Conseil d’Etat – Juge des référés – Décision n°419537 du 13 avril 2018 – Jeune majeur en cours de contrat d’apprentissage et dans l’incapacité de prendre en charge seul le suivi de sa scolarité – Il est enjoint au président du conseil départemental de proposer au jeune majeur un accompagnement comportant l’accès à une solution de logement et de prise en charge de ses besoins alimentaires et sanitaires afin de lui permettre la poursuite de sa scolarité jusqu’à la fin de l’année scolaire

Résumé :

Un mineur isolé ressortissant malien ayant fait l’objet d’une mesure de placement au service de l’ASE jusqu’à sa majorité, s’est vu refuser sa demande de poursuite de prise en charge au titre d’un contrat jeune majeur. Le juge des référés du tribunal administratif, saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, a annulé le refus du président du conseil départemental et l’a enjoint de proposer au jeune majeur, un accompagnement comportant l’accès à une solution de logement et de prise en charge de ses besoins alimentaires et sanitaires. Le département relève appel de l’ordonnance.

Le Conseil d’Etat rejette la demande du département en retenant que le jeune concerné est en cours d’apprentissage, qu’il n’est pas en mesure de prendre en charge seul le suivi de sa scolarité et qu’il incombe au président du conseil départemental d’assurer l’accompagnement vers l’autonomie des mineurs pris en charge en lui proposant un soutien afin de lui permettre de terminer l’année scolaire engagée.

Extraits :

« […].

3. Il résulte de ces dispositions, notamment telles qu’elles ont été complétées par la loi du 14 mars 2016, que si le président du conseil départemental dispose, sous le contrôle du juge, d’un pouvoir d’appréciation pour décider de la prise en charge par le service chargé de l’aide sociale à l’enfance, qu’il n’est pas tenu d’accorder ou de maintenir, d’un jeune majeur de moins de vingt et un ans éprouvant des difficultés d’insertion sociale, il lui incombe en revanche d’assurer l’accompagnement vers l’autonomie des mineurs pris en charge par ce service lorsqu’ils parviennent à la majorité et notamment, à ce titre, de proposer à ceux d’entre eux qui éprouvent des difficultés d’insertion sociale faute de ressources ou d’un soutien familial suffisants toute mesure, adaptée à leurs besoins en matière éducative, sociale, de santé, de logement, de formation, d’emploi et de ressources, propre à leur permettre de terminer l’année scolaire ou universitaire engagée.

[…].

6. Il résulte également de l’instruction, notamment des rapports de l’équipe éducative ayant assuré sa prise en charge et de l’assistante sociale du service de l’aide sociale à l’enfance ainsi que de ses bulletins scolaires, que si M., arrivé seul en France, est unanimement décrit comme respectueux, sérieux, actif dans ses démarches et comme s’étant bien intégré dans les différentes structures, tant de l’aide sociale à l’enfance que scolaires, au sein desquelles il a été placé, il éprouve des difficultés pour mener des démarches à l’extérieur sans l’accompagnement d’un adulte et pour prendre en charge seul le suivi de sa scolarité. Dans ces conditions et eu égard à son absence de soutien familial et au caractère limité des ressources qu’il tire de son apprentissage, M. est au nombre des jeunes majeurs auxquels il incombait au président du conseil départemental de proposer, au-delà du terme de sa prise en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance, un accompagnement adapté à ses besoins et propre à lui permettre de terminer l’année scolaire engagée. Si cet accompagnement pouvait revêtir toute forme utile et n’impliquait pas par lui-même une prise en charge de l’intéressé par le service de l’aide sociale à l’enfance au titre du contrat jeune majeur qu’il avait sollicité, il résulte de l’instruction que M., alors qu’il n’apparaît ni avoir bénéficié avant sa majorité de l’entretien prévu à l’article L. 222-5-1 du code de l’action sociale et des familles pour faire un bilan de son parcours et envisager les conditions de son accompagnement vers l’autonomie, ni avoir été préparé à l’arrêt de sa prise en charge, dont la poursuite jusqu’à la fin de l’année scolaire était proposée par les services de l’aide sociale à l’enfance, sans d’ailleurs que la décision du 10 janvier 2018 fasse apparaître le motif du refus qui lui a en définitive été opposé, ne s’est vu proposer aucun accompagnement à l’issue de sa prise en charge.

7. Il résulte de l’instruction que cette carence caractérisée du département a en l’espèce eu pour conséquence que M. s’est retrouvé, sans avoir été mis en mesure de prévenir cette situation, dépourvu d’hébergement, n’accédant qu’irrégulièrement à un hébergement d’urgence, isolé sur le territoire français et privé de tout suivi, alors qu’il ne dispose que des ressources limitées que lui procure sa formation en alternance, dont la poursuite devient surplus incertaine compte tenu de son besoin d’être accompagné pour obtenir le renouvellement de l’autorisation de travail provisoire ayant permis la conclusion de son contrat d’apprentissage, et ainsi confronté à des difficultés susceptibles de compromettre gravement l’équilibre auquel sa prise en charge pendant sa minorité avait contribué et de mettre en danger sa santé, sa sécurité et sa moralité.

8. Le département de Seine-et-Marne, qui ne conteste pas utilement la recevabilité de la demande présentée par M. au juge des référés du tribunal administratif de Melun et l’urgence retenue par ce dernier en se bornant à faire valoir le pouvoir d’appréciation dont il dispose pour accorder aux jeunes majeurs le bénéfice des capacités limitées de prise en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance et qui, par ailleurs, ne discute pas sérieusement la motivation de l’intéressé dans le suivi de sa formation et la gravité de sa situation depuis la décision du 10 janvier 2018, n’allègue pas que ces capacités limités faisaient obstacle à ce qu’il propose à M. un accompagnement adapté en vue qu’il accède, à l’issue de sa prise en charge, à des conditions, notamment d’hébergement et d’alimentation, propres à lui permettre d’achever l’année scolaire et d’obtenir le diplôme préparé. Dans ces conditions, il est manifeste que le département requérant n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que le juge des référés du tribunal administratif a jugé que, dans les circonstances particulières de l’espèce, sa carence caractérisée porterait une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale justifiant qu’il soit enjoint au président du conseil départemental de Seine-et-Marne de proposer, dans les huit jours, à M. un accompagnement comportant l’accès à une solution de logement et de prise en charge de ses besoins alimentaires et sanitaires, moyennant éventuellement une participation financière de M. tenant compte de ses revenus, afin de lui permettre la poursuite de sa scolarité jusqu’à la fin de l’année scolaire.

[…]. »

Décision disponible en format pdf ci-dessous  :

CE_13042018_419537
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