Faits et procédure
Le requérant, mineur isolé de nationalité afghane, a vécu plusieurs mois dans le bidonville de la lande de Calais avant d’en être évacué lors du démantèlement. Un recensement des mineur.e.s isolé.e.s présent.e.s sur la lande a été effectué suite à une ordonnance du juge des référés, mais aucune mise à l’abri n’a eu lieu. En outre, une décision du juge des enfants ordonnant le placement provisoire du requérant n’a pas été exécutée.
Il soutient une violation de l’article 3 en raison du défaut de prise en charge par les autorités françaises avant et après le démantèlement de la "lande" de Calais, ainsi que des conséquences que cette évacuation ont entrainé sur sa situation personnelle.
Il soutient également une violation de l’article 8 en raison de la destruction de la cabane dans laquelle il vivait, constitutif de son domicile.
Décision :
La Cour conclut à la violation de l’article 3 de la CESDH.
En premier lieu, la Cour rappelle l’obligation des États parties à protéger et prendre en charge les mineur.e.s étranger.e.s non accompagné.e.s au titre des obligations positives découlant de l’article 3 de la Convention.
En l’espèce, le requérant, âgé de 12 ans, a vécu six mois dans un environnement manifestement inadapté à sa condition d’enfant, "que ce soit en termes de sécurité, de logement, d’hygiène ou d’accès à la nourriture et aux soins, et dans une précarité inacceptable au regard de son jeune âge".
La Cour relève l’insuffisance des moyens mis en oeuvre par les autorités françaises pour identifier les mineur.e.s isolé.e.s étranger.e.s présent.e.s sur la lande de Calais, les prendre en charge et les protéger. Elle relève également l’inexécution de l’ordonnance du juge des enfants plaçant provisoirement le mineur.
Ce sont ces éléments qui ont permis à la Cour de conclure à la violation des obligations pesant sur l’État et d’estimer que le seuil de gravité requis par l’article 3 a été atteint. C’est en ce sens que la situation du requérant est constitutive d’un traitement dégradant.
Extraits de l’arrêt :
« […].
44. La Cour relève que les États qui, tel l’État défendeur, sont parties à la Convention relative aux droits de l’enfant, sont tenus en vertu de l’article 20 de celle-ci de garantir à tout enfant « temporairement ou définitivement privé de son milieu familial » relevant de leur juridiction « une protection de remplacement conforme à sa législation nationale » ; l’article 2 précise que cette obligation s’impose quelle que soit l’origine nationale de l’enfant (paragraphe 38 ci-dessus). Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour qu’au titre des obligations positives découlant de
l’article 3 de la Convention, les États parties sont tenus de protéger et de prendre en charge les mineurs étrangers non accompagnés
[…]
74. Dans les affaires relatives à l’accueil d’étrangers mineurs, accompagnés ou non accompagnés, il convient de garder à l’esprit que la situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant est déterminante et prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal (voir, par exemple, N.T.P. et autres c. France, n° 68862/13, § 44, 24 mai 2018, ainsi que les arrêts auxquels il renvoie, et Rahimi, précité, § 87). La Cour a ainsi souligné dans l’arrêt Rahimi précité (ibidem) qu’en tant que mineur étranger non accompagné en situation irrégulière, le requérant relevait de la « catégorie des personnes les plus vulnérables de la société », et qu’il appartenait à l’État grec de le protéger et de le prendre en charge par l’adoption de mesures adéquates au titre des obligations positives découlant de l’article 3.
85. Ainsi, à défaut de prise en charge par les autorités et malgré le soutien qu’il a pu trouver auprès d’organisations non gouvernementales présentes sur la lande, le requérant a vécu durant six mois dans un environnement manifestement inadapté à sa condition d’enfant, caractérisé notamment par l’insalubrité, la précarité et l’insécurité. C’est au demeurant au motif de la situation de danger dans laquelle il se trouvait et de l’intensification de celle-ci dans le contexte du démantèlement de la zone Sud de la lande, que le juge des enfants du tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer a, le 22 février 2016, ordonné qu’il soit confié à l’aide sociale à l’enfance (paragraphe 31 ci-dessus).
[…]
88. D’après la Cour, le fait qu’il ait fallu attendre que le juge des enfants ordonne le placement du requérant pour que son cas soit effectivement considéré par les autorités compétentes conduit en lui-même à s’interroger sur le respect à son égard, par l’État défendeur, de l’obligation de protection et de prise en charge des mineurs isolés étrangers qui résulte de l’article 3 de la Convention (paragraphe 74 ci-dessus). Il en découle que jusque-là, les autorités compétentes n’avaient pas même identifié le requérant comme tel alors qu’il se trouvait sur le site de la lande depuis plusieurs mois et que son jeune âge aurait dû tout particulièrement attirer leur attention.
[…]
92. Eu égard aux constats ci-dessus, la Cour n’est toutefois pas convaincue que les autorités, qui ont omis d’exécuter l’ordonnance du juge des enfants du tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer du 22 février 2016 ordonnant le placement provisoire du requérant, ont fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour répondre à l’obligation de prise en charge et de protection de ce dernier, qui pesait sur l’État défendeur s’agissant d’un mineur isolé étranger en situation irrégulière âgé de douze ans, c’est-à-dire d’un individu relevant de la catégorie des personnes les plus vulnérables de la société (paragraphe 74 ci-dessus).
93. Le requérant a ainsi vécu durant plusieurs mois dans le bidonville de la lande de Calais, dans un environnement totalement inadapté à sa condition d’enfant, que ce soit en termes de sécurité, de logement, d’hygiène ou d’accès à la nourriture et aux soins, et dans une précarité inacceptable au regard de son jeune âge.
94. La Cour estime que ces circonstances particulièrement graves et l’inexécution de l’ordonnance du juge des enfants destinée à protéger le requérant, examinées ensemble, constituent une violation des obligations pesant sur l’État défendeur, et que le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention est atteint. Elle en déduit que le requérant s’est trouvé, par la carence des autorités françaises, dans une situation contraire à cette disposition, qu’elle juge constitutive d’un traitement dégradant.
[…]. »
Voir l’arrêt :
Voir le communiqué de presse :