Tribunal administratif de Lille – Ordonnance n°1703487, 1703515, 1703521, 1703527, 1703531, 1703532 et 1703578 du 12 mai 2017 – Non exécution de décisions judiciaires – Dépassement des capacités d’action du département – Il appartient au préfet, dans le cadre de ses pouvoirs de police, de prendre les mesures nécessaires pour assurer la prise à charge des MIE

Résumé :

Plusieurs mineurs isolés ont été confiés à l’ASE par ordonnance de placement provisoire du procureur de la République ou par jugement en assistance éducative du juge des enfants. Aucun d’entre eux n’ont été pris en charge.

Le juge des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du CJA ("référé-liberté"), relève que le département du Nord n’est pas en mesure d’assurer matériellement la prise en charge des requérants du fait du dépassement de ses capacités d’action. Par voie de conséquence, le juge des référés considère qu’il appartient au préfet du Nord, dans le cadre de ses pouvoirs de police, de prendre les mesures nécessaires pour assurer leur prise à charge, incluant l’hébergement, la nourriture et l’hygiène. Le département n’étant pour autant pas exonéré de ses obligations, il lui appartient, en collaboration avec l’Etat, de définir les solutions les plus adaptées. En outre, le juge détaille les possibilités de prise en charge par l’autorité préfectorale (dispositif d’hébergement d’urgence, structures dédiées sur le mode des CAOMI, toute autre mesure d’aide qui pourrait être apportée au département).

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14. Face à ces difficultés à trouver des places d’hébergement pérennes, le département du Nord indique qu’il a recours à des places à l’auberge de jeunesse de Dunkerque et à l’hôtel Formule 1 de Roncq, mais que ces solutions restent limitées. Il indique à ce titre que la plupart des hôtels contactés n’acceptent pas d’accueillir des mineurs non accompagnés. Par ailleurs, les structures retenues ne doivent pas être trop éloignées de celles dans lesquelles travaillent les éducateurs qui seront amenés à suivre les jeunes concernés. Le département indique que, d’une façon générale, ce dispositif de mise à l’abri en urgence est, lui aussi, saturé.

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16. Dans ce contexte, il apparaît que toute injonction de prise en charge faite au département du Nord se trouverait privée d’effet utile, le département n’étant pas, sauf exception, en mesure d’assurer matériellement une telle prise en charge des requérants, quelle qu’elle soit. Au surplus, le versement d’astreintes suite à des ordonnances qui n’ont pas été exécutées pèse sur le budget du département et obère d’autant les moyens mis à disposition des services de l’aide sociale à l’enfance, dans un département où le poids des dépenses sociales est, indépendamment de celles induites par la prise en charge des mineurs non accompagnés, très élevé. A ce titre, les rapports précités, notamment, soulignent la faiblesse de l’aide financière accordée par l’Etat aux départements au cours de la phase d’évaluation et de mise à l’abri, pendant cinq jours maximum. Les décisions du juge des référés en ce sens pourraient donc avoir, à moyen terme, un effet négatif, voire contre-productif, au regard de l’objectif qui est d’assurer la prise en charge effective, si possible pérenne, des mineurs concernés. Il y a donc lieu de considérer que les capacités d’action du département du Nord sont, à ce jour, dépassées.

17. Dès lors, il appartient au préfet du Nord, dans le cadre de ses pouvoirs de police, afin de mettre fin, en urgence, à la situation dans laquelle les mineurs non accompagnés, qui ne
sont pas pris en charge par le département du Nord du fait du dépassement de ses capacités d’action, sont exposés à des traitements inhumains ou dégradants, de prendre les mesures nécessaires pour assurer cette prise en charge, incluant l’hébergement, la nourriture et l’hygiène.
Il convient pour ce faire que l’Etat se rapproche du département du Nord, comme il l’a déjà fait à l’automne 2016 dans le cadre du démantèlement du campement qui s’était créé dans le jardin des Olieux à Lille, pour définir avec lui les solutions les plus adaptées. Dans ce cadre, sous réserve de leur prise en charge par le département avant cette date, les requérants devront recevoir de la part du préfet du Nord une proposition de prise en charge, dans un délai maximal de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

18. A ce titre, si le préfet du Nord indique qu’il n’a pas les moyens matériels d’assurer la prise en charge de mineurs, il résulte de l’instruction que lors du démantèlement du site de la Lande de Calais, plusieurs centres d’accueils et d’orientation pour mineurs isolés (CAOMI), ont été mis en place en France, sur le modèle de ce qui avait été fait, dans des proportions plus restreintes, à la fin des années 1990 en Ile-de-France à la suite du refus du département de Seine-Saint-Denis de continuer à assurer la prise en charge financière des mineurs isolés étrangers qui arrivaient à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. La moitié des places du CAOMI géré par France Terre d’asile avait ainsi été mise à disposition pour ces jeunes. La circulaire du ministre de la justice du 1er novembre 2016 relative à la mise en œuvre exceptionnelle d’un dispositif national d’orientation des mineurs non accompagnés dans le cadre des opérations de démantèlement de la Lande de Calais se réfère expressément « au pouvoir de police générale de protection des personnes tel que rappelé par le Conseil d’Etat » (CE, 27 juillet 2016, M. n° 400055, A), sa mise en œuvre étant justifiée par le dépassement des capacités du département du Pas-de-Calais. Deux mille places ont ainsi été créées pour accueillir des personnes se déclarant mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille. La circonstance que cette prise en charge concernait essentiellement des personnes en phase d’évaluation, dont la plupart étaient demandeurs d’asile, et qu’elle n’était que provisoire ne suffit pas à démontrer que l’Etat ne serait pas en mesure d’organiser, pour un nombre de mineurs non accompagnés bien moindre, une prise en charge temporaire, le temps que le département arrive à faire face aux difficultés qui ont été exposées précédemment. Cette prise en charge pourrait se faire soit dans le cadre du dispositif d’hébergement d’urgence, dans le cadre duquel des « mijeurs » sont parfois accueillis le cas échéant après réalisation des aménagements requis, soit dans le cadre de structures dédiées, sur le mode des CAOMI, soit par toute autre mesure d’aide qui pourrait être apportée au département du Nord (aide financière, aménagement provisoire d’un gymnase...). Une telle prise en charge pourrait concerner en priorité les mineurs non accompagnés en cours d’évaluation, le département utilisant les places ainsi libérées des deux premières phases du dispositif TRAJET pour les mineurs qui lui ont été confiés par le juge des enfants. Si la prise en charge temporaire par l’Etat devait s’étendre à ces derniers, il y a lieu de rappeler que le département du Nord, qui est leur « gardien », est responsable de tout dommage qu’ils pourraient causer comme de tout dommage qui pourrait leur être causé. Dans tous les cas, les difficultés juridiques qui se posent s’agissant des responsabilités respectives de l’Etat ou du département ne peuvent pas justifier que des mineurs non accompagnés soient laissés à la rue, en situation d’être exposés à des traitements inhumains et dégradants. Cette prise en charge par l’Etat, qui ne saurait exonérer le département des obligations qui sont les siennes, sera amenée à diminuer au fur et à mesure du déploiement de la troisième phase du dispositif TRAJET, dont le département indique qu’il devrait être terminé pour le mois d’août 2017. Le cas échéant, il appartiendra aux autorités de l’Etat, si elles venaient à estimer que la carence du département est fautive, de rechercher sa responsabilité.

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Ordonnance disponible en format pdf ci-dessous :

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