Tribunal administratif de Toulouse – Ordonnance n°1605562 du 13 décembre 2016 – Référé-liberté – La condition d’urgence est satisfaite dès lors que l’inscription définitive à la formation est subordonnée à la délivrance de l’autorisation de travail sollicitée auprès de la Dirrecte – Il est enjoint à la Dirrecte de délivrer au mineur pris en charge l’autorisation de travail mentionnée au 2° de l’article L. 5221-2 du code du travail

Résumé :

Un mineur isolé ressortissant malien, ayant été confié à l’ASE après l’âge de ses 16 ans, sollicite une autorisation de travail auprès de la Dirrecte, dans le cadre de son inscription provisoire auprès du CFA en vue d’y suivre une formation de cuisinier en alternance. La Dirrecte ne fait pas suite à sa demande et l’oriente vers la préfecture.

Le juge des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du CJA ("référé-liberté"), retient l’existence d’une situation d’urgence dès lors que l’inscription définitive à la formation est subordonnée à la délivrance de l’autorisation de travail sollicitée auprès de la Dirrecte. En outre, le tribunal administratif rappelle qu’aux termes de l’article L. 5221-5 du code du travail, le mineur doit être regardé comme autorisé à séjourner en France et doit se voir délivrer une autorisation provisoire de travail, dès lors qu’il justifie d’un contrat d’apprentissage comme en l’espèce. Ainsi, le juge des référés conclut que la Dirrecte a porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et l’enjoint de délivrer une autorisation de travail au mineur concerné.

Extraits :

« […].

4. Considérant que si le préfet de la Haute-Garonne soutient qu’aucun refus n’a été opposé à M. par les services de la Direccte, il ressort toutefois des pièces produites par le requérant, et notamment de l’attestation sur l’honneur établie le 8 décembre 2016 par le travailleur social qui l’accompagnait, et comme le reconnaît d’ailleurs le préfet de la Haute-Garonne que les services de la Direccte lui ont indiqué qu’il devait obligatoirement se présenter en préfecture afin que sa demande y soit examinée, motif pris de ce qu’il ne pouvait être regardé, en l’absence de tout titre de séjour, comme se trouvant en situation régulière sur le territoire français ; que le préfet de la Haute-Garonne en tire la conséquence que M. avait ainsi connaissance de la procédure à suivre et qu’il ne saurait dès lors se prévaloir d’une situation d’urgence ; qu’il n’est toutefois pas contesté que l’intéressé, qui a été placé à l’ASE en urgence dès le 15 février 2016, a obtenu une inscription provisoire auprès du CFA de Blagnac, en vue d’y suivre une formation de cuisinier et qu’il a conclu, le 5 décembre 2016, un contrat d’apprentissage avec la société Labac pour une prise de poste au 9 décembre 2016, afin d’intégrer à compter de cette date une formation en alternance, diplômante, d’une durée de deux ans ; qu’il n’est pas davantage contesté, que l’inscription définitive à cette formation pour l’année 2016/2017 est subordonnée à la délivrance de l’autorisation de travail sollicitée par M. ; que, par suite, et alors au surplus, que le suivi d’une formation avant sa majorité est l’une des conditions de la délivrance ultérieure d’un titre de séjour sur le fondement de l’article L.313-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d‘asile, M. , justifie de l’existence d’une situation d’urgence ;

5. Considérant, d’une part qu’aux termes de l’article 3-1 de la convention internationale
des droits de l’enfant : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. » ; que les dispositions de l’article L.112-4 du code de l’action sociale et des familles et de l’article L. 111-2 du code de l’éducation prévoient respectivement que « l’intérêt de l’enfant la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes les décisions le concernant » et que « tout enfant a droit à une formation scolaire » ;

