Source : www.dalloz-actualite.fr
Auteur : Anaïs Coignac
Date : 29 mai 2017
Sommaire :
- Introduction
- La primauté de l’éducatif sur le répressif
- Une priorité politique à construire
- Une justice à part entière à consolider
- La nécessité de développer les moyens en milieu ouvert
- Les autres grands enjeux de la justice des mineurs
Extraits :
« Parmi les dossiers en attente, certains rassemblent les mentalités quant aux directions à prendre tandis que d’autres font moins consensus entre magistrats et avocats spécialisés. C’est en particulier le cas de la question du statut juridique du beau-parent, ardemment souhaité par certains, et du traitement des mineurs isolés étrangers « qui préoccupe beaucoup les tribunaux pour enfants », souligne Étienne Lesage.
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Sur la question des mineurs isolés étrangers (MIE), la difficulté procède de la considération qui leur est faite tant par les pouvoirs publics qui adoptent des textes les distinguant spécifiquement que par les départements qui, selon un système de péréquation, reçoivent chacun un certain nombre de mineurs isolés, traités selon les dispositifs et la volonté politique en place, et enfin par les tribunaux pour enfants. « Ils sont plus considérés comme des étrangers que comme des enfants, assure Jean-Pierre Rosenczveig. Par exemple, le procureur de la République peut les envoyer dans n’importe quel département de France alors qu’en principe, il devrait saisir le juge des enfants pour les recevoir, discuter avec eux. »
À Paris, les MIE passent tous par le dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers (DEMIE) que gère la Croix-Rouge, association choisie sur appel d’offres par le département pour gérer l’aide sociale à l’enfance. Seule une partie est prise en charge. Les autres se voient notifier un refus par écrit et doivent ensuite faire appel à un avocat ou à une association pour se rendre auprès du juge du tribunal pour enfants. Pour répondre à ces besoins, le barreau de Paris a créé un pôle dédié aux mineurs isolés étrangers au sein de son antenne des mineurs. Isabelle Roth est l’une des avocates en charge du pôle. « Sur les 4 000 jeunes environ présents à Paris en ce moment, 75 à 80 % sont renvoyés du DEMIE, précise l’avocate. C’est ensuite le parcours du combattant. Nous faisons une saisine judiciaire, environ 50 % parviennent à être protégés à ce stade mais, s’il y a un appel, on en perd encore la moitié. Ainsi, en cas de décision positive en première instance, le conseil général de Créteil fait systématiquement appel tandis que Paris le fait une fois sur deux. »
Certains mineurs se découragent et poursuivent leur route dans d’autres départements. Et lorsque la cour d’appel infirme la décision positive du juge, les mineurs entre temps pris en charge, scolarisés, doivent quitter les lieux. « C’est dramatique », constate la juriste. À cela, il faut ajouter la rétivité de certains juges. « Sur les 15 juges des enfants à Paris, deux ne tiennent pas d’audience pour les MIE. Ils demandent les dossiers des jeunes mais sans les rencontrer ce qui est contraire au principe du contradictoire. »
Pour le président de l’AFMJF, le problème est endémique : « il en arrive trois par jour à Bordeaux. C’est impossible de tous les recevoir ». Il déplore la déresponsabilisation de l’État. « C’est un vrai enjeu qui retombe sur le dos du juge pour enfants et les départements n’ont plus de place pour les accueillir. » Quant à la distinction qui est faite entre ces mineurs et les autres, le magistrat justifie : « c’est une protection de l’enfance un peu particulière car ils ont traversé le monde, sont plus autonomes. Ils arrivent souvent dans de mauvais états et leurs besoins ne sont pas les mêmes. De plus, 90 % viennent pour des raisons économiques, parfois avec la bénédiction de leur famille tandis que certains ne sont pas mineurs ».
Récemment, la ville de Paris a organisé des tables rondes avec les interlocuteurs spécialisés sur la question des mineurs isolés étrangers, dont les avocats du pôle dédié de l’antenne des mineurs du barreau de Paris. « Nous avons demandé à ce que soient améliorées les évaluations réalisées au DEMIE et c’est en cours, se félicite Isabelle Roth. Maintenant, les mineurs devraient être évalués avec des équipes pluridisciplinaires et un interprète. » « Nous souhaitons que chaque MIE qui arrive en France bénéficie d’un tuteur comme c’est le cas en Belgique et aux Pays-Bas », souligne l’avocate. Sur ce dossier comme sur d’autres en matière de justice des mineurs, le nouveau gouvernement devra mener, s’il souhaite réellement faire de cet enjeu l’une de ses priorités, une politique proactive en adéquation avec les nécessités de l’époque tout en tentant d’éviter l’écueil des postures idéologiques. »