Les mineurs disparus d’Europol

Source : www.gisti.org

« Fin janvier 2016, plusieurs articles de presse ont évoqué les disparitions d’enfants migrants : « Plus de 10 000 enfants migrants disparus depuis deux ans », « L’inquiétante disparition d’au moins 10 000 enfants migrants en Europe », « Comment 10 000 enfants réfugiés peuvent disparaître des radars », a-t-on pu, par exemple, lire sur les sites respectifs de Libération, de RFI ou de l’Obs. La source de ces articles ? Les déclarations d’un responsable d’Europol, l’agence policière européenne, dans l’hebdomadaire britannique The Observer précisant que ce chiffre concerne les enfants dont la trace a été perdue après leur enregistrement auprès des autorités européennes sur les dix-huit à vingt derniers mois. Une grande partie d’entre eux serait des mineurs isolés et environ la moitié serait passée par l’Italie.

5 000 enfants disparus en Italie, 1 000 autres en Suède, les chiffres sont d’autant plus effrayants que le responsable d’Europol fait état de risques d’exploitation par des réseaux criminels. En reprenant cette information, la presse évoque pêle-mêle la traite des êtres humains, les réseaux de proxénétisme ou de servitudes domestiques, les trafics d’organes ! Discours aussi alarmant que peu documenté en termes de sources et de chiffres fiables. Cette dramatisation un peu forcée finit par masquer une autre réalité, dont toutes les autorités européennes, Europol compris, devraient se sentir responsables : celle qui conduit l’ensemble des pays européens à refuser d’accueillir et de protéger convenablement ces mineurs accompagnés ou non d’adultes.

Pour retrouver trace d’une partie de ces mineurs « disparu   », il suffit de se rendre à l’Adjie (accompagnement et défense des jeunes isolés), une petite permanence interassociative située à Paris. Beaucoup des adolescents qui s’y pressent chaque semaine sont de jeunes Africains qui ont effectivement traversé un ou plusieurs pays européens, dont l’Italie le plus souvent, avant d’arriver en France. Il s’agit quasi exclusivement de jeunes garçons, âgés de quinze à dix-sept ans. La plupart confirment avoir été enregistrés d’une manière ou d’une autre au cours de leur voyage par une ONG, la police ou un service qu’ils n’ont pas vraiment identifié. Nul doute que nombre d’entre eux ont été ensuite déclarés «  disparus  » par ces mêmes services ou organisations. Parmi les jeunes de l’Adjie, aucune victime de traite des êtres humains, de trafic d’organes ou encore d’activités liées au commerce du sexe. Mais tous témoignent en revanche des épreuves qu’ils ont dû subir pour arriver en France : voyage éprouvant à travers le continent africain, souvent entrecoupé de petits boulots pour financer la prochaine étape, traversée terrifiante de la Méditerranée, puis souvent l’errance et la débrouille dans les rues de villes européennes. Pour ces jeunes, l’urgence est de trouver un toit, de la nourriture et d’être scolarisés au plus vite, une urgence aussi importante à leurs yeux que les deux premières. Certains viennent d’arriver en région parisienne et sont dans l’attente d’un premier rendez-vous avec les services sociaux du département. D’autres, les plus nombreux, ont déjà fait l’objet d’un refus de protection de la part des services de protection de l’enfance, du juge des enfants, voire d’une cour d’appel. Incapables de présenter des documents d’identité ou accusés d’en fournir de faux, leur minorité est remise en cause et, avec elle, c’est toute leur histoire qui est niée.

Combien de jeunes ont demandé protection en France ? Combien de situations évaluées par les départements ? Combien de refus de prise en charge ? Personne ne sait vraiment. Il semble plus facile d’évoquer le chiffre des « disparus » - la faute à pas de chance - que celui des jeunes qui ont fait l’objet d’un refus de protection par un service de l’aide sociale à l’enfance ou un juge des enfants. Ce que l’on sait, c’est qu’au moins la moitié, peut être plus, des 10 000 mineurs isolés qui demandent chaque année protection à la France se font éconduire dans ces conditions. Ces chiffres sont aussi approximatifs que ceux d’Europol puisque qu’aucune donnée fiable n’existe vraiment dans ce domaine.

Parmi ceux qui finissent tout de même par obtenir une mesure de protection, beaucoup doivent se contenter d’un hébergement dans un hôtel minable, avec un rendez-vous par semaine pour récupérer les tickets restaurant distribués par l’aide sociale à l’enfance. Certains seront scolarisés, d’autres pas. Les moins bien lotis finiront par fuguer et reprendront leur errance dans l’espoir de trouver meilleur accueil dans un autre département ou un autre pays. Quelques-uns se retrouveront sûrement sous les tentes de la jungle de Calais ou dans les cabanes de Grande-Synthe.

Europol pourrait ainsi ajouter chaque année à sa triste comptabilité encore quelques milliers d’enfants disparus en France, souvent les mêmes que ceux enregistrés précédemment par d’autres pays européens. Mais peut-on réellement parler d’enfants « disparus » quand tout est fait pour qu’ils disparaissent ? »

Pour consulter le sommaire de ce numéro de Plein Droit, la revue du Gisti, n°108 intitulé « Sportifs immigrés : le revers de la médaille » ou le commander, c’est ici.

Retour en haut de page