Source : Cour de Justice de l’Union européenne
Date : 12 avril 2018
Extraits :
« Sur la question préjudicielle
29 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, initio et sous f), de la directive 2003/86 doit être interprété en ce sens que doit être qualifié de « mineur », au sens de cette disposition, un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui était âgé de moins de 18 ans au moment de son entrée sur le territoire d’un État membre et de l’introduction de sa demande d’asile dans cet État, mais qui, au cours de la procédure d’asile, atteint l’âge de la majorité et se voit, par la suite, accorder l’asile avec effet rétroactif à la date de sa demande.
(...)
45 Dans ces conditions, si la directive 2003/86 ne détermine pas expressément jusqu’à quel moment un réfugié doit être mineur afin de pouvoir bénéficier du droit au regroupement familial visé à son article 10, paragraphe 3, sous a), il résulte toutefois de la finalité de cette disposition et du fait que celle-ci ne laisse aucune marge de manœuvre aux États membres, ainsi que de l’absence de tout renvoi au droit national à cet égard, que la détermination de ce moment ne saurait être laissée à l’appréciation de chaque État membre.
(...)
48 S’agissant plus précisément de la question de savoir quel est, en définitive, le moment auquel doit être apprécié l’âge d’un réfugié pour qu’il puisse être considéré comme mineur et puisse ainsi bénéficier du droit au regroupement familial visé à l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86, il convient d’y répondre au regard du libellé, de l’économie et de l’objectif de cette directive, compte tenu du contexte réglementaire dans lequel celle-ci s’insère ainsi que des principes généraux du droit de l’Union.
49 À cet égard, il résulte des points 38 et 39 du présent arrêt que ni le libellé de l’article 2, initio et sous f), de la directive 2003/86 ni celui de l’article 10, paragraphe 3, sous a), de cette directive ne permettent à eux seuls d’apporter une réponse à ladite question.
50 En ce qui concerne l’économie de la directive 2003/86, il y a lieu de relever que celle-ci, en vertu de son article 3, paragraphe 2, sous a), ne s’applique pas lorsque le regroupant est un ressortissant de pays tiers qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié et dont la demande n’a pas encore fait l’objet d’une décision définitive. L’article 9, paragraphe 1, de cette directive précise, quant à lui, que le chapitre V de celle-ci, dont fait partie l’article 10, paragraphe 3, sous a), s’applique au regroupement familial des réfugiés reconnus comme tels par les États membres.
51 Si la possibilité pour un demandeur d’asile d’introduire une demande de regroupement familial sur le fondement de la directive 2003/86 est ainsi soumise à la condition que sa demande d’asile a déjà fait l’objet d’une décision définitive positive, il importe toutefois de constater que cette condition s’explique aisément par le fait que, avant l’adoption d’une telle décision, il est impossible de savoir avec certitude si l’intéressé remplit les conditions pour se voir reconnaître le statut de réfugié, ce qui conditionne à son tour le droit d’obtenir un regroupement familial.
52 Dans ce contexte, il convient de rappeler que le statut de réfugié doit être accordé à une personne lorsque celle-ci satisfait aux normes minimales établies par le droit de l’Union. En vertu de l’article 13 de la directive 2011/95, les États membres octroient ce statut à tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui remplit les conditions pour être considéré comme réfugié conformément aux chapitres II et III de cette directive, sans disposer d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2015, H. T., C‑373/13, EU:C:2015:413, point 63).
53 Le considérant 21 de la directive 2011/95 précise, par ailleurs, que la reconnaissance du statut de réfugié est un acte déclaratif.
54 Ainsi, après l’introduction d’une demande de protection internationale conformément au chapitre II de la directive 2011/95, tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui remplit les conditions matérielles prévues par le chapitre III de cette directive bénéficie d’un droit subjectif à ce que lui soit reconnu le statut de réfugié, et ce avant même qu’une décision formelle ait été adoptée à cet égard.
55 Dans ces conditions, faire dépendre le droit au regroupement familial visé à l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86 du moment où l’autorité nationale compétente adopte formellement la décision reconnaissant la qualité de réfugié à la personne concernée et, dès lors, de la plus ou moins grande célérité avec laquelle la demande de protection internationale est traitée par cette autorité remettrait en cause l’effet utile de cette disposition et irait à l’encontre non seulement de l’objectif de cette directive, qui est de favoriser le regroupement familial et d’accorder, à cet égard, une protection particulière aux réfugiés, notamment aux mineurs non accompagnés, mais également des principes d’égalité de traitement et de sécurité juridique.
56 En effet, une telle interprétation aurait pour conséquence que deux réfugiés mineurs non accompagnés de même âge ayant introduit au même moment une demande de protection internationale pourraient, en ce qui concerne le droit au regroupement familial, être traités différemment en fonction de la durée de traitement de ces demandes, sur laquelle ils n’ont généralement aucune influence et laquelle, au-delà de la complexité des situations en cause, peut dépendre tant de la charge de travail des autorités compétentes que des choix politiques effectués par les États membres en ce qui concerne les effectifs mis à la disposition de ces autorités et les cas à traiter prioritairement.
57 En outre, compte tenu du fait que la durée d’une procédure d’asile peut être significative et que, notamment en période d’afflux important de demandeurs de protection internationale, les délais prévus à cet égard par le droit de l’Union sont souvent dépassés, faire dépendre le droit au regroupement familial du moment où cette procédure est clôturée serait susceptible de priver une partie importante des réfugiés qui ont introduit leur demande de protection internationale en tant que mineurs non accompagnés du bénéfice de ce droit et de la protection que l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86 est censé leur conférer.
58 Au demeurant, au lieu d’inciter les autorités nationales à traiter prioritairement les demandes de protection internationale émanant de mineurs non accompagnés afin de tenir compte de leur vulnérabilité particulière, possibilité qui est désormais expressément offerte par l’article 31, paragraphe 7, sous b), de la directive 2013/32, une telle interprétation pourrait avoir l’effet inverse, en contrecarrant l’objectif poursuivi tant par cette directive que par les directives 2003/86 et 2011/95 d’assurer que, conformément à l’article 24, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux, l’intérêt supérieur de l’enfant soit effectivement une considération primordiale pour les États membres lors de l’application de ces directives.
59 Par ailleurs, ladite interprétation aurait pour conséquence de rendre absolument imprévisible pour un mineur non accompagné ayant introduit une demande de protection internationale le fait de savoir s’il bénéficiera du droit au regroupement familial avec ses parents, ce qui pourrait nuire à la sécurité juridique.
60 À l’inverse, retenir la date d’introduction de la demande de protection internationale comme étant celle à laquelle il convient de se référer pour apprécier l’âge d’un réfugié aux fins de l’application de l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86 permet de garantir un traitement identique et prévisible à tous les demandeurs se trouvant chronologiquement dans la même situation, en assurant que le succès de la demande de regroupement familial dépend principalement de circonstances imputables au demandeur et non pas à l’administration, telles que la durée de traitement de la demande de protection internationale ou de la demande de regroupement familial (voir, par analogie, arrêt du 17 juillet 2014, Noorzia, C‑338/13, EU:C:2014:2092, point 17).
(...) »
Arrêt disponible en format pdf ci-dessous :
Conclusions de l’avocat général disponibles en format pdf ci-dessous :