Tribunal administratif de Lille – Ordonnance N°1606080 du 1er septembre 2016 – Référé mesures utiles – Rejet de la demande d’expulsion de mineurs et jeunes majeurs occupants le jardin des Olieux par la Métropole de Lille

Résumé :

La Métropole européenne de Lille (MEL) demande au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-3 du CJA ("référé mesures utiles"), d’ordonner l’expulsion des mineurs et jeunes majeurs, occupants sans droit ni titre le jardin des Olieux situé sur son domaine public.

Le juge des référés rejette la demande de la MEL en relevant que depuis août 2015, le département du Nord et la ville de Lille se sont abstenus d’intervenir et de proposer des solutions d’hébergement conduisant les habitants du quartier et les associations à se substituer partiellement aux autorités défaillantes. Ainsi, dès lors que ce lieu constitue le seul abri dont disposent les jeunes occupants en question, le juge des référés conclut qu’il ne pourra faire droit à la demande d’expulsion que si une mise à l’abri est proposée par les autorités compétentes et celle-ci est refusée par les intéressés.

Extraits :

« […].

15. Considérant qu’il résulte de l’instruction que le département du Nord est confronté à un afflux croissant de jeunes migrants isolés ; que les arrivées, au nombre de 200 en 2011, 600 en 2014 et 2015, s’élèveront à plus de 800 en 2016 au rythme actuel de 70 par mois : que malgré les efforts significatifs du département pour renforcer les dispositifs d’accueil provisoires et pérennes, les structures mises en place totalement engorgées ne peuvent répondre aux besoins ; que malgré les alertes réitérées du Défenseur des droits et du conseil des intéressés, signalant la présence dans le camp d’adolescents, et les injonctions du juge des référés du tribunal administratif de Lille, l’Etat, le département du Nord et la ville de Lille se sont, depuis août 2015, abstenus d’intervenir et de proposer, même à titre très temporaire, des solutions d’hébergement, laissant la situation s’aggraver et contraignant les habitants d’un quartier et les associations à se substituer partiellement aux autorités défaillantes ; que si le département a lancé une procédure d’appel à projet en vue de créer des places pour des mineurs non accompagnés, il résulte des précisions apportées à l’audience par la représentante du département que la structure qui devrait voir le jour au début de l’année 2017 sera en tout état de cause, compte tenu d’une affectation des places par redéploiement, dans l’incapacité de prendre en charge, jusqu’à leur majorité, tous les jeunes migrants ayant la qualité de mineurs ;

16. Considérant que le campement de fortune du jardin des Olieux constitue pour ses occupants le seul abri dont ils disposent aujourd’hui ; qu’en l’absence de toute solution de relogement annoncée, une mesure d’expulsion aura nécessairement pour conséquence de placer les intéressés, en raison de leur âge, des conditions dans lesquelles ils ont accompli leur périple jusqu’en France et de leurs conditions de vie depuis leur arrivée dans ce pays, dans une précarité encore plus grande en les contraignant à l’errance et en les privant de tous les soutiens et services dont ils ont pu bénéficier jusqu’à présent ; qu’il n’est pas exclu que la mise en œuvre d’une mesure d’expulsion sans aucune préparation soit suivie à très brève échéance de l’apparition d’un nouveau camp à un autre endroit de la ville présentant encore moins de garanties pour les migrants concernés ; que, dans ces conditions, il ne pourra être fait droit à la demande d’expulsion présentée par la Métropole européenne de Lille que si un abri, un couvert et un minimum d’hygiène, sous une forme ou une autre, sont proposés aux occupants du jardin des Olieux par les autorités compétentes en application des dispositions précitées du code de l’action sociale et des familles et du code civil et que si cet hébergement est refusé par les intéressés ; qu’il appartient dès lors à la Métropole européenne de Lille, alors même qu’elle ne serait pas « la débitrice des solutions de relogement » mais qui subit les conséquences d’une occupation illégale de son domaine public, avant d’engager une nouvelle action sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, de se rapprocher de l’Etat, du département du Nord et de la ville de Lille afin de rechercher et de mettre en œuvre, dès que possible et avant l’arrivée du froid, les mesures appropriées pour mettre fin à une situation contraire à la dignité de la personne humaine ; qu’il y a lieu de rappeler à ce titre, que certaines de ces autorités, bien que n’en ayant pas juridiquement l’obligation en vertu des dispositions précitées du code de l’action sociale et des familles, pourraient tout à fait légalement, dans l’intérêt général et dans celui de ces jeunes en particulier, afin de leur éviter des traitements inhumains et dégradants prohibés par l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, à laquelle l’Etat français est partie, décider d’intervenir, par la mise à disposition de terrains, moyens matériels ou financiers notamment, pour soutenir les autorités compétentes qui doivent faire face à une situation inédite et hors normes ; que dans tous les cas, dans l’attente d’une solution, des mesures matérielles appropriées devraient être mises en place pour améliorer, sans favoriser un phénomène de sédentarisation, les conditions sanitaires du campement du jardin des Olieux ;

17. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’évacuation du jardin des Olieux à Lille ne présente pas les caractères d’utilité et d’urgence requis par les dispositions précitées de l’article L. 521-3 du code de justice administrative ; qu’il n’y a pas lieu, par suite, d’enjoindre à M. et autres de libérer sans délai les lieux qu’ils occupent sans droit ni titre ;

[…]. »

Ordonnance disponible dans son intégralité sous format pdf ci-dessous :

TA Lille – Ordonnance N°1606080 du 1er septembre 2016
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