Violences faites aux enfants : un souci commun

Source : http://jprosen.blog.lemonde.fr

Auteur : Jean-Pierre Rosenczveig, Président du Tribunal pour enfants de Bobigny

« Comment ne pas approuver la démarche de Laurence Rossignol, ministre de la famille, de l’enfance et des droits des femmes qui avance demain 1er mars un plan triennal de lutte contre les violences faites aux enfants ?

Certains s’étonneront qu’à moins de trois mois de la fin de son mandat un ministre traite ce type encore des sujets de fond et se projette dans l’avenir. Le dossier supporte ce type d’exceptions. La maltraitance à enfants, l’histoire récente l’a démontré dépassé les clivages politiques et les alternances gouvernementales, chacun apportant une pierre à l’édifice M. Barzach – en insistant sur les violences sexuelles – avait prolongé le travail engagé par G. Dufoix en 1983 – la maltraitance à enfants après l’affaire de l’enfant du placard – qui avait lui-même été renforcé par H. Dorlac ou encore par M. Aubry – les violences institutionnelles -.

La démarche de Laurence Rossignol aura déjà le mérite d’identifier l’objectif comme une préoccupation partagée de la société française en lui donnant un cap et des objectifs que ses successeurs éclaireront régulièrement mais qu’ils ne pourront pas occulter.

Dans cette période où une nouvelle fois on a encore tendance à identifier les enfants et les jeunes comme source d’insécurité – conf. la proposition d’abaisser la majorité pénale de 18 à 16 ans sortie du chapeau sérosité par F. Fillon en grande difficulté dans sa campagne a minima pour cause d’immoralité -, il est important de rappeler que fréquemment avant d’être « asociaux » ces enfants et ces jeunes sont souvent mal-traités par la vie.

Reste pour autant à bien identifier les termes du débat

Et déjà de quoi l’on parle en ne confondant pas violences et maltraitances. (1) Les violences faites aux enfants sont plus larges aux maltraitances de toutes nature – physiques, singulièrement sexuelles, ou psychiques – faites aux enfants. Pour ne prendre que ces illustrations, l’absence d’accès aux droits, la discrimination au regard des origines sociales ou ethniques, l’inégalité quasiment congénitale, le profond sentiment d’injustice que ressentent rapidement nombre d’enfants, sont autant de violences qu’il nous faut combattre. Et que dire des refus de prise en charge come ceux opposés à des enfants porteurs de handicaps de tous genres ou des enfants étrangers isolés sur le territoire français ? (2) Faut-il ajouter le sort réservé aux enfants roms non scolarisés ou déscolarisés régulièrement, ce qui revient au même ? En l’espèce le programme gouvernemental entend s’attacher aux maltraitances physiques et sexuelles faites aux enfants, c’est à dire aux personnes de moins de 18 ans, en ciblant certes les plus jeunes, mais sans négliger les adolescent-e-s.

Ces maltraitances ont certes le plus souvent une origine familiale – pour 75% selon les estimations-, mais elles sont aussi institutionnelles, y compris dans des institutions qui par nature ont vocation à protéger des enfants. On pense aux établissement scolaires ou centres de vacances où régulièrement, en se gardant bien évidemment de généraliser, on découvre des cas de violences physiques, d’humiliations ou encore et surtout de violences sexuelles. Ces violences existent aussi dans des lieux où séjournent des enfants porteurs de handicaps physique ou sociaux.

Parmi les recherches à mener demain, il sera intéressant de voir quel bilan l’on tire des instructions gouvernementales signées par Martine Aubry en 1990 pour vérifier la bientraitance dans les établissements sociaux et médico-sociaux.

C’est donc à juste titre que la ministre présentera les objectifs à s’assigner en s’appuyant sur l’état de nos connaissances, avec leur forces et leur faiblesses en la matière. Il y a fort à parier qu’elle recueillera une approbation largement partagé tant des médias que de professionnels, et à terme de l’opinion.

