Source : www.hrw.org
Date : 26 juillet 2017
Résumé :
« Neuf mois après la fermeture par les autorités françaises du grand camp de migrants, connu sous le nom de « la Jungle » et qui était situé en bordure de Calais, entre 400 et 500 demandeurs d’asile et autres migrants vivent dans les rues et les zones boisées de cette ville du Nord de la France et des alentours.
En se fondant sur des entretiens menés avec plus de 60 demandeurs d’asile et migrants, à Calais, Dunkerque et aux alentours, ainsi qu’avec une vingtaine de travailleurs humanitaires actifs dans cette zone, ce rapport documente les abus commis par les forces de police à l’encontre de demandeurs d’asile et de migrants et leurs agissements visant à perturber l’aide humanitaire et à harceler les personnes qui la délivrent – autant de comportements qui s’expliquent apparemment, au moins en partie, par la volonté de limiter le nombre de migrants présents dans la région.
Human Rights Watch a constaté que les policiers à Calais, en particulier les Compagnies républicaines de sécurité (CRS), font un usage courant de gaz poivre sur des migrants, enfants et adultes, alors qu’ils sont endormis, ou dans d’autres situations où ils ne présentent aucune menace ; qu’ils aspergent de ce gaz ou confisquent des sacs de couchage, des couvertures et des vêtements ; et que parfois, ils pulvérisent du gaz sur la nourriture et l’eau des migrants. Les policiers perturbent également la délivrance d’assistance humanitaire. Les abus policiers ont un impact négatif sur l’accès aux services de protection de l’enfance et sur la volonté de migrants et leur capacité de déposer une demande d’asile.
Une telle conduite de la part de la police dans et autour de Calais constitue un abus de pouvoir, violant l’interdiction des peines ou traitements inhumains et dégradants, ainsi qu’une atteinte aux droits des migrants à avoir accès à l’eau et à la nourriture. Selon les normes internationales, la police ne doit avoir recours à la force que lorsque cela est inévitable, et alors uniquement avec modération, en proportion avec les circonstances, et dans un objectif légitime de maintien de l’ordre.
Les autorités ont pourtant ignoré les multiples témoignages portant sur les abus policiers envers les demandeurs d’asile et les autres migrants. Vincent Berton, le sous-préfet de Calais, a catégoriquement réfuté les comptes-rendus selon lesquels les policiers ont utilisé des sprays au gaz poivre ou ont eu recours à la force sans distinction et de façon disproportionnée. « Ce sont des allégations, des déclarations de personnes, qui ne sont pas basées sur des faits », a-t-il déclaré à Human Rights Watch.
En mars 2017, les autorités locales ont formellement interdit aux associations humanitaires de distribuer de la nourriture, de l’eau, des couvertures et des vêtements aux demandeurs d’asile et aux migrants. Un tribunal a suspendu ces arrêtés le 22 mars, estimant qu’ils revenaient à infliger un traitement inhumain et dégradant. Le Défenseur des droits, a lui aussi critiqué les mesures prises par les autorités locales, dont les arrêtés, concluant qu’elles contribuaient à des « conditions de vie inhumaines » des demandeurs d’asile et des migrants présents à Calais.
Depuis fin juin, les autorités permettent une seule distribution d’aide humanitaire par jour, d’une durée de deux heures, dans une zone industrielle située près de l’ancien camp de migrants. En plus de cela, le prêtre d’une église locale a autorisé la tenue d’une distribution à l’heure du déjeuner sur le terrain de l’église. Les policiers perturbent régulièrement les autres distributions d’assistance humanitaire. Les travailleurs humanitaires ont expliqué comment une fois, lorsqu’ils essayaient de donner de la nourriture aux migrants, ils sont retrouvés encerclés par des gendarmes armés de fusils, et comment à plusieurs reprises, les CRS leur ont fait tomber la nourriture des mains lorsqu’ils tentaient de la distribuer aux migrants, et encore comment ils ont empêché des migrants par la force de s’approcher des bénévoles.
Des travailleurs humanitaires ont entrepris de photographier ou de filmer ces actions policières, comme la loi française les y autorise. En réaction, disent-ils, les policiers ont parfois saisi temporairement leurs téléphones, en effaçant ou en consultant le contenu sans permission.
Les travailleurs humanitaires témoignent aussi que les policiers les soumettent régulièrement à des contrôles de papiers – parfois à deux reprises ou davantage, en quelques heures seulement. Les contrôles d’identité sont légaux en France, mais ils peuvent ouvrir la porte à des abus policiers. À Calais, les contrôles d’identité des travailleurs humanitaires retardent souvent les distributions d’aide humanitaire. Ils empêchent aussi les travailleurs humanitaires d’observer comment les policiers traitent les migrants lorsqu’ils dispersent tout le monde après les distributions.
Le président Emmanuel Macron s’est engagé à adopter une approche humaine à la question des réfugiés et des demandeurs d’asile. Le 12 juillet, son gouvernement a annoncé des initiatives visant à améliorer l’accès aux procédures de demande d’asile et à fournir des logements supplémentaires et d’autres aides aux demandeurs d’asile et aux enfants non accompagnés. Ces mesures sont bienvenues, mais contrastent nettement avec la manière dont les demandeurs d’asile et les autres migrants sont actuellement traités à Calais.
Pour respecter ces engagements, ainsi que les obligations internationales de la France, les autorités locales et nationales devraient ordonner immédiatement et sans équivoque aux forces de l’ordre de se conformer aux normes internationales sur l’usage de la force et de se garder de comportements entravant la délivrance de l’assistance humanitaire – de tels comportements devant faire l’objet de mesures disciplinaires appropriés pour abus d’autorité ou autres fautes professionnelles.
Le ministère de l’Intérieur devrait lever les obstacles entravant l’accès aux services de protection des réfugiés, soit en ouvrant un guichet unique pour les demandes d’asile à Calais, soit en facilitant, dans des guichets déjà existants, le dépôt d’une demande d’asile par ceux qui souhaitent la faire. Il devrait aussi collaborer avec les agences et associations humanitaires appropriées afin d’assurer l’accès à un hébergement pour tous les demandeurs d’asile, y compris des hébergements d’urgence pour tous les migrants sans papiers et sans abri à Calais.
Enfin, les autorités locales et nationales devraient garantir que les enfants migrants non accompagnés aient accès aux services de protection de l’enfance, notamment à des centres dotés d’une capacité suffisante et d’un personnel adapté. »
Rapport disponible en format pdf ci-dessous :