Source : www.hrw.org
Date : Juillet 2017
« Du fait de procédures défectueuses, les mineurs arrivés à Lesbos courent le risque d’être victimes d’abus/
Des enfants migrants non accompagnés arrivés sur l’île grecque de Lesbos sont incorrectement identifiés comme des adultes et hébergés en compagnie d’adultes non membres de leur famille, ce qui les rend vulnérables aux abus et leur interdit l’accès aux soins particuliers dont ils ont besoin, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
« L’identification erronée comme adultes d’enfants migrants non accompagnés sur l’île de Lesbos conduit à de vrais problèmes, comme le regroupement avec des adultes qui ne sont pas de leur famille et la privation de services dont ils auraient besoin », a déclaré Eva Cossé, chercheuse sur la Grèce à Human Rights Watch. « Les autorités grecques devraient faire preuve de responsabilité en identifiant de manière appropriée les enfants non accompagnés et en leur accordant la protection et les soins dont tout mineur a besoin. »
Lors de visites sur l’île de Lesbos entre le 22 et le 28 mai et entre le 27 et le 30 juin 2017, Human Rights Watch s’est entretenu avec 20 mineurs, dont certains n’avaient que 15 ans, qui ont affirmé avoir été improprement enregistrés en tant qu’adultes par les autorités grecques.
Aux termes de la loi grecque et du droit international, les enfants non accompagnés ont droit à une protection et à des services particuliers. Mais les procédures défectueuses d’estimation de l’âge qui sont appliquées dans la pratique sont telles que certains de ces enfants sont considérés de manière erronée comme des adultes lors de leur enregistrement, en dépit des assurances données à Human Rights Watch par les responsables grecs selon lesquelles une procédure multidisciplinaire appropriée était suivie. D’autres enfants se font eux-mêmes passer pour des adultes, pensant que cela leur permettra d’éviter d’être placés en rétention ou parce qu’ils ont suivi de mauvais conseils d’adultes, avant de réaliser leur erreur et d’essayer de persuader les autorités de les recenser correctement. Leurs tentatives d’obtenir un changement de statut officiel peut prendre des mois, et pendant tout ce temps passé à attendre que leur âge réel soit établi, ils continuent souvent d’être traités comme des adultes, ou bien ils parviennent à l’âge adulte, un phénomène appelé « perdre ses droits par vieillissement ».
Human Rights Watch a constaté que les responsables qui recensent les nouveaux arrivants enregistrent parfois arbitrairement certains enfants comme étant plus âgés qu’ils ne l’affirment eux-mêmes. D’autre part, les autorités exigent souvent que les enfants non accompagnés subissent un examen dentaire sommaire à l’hôpital local, comme moyen d’évaluer leur âge, à la suite de quoi les autorités insistent parfois pour considérer l’enfant comme un adulte et l’enregistrer en tant que tel. Human Rights Watch a constaté que ces pratiques étaient en cours en dépit d’une décision ministérielle de 2013 dans laquelle était adoptée une approche multidisciplinaire de l’évaluation de l’âge, comprenant des examens médicaux comme option de dernier ressort, et en dépit des assurances du Service de réception et d’identification (SRI), une agence du gouvernement grec, selon lesquelles le principe du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant prévalait dans tous les cas.
D’autre part, les responsables des services de réception n’ont pas l’habitude de contester les affirmations des enfants non accompagnés qui prétendent être adultes, même quand leur apparence physique laisse fortement penser qu’ils ont moins de 18 ans. Dans la pratique, les autorités grecques s’abstiennent de fournir aux enfants des informations adéquates concernant leurs droits lors du processus de réception et d’identification dans les îles, et ne prennent aucune mesure pour vérifier si un individu se présentant comme un adulte n’est pas en réalité un enfant, créant le risque que des enfants victimes de la traite de personnes ne soient pas identifiés et pas non plus protégés de nouveaux abus.
Bien que les enfants non accompagnés enregistrés comme tels doivent être transférés dans un lieu d’accueil sûr, la Grèce souffre d’un manque chronique d’espace. En attendant leur placement dans un lieu d’accueil, les autorités placent souvent en rétention des enfants migrants non accompagnés dans les postes de police, dans des lieux de détention pour immigrants, et dans des centres de tri de demandeurs d’asile gérés par l’Union européenne. À la date du 20 juin, 1 149 enfants migrants non accompagnés étaient inscrits sur une liste d’attente pour un lieu d’accueil, dont 296 étaient retenus dans des installations de ce type.
