Source : www.francetvinfo.fr
Auteur : Jérôme Jadot
Date : 22 mars 2017
« Depuis quelques semaines, dans le quartier de la Goutte-d’Or, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, des enfants d’une dizaine d’années venus du Maroc sont livrés à eux-mêmes. Parfois violents, ils sniffent de la colle, de jour comme de nuit.
Ce sont des scènes dignes des favelas brésiliennes. Depuis quelques semaines, dans le quartier de la Goutte-d’Or, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, des enfants d’une dizaine d’années sont livrés à eux-mêmes. Parfois violents, ils sniffent de la colle, le jour comme la nuit. Rétifs aux dispositifs de prise en charge traditionnels, ces enfants toxicomanes venus du Maroc laissent riverains et autorités désemparés. Qui sont-ils ? Comment sont-ils arrivés-là ? Franceinfo est allé à leur rencontre.
Il est 18h30. Le square Alain Bashung vient de fermer. Furtivement, une silhouette en doudoune grise franchit la grille et s’installe au fond du parc. À intervalles réguliers, on voit devant son visage un sac en plastique orange qui se gonfle et se dégonfle. De temps en temps, le garçon sort de sa poche un tube de colle forte, en garnit les parois du sachet et replonge le nez dedans.
Il est agité mais veut bien échanger quelques mots. Il dit avoir 11 ans, même s’il en fait un peu plus. Il parle essentiellement arabe, dit être arrivé en France il y a cinq mois, pour chercher du travail. S’il sniffe de la colle, c’est parce qu’il "a beaucoup de problèmes", explique-t-il. On n’en saura pas plus. Son œil devient vitreux. Il court dans un sens, puis dans l’autre, tente de nous chiper nos clés de voiture avant de chanter dans le micro.
Un parcours chaotique
Des enfants ou jeunes adolescents vivant dans la rue, on en croise d’autres dans le quartier. Youssef et Hamza ont souvent une cigarette ou un joint à la bouche, des yeux cernés. Ils racontent des parcours similaires. Partis du Maroc, ils ont passé quelques mois ou années en Espagne, puis sont arrivés en France récemment.
Anas n’est ici que depuis quelques jours. Provocateur, il tente de rentrer dans le square au moment où celui-ci ferme. Plus de chaussures et une simple toile en guise de pantalon, il dit sortir de garde à vue pour un vol de téléphone portable. Il en a tiré 300 euros. Il va se racheter des baskets et un pantalon auprès des vendeurs à la sauvette du métro La Chapelle.
Anas a sans doute un peu plus que les 14 ans qu’il annonce. Ses parents sont "restés à Fès". Il échange avec eux de temps en temps. Ils l’incitent à revenir mais lui ne le fera que quand il aura "beaucoup d’argent". S’il n’est pas resté à Barcelone, où il a transité plusieurs mois, c’est, dit-il, parce qu’il n’y avait pas de travail. Il semble toutefois déçu par la situation en France.
Isolement, drogue, violence : une spirale infernale
Anas dort dans un squat. Pour d’autres enfants, c’est le square ou alors des Autolibs ou des voitures dont ils forcent les portières. Des dégradations que supportent de moins en moins les riverains. Theodore Ceccone tient la pizzeria Bella Dona. Il voit depuis le début de l’année ces enfants errer par groupe d’une dizaine ou plus, de plus en plus violents. Les scènes qu’ils rapportent sont à peine croyables. "Ils ont entouré deux touristes asiatiques, ils ont commencé à les toucher, à essayer de les voler. Un jour, il y a eu un petit entre eux qui s’est fait égorger. Heureusement, un monsieur a mis sa main sur la gorge pour arrêter le sang qui giclait et le Samu est intervenu", raconte le patron du restaurant.
"Ils disent oui mais après c’est comme si je n’avais rien dit. C’est des bébés pour moi. Ils ont 8 ans, 12 ans. Ça fait trop mal de voir une jeunesse perdue", se désespère Mohammed. Avec d’autres riverains, il vient de co-signer une lettre envoyée il y a quelques jours aux autorités. Ils demandent des mesures "sans délai", "dans l’intérêt de ces enfants" et "du quartier" aussi. Mais les autorités font face à une situation inédite en France, même si des cas similaires ont déjà été repérés en Espagne, en Belgique ou en Suède. Inédite à la fois par le très jeune âge de ces enfants et aussi par leur toxicomanie.
Les structures d’accueil traditionnelles inadaptées
Le chef d’une brigade spécialisée de terrain (BST) parle d’enfants à la fois "très virulents" - l’un d’entre eux l’a gazé avec une bombe lacrymogène - mais auxquels "on a parfois plus envie de tirer l’oreille que de les présenter à un officier de police judiciaire". Vu leur âge, ils ne sont généralement même pas auditionnés. Envoyés en foyer, "ils cassent tout et finissent par ressortir", poursuit ce policier.
Face à cet échec des mises à l’abri habituelles pour les mineurs isolés, la mairie de Paris a mandaté l’association Hors la Rue pour entrer en contact avec ces jeunes. Un éducateur arabophone a été recruté et un accueil de jour leur est proposé. Ils peuvent s’y restaurer, se laver, se reposer. Mais "la drogue ne facilite pas les choses", relève Séverine Canale, responsable de la communication d’Hors la Rue. "Il y a l’effet de manque qui est clairement là et alors il n’y a pas de travail éducatif possible. (Mais) parfois ils viennent ici sans colle, sans comportement lié à la consommation de produit".
Pour la nuit, un foyer spécifique d’une dizaine de places a été mis à disposition, permettant de commencer à stabiliser une partie de ces enfants. "Ça marche pour certains, ça ne marche pas pour tous tout le temps. Mais on est en train d’inventer cette solution", souligne le maire PS du XVIIIe arrondissement, Eric Lejoindre, qui a "bon espoir qu’on arrive à être capable de les maintenir, puis de les sortir de la rue et de leur apporter les soins médicaux dont ils ont besoin".
Des motivations au départ qui restent floues
Hors la Rue a identifié 25 jeunes concernés par cette situation de grande détresse. Ils sont quelques dizaines, selon la mairie du XVIIIe. Mais "on en voit dans d’autres arrondissements", indique un policier. Pour tenter d’éclaircir leur situation, les autorités ont sollicité mi-mars le consulat du Maroc ainsi que les services sociaux de plusieurs villes espagnoles.
L’une des questions qui se pose est de savoir si ces enfants sont sous l’emprise de réseaux criminels. Selon les premières investigations policières, cela ne semble pas être le cas, même s’il reste encore beaucoup de zones d’ombre sur leurs parcours et leurs motivations. “Certains viennent de familles déchirées, donc ils viennent directement de la rue au Maroc. Mais la plupart poursuivent un projet migratoire. Ils ont décidé de migrer vers l’Espagne ou un autre pays européen. Ils cherchent avant tout une meilleure situation économique", nous explique Catalina Perrazo, conseillère juridique de Save The Children en Espagne. »
Ecouter le reportage radio en ligne ici-].