Pourtant la chose ne va pas de soi. A preuve les vicissitudes qu’il faut bien rappeler du débat sur les châtiments corporels qui n’ a toujours pas reçu la réponse qui s’imposait. (3)

Pour ne rester que sur la période la plus récente on rappellera que le Conseil de l’Europe a lancé en 2007 une campagne pour promouvoir la condamnation des châtiments corporels dans sa zone d’influence. A ce jour 27 Etats ont adhéré à ce programme et entrepris le nécessaire à travers la loi et le dispositifs administratifs et culturels. Dix ans plus tard, la France, patrie auto proclamée des droits de l’homme, de la femme et de l’enfant, n’en est toujours pas (4) et se ridiculise aux yeux des experts internationaux (5).

Hostile a priori à une loi sur le sujet lors de sa prise de fonctions en 2014, Laurence rossignol préférait mener le débat public avec une opinion qui régulièrement se gaussait du fait de vouloir condamner la gifle et la fessée. A juste titre la ministre de la famille pensait qu’il fallait d’abord faire bouger les lignes et promouvoir les termes d’une éducation sans violence ce qui ne signifie pas sans autorité. (6)

C’était sans compter que le fait que la loi n’est pas là que pour « sanctionner » des situations. Elle affirme des valeurs. Depuis Napoléon n’est-il pas écrit dans le code civil qu’« A tout âge l’enfant doit honneur et respect à ses père et mére » ? Il était important qu’i soit écrit dans la loi- e français sont légalistes – que l’autorité ne se confond pas avec la violence et spécialement les châtiments corporels.

La ministre s’en était finalement convaincu – et avait convainc au-dessus d’elle – et avait accepté un amendement parlementaire dans la loi Egalité et citoyenneté. Las dans sa décision du 26 janvier 2017 le Conseil constitutionnel a retoqué cet amendement en le qualifiant de cavalier. (7)

Le raisonnement du Conseil constitutionnel est sans doute rigoureux sur le plan juridique il l’est encore plus pour les enfants violentés.

On observera objectivement que tout se ligue pour que notre pays prenne du retard dans le débat sur l’éducation sans violence, en phase avec ce que pratiquent l’immensité des familles de France quand on sait – les drames les plus récents le démontrent malheureusement à l’envie – qu’on peut passer facilement de la fessée à la maltraitance.

C’est donc un échec que de n’avoir pas pu encore s’inscrire dans la démarche du Conseil de l’Europe. Ce doit être l’un des objectifs premiers d’un plan de lutte contre les violences faites aux enfants, avec en arrière fond le nécessaire débat sur l’autorité parentale – en vérité sur les responsabilité parentales -, son contenu mais aussi sur ses titulaires . Autant de sujets dont on ne trouve guère pour ne pas dire pas de traces dans les programmes de ceux qui aspirent à nous gouverner. D’où, au risque de se répéter, l’intérêt du plan présenté par la ministre qui s’inscrit dans la durée par-delà les élections.

(1) Le concept de maltraitance a été introduit dans la loi pour la première fois le 10 juillet 1989 à la suite d’un rapport de Jacques Barrot.

(2) Les mineur étrangers non accompagnés ( MNA) sont souvent les victimes de ce que les juristes qualifient pudiquement d’un conflit négatif de compétence entre départements, sans que l’Etat joue réellement son rôle de régulateur et de protecteur des droits. Conf. mes différents billets sur ce Blog.

(3) Conf. billets précédents

(4) Mme Morano de la famille, es qualité de présidente du conseil européen des ministres de la famille avait pourtant participé au coup d’envoi de cette campagne à Stockholm en octobre 2007 et s’était engagé’ au nom de la France avant de se rétracter en revenant en Paris.

(5) Comme nous nous ridiculisons avec nos discours sur la moralisation du financement de la vie publique dans notre manière de gérer la « Pénélopegate » et autres histoires de détournements de fonds publics français ou européens dans lesquelles est impliqué le Front National

(6) Thème largement développé par le président de la République le 20 novembre dernier à l’Elysée lors de la cérémonie pour l’anniversaire de l’adoption de la Convention des nations unies sur les droits de l’enfant

(7) A l’expérience il eut mieux valu l’introduire dans la loi sur la protection de l’enfance du 14 mars 2016 »

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