Le problème est devenu plus pressant depuis l’arrivée de plus de 1 million de personnes dans les îles grecques en 2015 et 2016. Les fermetures de leurs frontières par les pays situés au nord ont eu pour effet de piéger les demandeurs d’asile et les migrants en Grèce, et un accord défectueux signé par l’UE avec la Turquie, en mars 2016, a amené la Grèce à contenir les demandeurs d’asile dans ses îles dans le but de les refouler en Turquie.
Des organisations non gouvernementales à Lesbos ont indiqué à Human Rights Watch qu’elles avaient identifié au moins 60 personnes recensées comme adultes et qui affirment être des enfants.
Des enfants recensés comme adultes sont laissés à eux-mêmes et sont vulnérables à diverses formes d’exploitation, de trafics et d’abus. Ils vivent sur des sites d’accueil officiels et non officiels en compagnie d’hommes adultes célibataires qui ne sont pas membres de leurs familles ; font face à des conditions de vie inhumaines, dont la surpopulation et l’insalubrité, et à de fréquents cas de violence ; et ils ne sont pas en mesure d’aller à l’école ou d’avoir un autre accès à l’éducation. Ils n’ont que très peu, voire pas du tout, d’accès à des soins médicaux, à une protection ou à des services spécialisés, et sont exclus des structures d’accueil réservées aux enfants non accompagnés.
Une fois que les autorités grecques ont enregistré des enfants non accompagnés comme adultes, quelle qu’en soit la raison, il est difficile, sinon impossible, pour eux d’obtenir un changement de leur statut. Même lorsque des organisations non gouvernementales identifient des enfants ayant été faussement enregistrés comme adultes, surmonter les lourdes procédures bureaucratiques nécessaires pour rétablir leur âge véritable et les enregistrer comme enfants peut prendre des mois. Le processus pour être reconnus comme des enfants a été si long dans certains cas examinés par Human Rights Watch, que pendant ce temps les enfants avaient atteint leur 18ème anniversaire. Cela a handicapé leurs chances d’être réunis avec les membres de leurs familles vivant dans d’autres pays de l’UE ou d’obtenir une résidence ou des services spécialisés destinés aux enfants.
Les déclarations faites par ces enfants sur la manière dont ils ressentent la situation dans laquelle ils se trouvent en Grèce laissent penser que cette situation leur cause des dommages psychologiques et exacerbe certains états mentaux préexistants, a déclaré Human Rights Watch. Tous les enfants interrogés ont indiqué ressentir de la détresse psychologique, notamment des symptômes comme l’anxiété, la dépression, des maux de tête, de l’insomnie et une perte d’appétit. Deux enfants ont indiqué s’être auto-agressés.
Les autorités grecques devraient d’urgence améliorer la qualité de leurs procédures d’estimation de l’âge des migrants, pour les mettre au niveau des meilleures pratiques internationales, a déclaré Human Rights Watch. Elles devraient prendre des mesures pour mieux identifier les enfants, donner aux enfants dont l’âge est incertain le bénéfice du doute dans les cas les plus indécis, et s’assurer que les enfants non accompagnés aient accès à des lieux d’accueil décents où ils puissent recevoir des soins, une éducation, des conseils y compris juridiques, des services de garde et d’autres services essentiels. Ceux dont il est déterminé qu’ils sont âgés de plus de 18 ans devraient être accueillis dans des refuges spéciaux pour jeunes adultes et avoir accès à des services adéquats, y compris à un soutien psychosocial et à des services de santé mentale.
La Commission européenne et le Bureau d’appui de l’UE en matière d’asile devraient, grâce à leur présence dans les îles, s’assurer que les méthodes et procédures d’estimation de l’âge des migrants des autorités grecques soient en conformité avec les garanties juridiques fournies par la loi grecque et les règles de l’UE, et que les enfants se voient accorder le bénéfice du doute lorsque les résultats ne sont pas concluants. Le mécanisme de réinstallation d’urgence de l’UE devrait également être étendu d’urgence aux enfants non accompagnés identifiés dans les îles grecques, quelle que soit leur nationalité, et les États membres de l’UE devraient accélérer la réinstallation des enfants migrants non accompagnés.
« Des enfants vulnérables arrivés en Grèce après avoir enduré un exode dangereux loin de leurs famille ne devraient pas avoir à se battre pendant des mois simplement pour prouver qu’ils sont des enfants », a affirmé Eva Cossé. « La Grèce devrait faire beaucoup mieux pour identifier ces enfants, afin qu’ils puissent recevoir les soins dont ils ont besoin et qu’ils méritent. » »