Résumé :
La juge aux affaires familiales est saisie par un mineur isolé confié à l’ASE par un jugement du juge des enfants. Le mineur est hébergé à l’hôtel, sans encadrement régulier, ni aucun suivi social.
La juge relève que la prise en charge du mineur est faite en violation des dispositions du CASF, de la CIDE et du code d’éducation et dérive en traitements dégradants au sens de l’article 3 de la CESDH. Elle retient une situation de délaissement du mineur et précise sa compétence, en tant que juge judiciaire, pour déférer injonction au tuteur dans une matière où le juge judiciaire se trouve compétent.
Ainsi, la juge ouvre la tutelle du mineur et la défère au Conseil départemental. En tant que tuteur, il lui est enjoint de prendre des mesures afin de permettre au mineur une prise en charge effective et pérenne (rechercher une place dans un foyer, mettre en place un encadrement régulier, faire un bilan complet de santé, engager toutes démarches aux fins de le scolariser et de lui permettre l’accès à une formation professionnelle...).
Ces injonctions sont assorties d’une astreinte de 50 euros par jour de retard dans l’exécution des injonctions prononcées.
Voir dans le même sens : Tribunal de grande instance de Toulouse – Ordonnance n°5816A005 du 03 novembre 2016
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En tout état de cause, toute interprétation contraire des dispositions des articles 390 du Code civil et 1217 du Code de Procédure Civile interviendrait en violation du droit au recours effectif, garanti par les articles 6-1 et 13 de la CEDH, dès lors que le mineur n’aurait ainsi aucun moyen de pouvoir bénéficier de la protection d’une mesure de tutelle, seule mesure de nature à pallier efficacement l’absence de titulaire de l’autorité parentale et ainsi assurer au mineur une protection optimale de ses droits, patrimoniaux comme extra-patrimoniaux.
Sur l’ouverture d’une mesure de tutelle
L’état de minorité de M. est constant, ayant été retenu par jugement en assistance éducative du juge des enfants en date du 21 janvier 2016, revêtu de l’autorité de chose jugée.
Il est de même constant que le mineur se trouve isolé sur le territoire national.
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Personne n’est en l’espèce en mesure d’assurer la charge tutélaire, et il apparaît impossible de constituer un conseil de famille. Il y a donc lieu de déclarer la tutelle vacante, et de la déférer à la collectivité publique compétente en matière d’aide sociale à l’enfance, en l’espèce, le Conseil départemental de la Haute-Garonne.
Sur les injonctions sollicitées
[…]
En l’espèce, il est constant que la prise en charge actuelle du mineur est faite en violation des droits ci-dessus exposés, et dérive en traitements dégradants, au sens de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales susvisée.
En effet, il ressorti des pièces du dossier que le mineur passe ses journées seul, dans un hôtel, sans encadrement régulier, ni réel suivi social, cette situation de délaissement attentant gravement à son développement social, moral et affectif.
De plus, au plan physique, il n’est pas non plus contesté qu’il n’a pas fait l’objet d’un suivi médical, et que ses conditions de vie n’apparaissent pas optimales, notamment eu égard à la vêture extrêmement sommaire et non adaptée à un temps froid qui lui a été fournie par les services de l’aide sociale à l’enfance.
Il est de même constant que le mineur, malgré ses demandes, n’a pas accès à l’enseignement ni à la formation professionnelle, ce par la carence des services de l’aide sociale à l’enfance, en violation manifeste des droits exposés et des dispositions de l’article L. 122-2 du Code de l’Education.
Dans ces conditions, devant les violations graves et persistantes des droits fondamentaux, ainsi caractérisées, commises à l’occasion de la prise en charge actuelle du mineur par les services de l’aide sociale à l’enfance suite au placement décidé par le juge des enfants, il y a lieu de prendre toutes mesures utiles aux fins d’assurer leur cessation immédiate dans le cadre de la mesure de tutelle ouverte, en faisant usage du pouvoir d’injonction du juge des tutelles prévu par les dispositions de l’article 411-1 nouveau du Code civil.
Ainsi, afin d’assurer une prise en charge effective et pérenne du mineur, respectueuse de ses droits, il convient de faire injonction au tuteur de rechercher pour le mineur une place dans un foyer, ou toute autre solution éducative conforme aux intérêts du mineur, et en l’attente de mettre en place un encadrement régulier du mineur, se traduisant notamment par la présence effective d’un éducateur à ses côtés.
Par ailleurs, il est impératif que le mineur soit accueilli dans de bonnes conditions sanitaires. Il s’en suit qu’il sera fait Injonction au tuteur de lui faire faire un bilan complet de santé, tant physique que psychologique. De même, il lui sera fait injonction, aux mêmes motifs, de lui fournir sans délai une vêture complète et adaptée à toutes les conditions climatiques.
De même, afin que soit respecté son droit à l’éducation, aux loisirs et aux activités culturelles, il sera fait injonction au tuteur d’engager, avec le mineur, toutes démarches aux fins de le scolariser et de lui permettre l’accès à une formation professionnelle, et il sera, pour les mêmes motifs, fait également injonction au tuteur de permettre au mineur l’accès à des activités extra-scolaires, et de lui remettre un titre de transport urbain.
De plus, afin de stabiliser la situation juridique du mineur, il convient également de faire injonction au tuteur d’engager toute démarche administrative en vue de lui faire délivrer par les autorités consulaires des documents d’identité, et en vue de la régularisation de sa situation administrative.
Enfin, il sera fait injonction au tuteur de faire parvenir au juge des tutelles, dans le mois de la présente décision, un rapport de situation détaillé accompagné de toutes pièces justificatives permettant de rendre compte de révolution de la prise en charge du mineur.
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Arrêt disponible ci-dessous en format pdf :