6. Considérant que l’égal accès à l’instruction, garanti par le treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère celui de la Constitution de 1958, et confirmé par l’article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, est une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ; que la privation pour un enfant, notamment s’il souffre d’isolement sur le territoire français, de toute possibilité de bénéficier d’une scolarisation ou d’une formation scolaire et/ou professionnelle adaptée, selon les modalités que le législateur a définies afin d’assurer le respect de l’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté fondamentale ; que le caractère grave et manifestement illégal d’une telle atteinte s’apprécie en tenant compte, d’une part, de l’âge de l’enfant, d’autre part, des diligences accomplies par l’autorité administrative compétente, au regard des moyens dont elle dispose ;

7. Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article L.311-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Sous réserve des engagements internationaux de la France ou de l’article L. 121-1, tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois doit être titulaire de l’un des documents de séjour suivants qu’aux terme de l’article L.311-3 du même code : « Les étrangers âgés de seize à dix-huit ans qui déclarent vouloir exercer une activité professionnelle reçoivent, de plein droit, une carte de séjour temporaire s’ils remplissent les conditions prévues à l’article L. 313-11, la carte de séjour portant la mention "passeport talent (famille) " s’ils remplissent les conditions prévues à l’article L. 313-21 ou une carte de résident s’ils remplissent les conditions prévues à l’article L. 314-11. Ils peuvent, dans les autres cas, solliciter une carte de séjour temporaire ou une carte de résident en application des articles L.314-8 et L.314-9 » ; qu’enfin l’article L.5221-5 du code du travail dispose : « Un étranger autorisé à séjourner en France ne peut exercer une activité professionnelle salariée en France sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de travail mentionnée au 2° de l’article L. 5221-2. L’autorisation de travail est accordée de droit à l’étranger autorisé à séjourner en France pour la conclusion d’un contrat d’apprentissage ou de professionnalisation à durée déterminée. » ;

8. Considérant qu’il résulte des dispositions précitées du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qu’un mineur étranger présent sur le territoire français n’a pas à solliciter la délivrance d’un titre de séjour, et qu’il doit être regardé comme autorisé à séjourner sur le territoire français au sens et pour l’application des dispositions précitées de l’article L.5221-5 du code du travail, qu’il ait été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance avant ou après l’âge de seize ans ; qu’il s’ensuit, qu’en application de ces dernières dispositions, il doit se voir délivrer une autorisation provisoire de travail, dès lors qu’il justifie comme c’est le cas en l’espèce d’un contrat d’apprentissage ; qu’il ne résulte d’aucune disposition législative ou règlementaire du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ou du code du travail, et notamment pas de celles du second alinéa de l’article R.5221-22 du code du travail invoquées par le préfet de la Haute-Garonne, qui sont exclusivement applicables aux demandes présentées par des jeunes majeurs, que la demande d’autorisation de travail présentée par un mineur isolé devrait être présentée aux services de la préfecture, ni que la délivrance de cette autorisation serait subordonnée à un quelconque examen de la situation du mineur étranger concerné ; que, par ailleurs, ni le préfet de la Haute-Garonne, ni la Direccte ne se prévalent de considérations liées au fonctionnement du service public qui feraient obstacle à ce que ces autorisations de travail soient délivrées directement par les services de la Direccte ; qu’ainsi, en refusant d’accorder à M. mineur isolé de 17 ans, l’autorisation de travail sollicitée pour lui permettre de valider son inscription au CFA de Blagnac avant d’avoir atteint sa majorité, la Direccte Unité territoriale Languedoc Roussillon méconnaissant l’obligation posée notamment par les stipulations et dispositions précitées de la convention internationale des droits de l’enfant et du code de l’action sociale et des familles, a porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale  ; qu’ainsi, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’enjoindre de délivrer à M. l’autorisation de travail mentionnée au 2° de l’article L. 5221-2 du code du travail, dans un délai de 24 heures à compter de la date de notification de la présente ordonnance ; qu’en revanche, il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte ;

[…]. »

Arrêt disponible ci-dessous au format pdf :

TA Toulouse – Ordonnance n°1605562 du 13 décembre 2016
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