Résumé :
Une mineure isolée ressortissante marocaine prise en charge après 16 ans, devenue majeure, dépose une demande de renouvellement de son autorisation de travail dans le cadre de sa carte de séjour portant la mention « salariée ». Postérieurement au dépôt de sa demande de renouvellement, elle est licenciée pour cause réelle et sérieuse avant même que le préfet ne statue sur la demande de renouvellement. Par la suite, le préfet refuse le renouvellement au motif que la perte involontaire d’emploi n’avait pas encore eu lieu au moment du dépôt de la demande.
La Cour administrative d’appel, par une application combinée des articles R.5221-32 et R.5221-33 du code du travail, estime que l’étranger involontairement privé d’emploi après le dépôt de la première demande de renouvellement d’autorisation de travail et de séjour, doit voir son autorisation de travail prorogée d’un an. Alors même qu’à la date du dépôt de la première demande de renouvellement de titre de séjour l’étranger n’est pas privé d’emploi, lorsque cette condition est remplie au jour où le préfet statue et qu’il en a connaissance, ces dispositions impliquent qu’il examine si la privation d’emploi intervenue peut être regardée comme involontaire.
Extraits :
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4. D’autre part, aux termes de l’article R. 5221-32 du code du travail reprenant les dispositions de l’article R. 341-5 du même code : “ Le renouvellement d’une autorisation de travail mentionnée à l’article R. 5221-11 est sollicité dans le courant des deux mois précédant son expiration. / La demande de renouvellement est accompagnée de documents dont la liste est fixée par arrêté conjoint des ministres chargés de l’immigration et du travail. / L’autorisation de travail est renouvelée dans la limite de la durée du contrat de travail restant à courir ou de la mission restant à accomplir en France “. Enfin, aux termes de l’article R. 5221-33 du même code : “ Par dérogation à l’article R. 5221-32, la validité de l’autorisation de travail mentionnée au 8° de l’article R. 5221-3 est prorogée d’un an lorsque l’étranger se trouve involontairement privé d’emploi à la date de la première demande de renouvellement. / Si, au terme de cette période de prorogation, l’étranger est toujours privé d’emploi, il est statué sur sa demande compte tenu de ses droits au regard du régime d’indemnisation des travailleurs involontairement privés d’emploi “. Le 8° de l’article R. 5221-3 mentionne la carte de séjour temporaire mention “ salarié “ comme valant autorisation de travail.
5. L’accord franco-marocain renvoie sur tous les points qu’il ne traite pas à la législation nationale, en particulier aux dispositions pertinentes du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et du code du travail pour autant qu’elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l’accord et nécessaires à sa mise en oeuvre. Il en va ainsi des dispositions des articles R. 5221-32 et suivants du code du travail relatives aux conditions dans lesquelles est appréciée la situation des étrangers titulaires d’un titre de séjour “ salarié “ qui se trouvent involontairement privés d’emploi à la date de la première demande de renouvellement.
6. Il ressort des pièces du dossier que Mme s’est vu délivrer le 25 août 2015 une carte de séjour “ salarié “ valable jusqu’au 24 août 2016 pour travailler à temps non complet dans une société de restauration, avec laquelle elle a signé un contrat à durée indéterminée le 3 août 2015. Elle a été licenciée le 24 novembre 2016 pour cause réelle et sérieuse. Ainsi, la rupture des liens unissant Mme à son employeur procède d’une décision de ce dernier. Quand bien même ce licenciement résulterait de ses absences pour raisons de santé, emportant des conséquences sur la bonne marche de l’entreprise, la requérante doit être regardée comme se trouvant involontairement privée d’emploi. Si à la date de la première demande de renouvellement, Mme n’était pas involontairement privée d’emploi, dès lors qu’elle justifiait d’un contrat en cours lui ouvrant droit au bénéfice des dispositions précitées de l’article R. 5221-32 du code du travail, cette condition était remplie au jour où le préfet de la Haute-Garonne, qui avait connaissance de son licenciement, a statué sur la demande. Dans de telles circonstances, les dispositions combinées des articles R. 5221-32 et R. 5221-33 du code du travail impliquent que le préfet examine si la privation d’emploi intervenue pendant l’instruction, et sur laquelle il s’est fondé, peut être regardée comme involontaire. Dans ces conditions, Mme est fondée à soutenir que la décision de refus de titre de séjour méconnaît les dispositions de l’article R. 5221-33 du code du travail.
7. En outre, il ressort des pièces du dossier que Mme a été prise en charge par l’aide sociale à l’enfance en tant que mineur isolé en novembre 2012 et qu’elle établit ainsi sa présence en France depuis plus de cinq ans. Mme a suivi, en dépit de ses difficultés d’apprentissage ayant justifié la reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé en mars 2015, un parcours scolaire méritant lui ayant permis d’obtenir le titre professionnel d’agent de restauration en août 2015. Elle produit des rapports d’évaluation, un bilan de stage et un résultat d’évaluation témoignant de sa persévérance, de sa motivation ainsi que de ses efforts pour réussir son intégration tant scolaire que sociale et professionnelle. A sa majorité, elle a bénéficié d’une carte de séjour portant la mention “ travailleur temporaire “ du 1er septembre 2014 au 31 août 2015, puis après avoir sollicité son changement de statut vers celui de salarié, elle s’est vu délivrer une carte de séjour temporaire du 25 août 2015 au 24 août 2016. Dans ces conditions, et bien que ses parents résident dans son pays d’origine, alors au demeurant qu’elle a subi des violences de la part de sa père et qu’elle n’a pas de contact avec sa mère, Mme est fondée à soutenir qu’en refusant de lui délivrer un titre de séjour, le préfet de la Haute-Garonne a commis une erreur manifeste dans l’appréciation des conséquences de la décision sur sa situation personnelle.
8. Dès lors, il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a refusé d’annuler la décision attaquée. Il y a lieu, par voie de conséquence, d’annuler les décisions obligeant l’intéressée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi.
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