Cour d’appel de Caen – Chambre des appels correctionnels – Arrêt n°15/01173 du 19 octobre 2016 – Prévenu renvoyé des fins de la poursuite – Les considérations de l’analyse en fraude documentaire n’offrent pas de garanties certaines de fiabilité – Si le prévenu a fait usage de plusieurs identités, rien n’établit avec certitude que l’identité invoquée ne soit pas en correspondance avec la réalité – Délivrance d’un passeport par les autorités congolaises

Résumé :

Un mineur isolé ressortissant congolais (rdc) confié au service de l’ASE voit des poursuites engagées à son encontre sur le fondement d’un examen médical concluant à un âge physiologique incompatible avec l’âge allégué.

La Cour d’appel procède à un examen détaillé du rapport d’analyse en fraude documentaire concluant à ce que les documents d’état civil produits par l’intéressé présenteraient les caractéristiques de documents contrefaits. La Cour retient que les considérations de l’analyse n’offrent pas de garanties certaines de fiabilité.

Si la Cour reconnait que le prévenu a fait usage de plusieurs identités, elle considère qu’il ne peut être établi avec certitude que l’identité invoquée devant la cour ne soit pas en correspondance avec la réalité. Enfin, la délivrance d’un passeport par les autorités congolaises conforte la véracité de cette identité.

Ainsi, la Cour infirme le jugement entrepris et renvoi le prévenu des fins de la poursuite.

Extraits :

« […]

S’agissant ainsi de l’attestation de naissance, il lui est fait grief de comporter une incohérence de date au motif qu’elle est datée du 27 mai 2014, alors que le jugement supplétif a été prononcé le "9" (sic) janvier 2015.

[…]

Pour inhabituelle et inopportune que soit l’existence d’un tel défaut dans un timbre humide apposé par une autorité administrative, rien n’autorise d’en exclure l’hypothèse et sa constatation ne saurait constituer la preuve que le document concerné est falsifié par altération du timbre humide, comme le technicien l’affirme à l’évidence de manière hasardeuse.

S’agissant du jugement supplétif, il lui est fait grief que des phrases y seraient décalées et des mots non alignés.

Force est de constater qu’outre l’absence d’évidence des défauts dont l’existence est ainsi affirmée, l’expérience conduit à retenir que des imperfections formelles de cette nature ne peuvent être considérées en elles-mêmes comme des indices suffisants de la contrefaçon de l’expédition d’une décision de justice.

Ainsi en va-t-il aussi du fait que les timbres humides apposés sur les pages de cette copie de décision sont de mauvaise qualité, l’expérience conduisant là encore à retenir que pour regrettable qu’il soit le mauvais ancrage n’est pas un événement exceptionnel dans la pratique administrative et judiciaire du timbre humide et ne peut pas plus être considéré en lui-même comme un indice suffisant de la contrefaçon de l’expédition d’une décision de justice.

S’agissant de l’absence de signature des juges et du président de chambre, il ne s’agit pas là non plus d’un indice du caractère frauduleux de l’expédition concernée dès lors qu’aucun élément ne permet d’affirmer, en présence de la signature du greffier divisionnaire apposée le 9 janvier 2015, et légalisée par notaire le 12 janvier 2015, attestant que la copie ainsi délivrée est conforme à l’original, la dite copie n’étant manifestement pas une photocopie, et rien n’excluant que la pratique soit, au bénéfice de l’attestation de conformité du greffier, la délivrance de copie par remise de la copie carbone de la minute seule revêtue de la signature des juges ou du président de la formation de jugement.

S’agissant de l’acte de signification, dont le technicien relève qu’il présente un support holographique authentique, alors qu’il s’abstient de faire la même constatation pour les autres documents soumis à son examen, quoique ce même support y soit présent, le fait que la mention de réception par le service de l’état civil de Ngaîiema de la remise de cet acte à personne habilitée y soit incomplet quant à sa date n’est pas un indice de l’inexistence de cette remise par ailleurs attestée par l’huissier instrumentaire dans le corps de l’acte, alors qu’au sur plus rien ne vient établir que cet officier public soit tenu d’observer la sécurité fiduciaire des supports délivrés par la République démocratique du Congo.

Enfin, et comme pour la copie du jugement supplétif aucun argument de preuve ne saurait découler de l’observation que la signature de légalisation du greffier s’agissant du jugement, de l’huissier s’agissant de la signification, ait été apposée par le notaire le 12 janvier 2015, pour légaliser des signatures figurant sur des actes datés du 9 janvier 2015.

Quant aux griefs formulés à l’égard de la copie d’acte de naissance, leur défaut de pertinence ou en tout cas de portée probante résulte des énonciations ci-dessus répondant à ceux formulés à l’identique concernant le défaut affectant le timbre humide, si ce n’est que la répétition sur un document date du 27 mai 2014, dont il est certain qu’il était existant le 24 juin 2014, et un document daté du 9 janvier 2015, vient confirmer qu’il y a bien eu un usage répété d’un timbre humide présentant le défaut allégué et dont la disposition graphique élimine que l’m soit la copie de l’autre.

[…]

S’il est ainsi établi que le prévenu a fait usage de plusieurs identités, il ne saurait s’en déduire la preuve que celle qu’il invoque aujourd’hui, comme il le fait depuis le 24 juin 2014, n’est pas en correspondance avec la réalité, alors qu’il le fait au bénéfice de la production de documents judiciaires et administratifs cohérents entre eux, dont l’examen attentif ne permet aucunement d’affirmer que leur sincérité ou leur authenticité est en défaut. La véracité de cette identité est confortée par la délivrance, le 15/07/2016, par les autorités congolaises, d’un passeport reprenant les données aujourd’hui contestées.

Et en l’absence de tels éléments. la preuve de la commission par le prévenu des faits qui lui sont reprochés ne saurait résulter ces seules énonciations sommaires du compte-rendu de M. le docteur, l’examen concerné ne constituant qu’un indice, dont le juge a la faculté, en présence de la contestation qui en est faite devant lui, d’apprécier la portée probante en considération d’autres indices confortatifs qui y font totalement défaut en l’espèce.

Le jugement entrepris devra dès lors être infirmé du chef de la déclaration de culpabilité et le prévenu renvoyé des fins de la poursuite.

[…]. »

Arrêt disponible ci-dessous au format pdf :

CA Caen – Chambre des appels correctionnels – Arrêt n°15/01173 du 19 octobre 2016
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