territoire si elle s’avère concluante. Une recommandation sera formulée en ce sens.

Néanmoins, une telle évolution requiert un financement qui semble aujourd’hui insuffisant (cf. infra). »
4. Le traitement des victimes sur le territoire national : un effort de cohérence à encourager
5. La nécessité d’une sensibilisation systématique du grand public, à travers le lancement d’une campagne d’information
6. Un aspect essentiel à améliorer : la connaissance statistique du phénomène de la traite
a) Les différents offices
(1) L’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH)
(2) L’Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI)
b) Des outils statistiques à perfectionner
7. L’exemple britannique : une source d’inspiration possible pour la France ?
a) Une étape législative essentielle en 2015
b) Une action européenne portée par la Fondation pour la lutte contre la traite des êtres humains

III. LA CRISE DES MIGRANTS ET SES CONSÉQUENCES POSSIBLES SUR LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS

A. DEUX PHÉNOMÈNES JURIDIQUEMENT DISTINCTS
1. Traite des êtres humains et trafic illicite de migrants
2. La porosité entre les deux notions ne peut être ignorée

B. UNE CRAINTE : LE RISQUE D’EXPLOITATION DE MIGRANTS VULNÉRABLES
1. Calais : un enfer pour des migrants en situation d’extrême fragilité
a) Une « jungle » qui porte bien son nom : des conditions de vie infra-humaines
b) La situation des femmes et des jeunes filles
c) La traite des êtres humains : une réalité dans les camps

2. Vers une amplification du phénomène de la traite ?
3. Les difficultés d’identification des victimes de la traite dans une situation exceptionnelle

C. LA NÉCESSITÉ D’UNE VIGILANCE ACCRUE, SANS CRÉER D’EFFET D’AUBAINE POUR LES RÉSEAUX
1. Titres de séjour : la difficile question de l’optimisation de la protection des victimes
2. L’indispensable coordination des acteurs pour une instruction plus rapide des demandes d’admission des victimes de traite

IV. LES 21 RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION

A. POUR AMÉLIORER LA GOUVERNANCE DE LA LUTTE CONTRE LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS

« Extraits :
Recommandation n° 5. - La délégation recommande la désignation d’un tuteur formé à la question de la traite des êtres humains, pour les mineur-e-s isolé-e-s étrangers et pour les mineur-e-s en danger dans leur milieu familial, victimes ou potentiellement victimes de la traite.

Recommandation n° 6. - La délégation soutient avec intérêt l’expérimentation d’accueil sécurisant pour les mineur-e-s en cours à Paris, et souhaite sa généralisation sur l’ensemble du territoire si elle s’avère concluante. »

B. POUR COMPLÉTER LE CADRE JURIDIQUE NATIONAL

C. POUR GARANTIR LES MOYENS BUDGÉTAIRES ET HUMAINS DE LA LUTTTE CONTRE LA TRAITE

D. POUR QUE LA DIPLOMATIE ET L’ACTION INTERNATIONALE DE LA FRANCE CONTRIBUENT ENCORE DAVANTAGE À LA LUTTE CONTRE LA TRAITE

E. POUR RENFORCER LA FORMATION DES ACTEURS DE LA LUTTE CONTRE LA TRAITE ET LA SENSIBILISATION DU GRAND PUBLIC

EXAMEN EN DÉLÉGATION
ANNEXES

Rapport disponible sous format pdf ci-dessous :

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