Saisi de la situation d’un mineur isolé de nationalité algérienne arrivé en Espagne, le Comité dans sa décision CRC/C/81/D/16/2017 du 31 mai 2019, constate que l’Espagne a violé plusieurs articles de la Convention internationale des droits de l’enfant, notamment les garanties attachées à l’intérêt supérieur de l’enfant et au droit à l’identité (articles 3 et 8 de la CIDE) et l’article 12 de la Convention (droit pour un enfant d’exprimer librement son opinion), ainsi que l’article 6 du Protocole facultatif.
Le Comité des droits de l’enfant a conclu que la procédure de détermination de l’âge n’a pas respecté les garanties nécessaires, notamment en le soumettant à un examen médical osseux visant à déterminer son âge en l’absence de représentant pour l’accompagner pendant la procédure, alors même que le mineur présentait un acte de naissance dont la valeur probante a été rejetée sans avoir procédé à une quelconque vérification auprès des autorités consulaires algériennes.
Extraits de la décision :
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12.3 Le Comité rappelle que la détermination de l’âge d’une personne jeune qui affirme être mineure revêt une importance capitale, puisque le résultat de cette procédure permet d’établir si la personne en question pourra ou non prétendre à la protection de l’État en qualité d’enfant. De même, et cela est extrêmement important pour le Comité, la jouissance des droits consacrés par la Convention est liée à cette détermination. Il est donc impératif de prévoir une procédure de détermination de l’âge adéquate, ainsi que la possibilité d’en contester les résultats au moyen d’une procédure de recours. Tant que les procédures en question sont en cours, il faudrait accorder à l’intéressé le bénéfice du doute et le traiter comme un enfant. Par conséquent, le Comité rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale tout au long de la procédure de détermination de l’âge.
12.4 Le Comité rappelle également qu’en l’absence de documents d’identité ou d’autres moyens appropriés pour obtenir une estimation éclairée de l’âge, les États devraient procéder à une évaluation complète du développement physique et psychologique de l’enfant, qui soit effectuée par des pédiatres et d’autres professionnels capables de combiner différents aspects du développement. Ces évaluations devraient être faites sans attendre, d’une manière respectueuse de l’enfant qui tienne compte de son sexe et soit culturellement adaptée, et comporter des entretiens avec l’enfant dans une langue que celui-ci comprend. Les documents qui sont disponibles devraient être considérés comme authentiques, sauf preuve du contraire, et les déclarations des enfants doivent être prises en considération. De plus, il est essentiel que la personne évaluée ait le bénéfice du doute. Les États devraient s’abstenir d’utiliser des méthodes médicales fondées, notamment, sur les analyses osseuses et dentaires, qui peuvent être imprécises, comporter de grandes marges d’erreur, et peuvent aussi être traumatisantes et entraîner des procédures juridiques inutiles.
12.5 En l’espèce, le Comité constate que : a) l’auteur, qui était sans papiers lorsqu’il est entré sur le territoire espagnol, a été soumis à un examen médical osseux visant à déterminer son âge, en l’espèce une radiographie de sa main gauche, sans qu’aucun autre examen complémentaire, en particulier un examen psychosocial, ne soit mené et sans que le moindre entretien ne soit conduit avec l’intéressé dans le cadre de cette procédure ; b) sur la base des résultats du seul examen pratiqué, l’hôpital en question a établi que l’âge osseux de l’auteur était supérieur à 19 ans selon l’atlas de Greulich et Pyle, sans qu’aucune marge d’erreur ne soit signalée ; c) sur la base de ces résultats médicaux, le parquet de la province d’Almería a conclu que l’auteur était majeur ; d) le parquet n’a pas tenu compte de la copie de l’acte de naissance présentée par l’auteur le 22 mai 2017 en vue d’un éventuel réexamen de la décision établissant sa majorité.
12.6 L’État partie renvoie à l’affaire M. E. B. c. Espagne comme précédent qui démontrerait la fiabilité de l’examen radiographique fondé sur l’atlas de Greulich et Pyle. Le Comité constate toutefois que de nombreux éléments d’information versés au dossier laissent entrevoir le manque de précision de cet examen, qui comporte une grande marge d’erreur et ne saurait donc être la seule méthode utilisée pour déterminer l’âge chronologique d’une personne jeune qui affirme être mineure et qui présente des documents à l’appui de ses dires.
12.7 Le Comité (...) rappelle néanmoins son observation générale n°6 dans laquelle il établit qu’il ne faut pas se fonder uniquement sur l’apparence physique de l’individu mais aussi sur son degré de maturité psychologique, que l’évaluation doit être menée scientifiquement, dans le souci de la sécurité de l’enfant, de manière adaptée à son statut d’enfant et à son sexe et équitablement, et qu’en cas d’incertitude persistante, le bénéfice du doute doit être accordé à l’intéressé, qu’il convient de traiter comme un enfant si la possibilité existe qu’il s’agisse effectivement d’un mineur.
12.8 Le Comité (...) rappelle que les États parties sont tenus d’assigner gratuitement un représentant légal qualifié ayant les connaissances linguistiques nécessaires à tous les jeunes gens qui affirment être mineurs, le plus rapidement possible après leur arrivée sur leur territoire. Il considère que le fait de faciliter la représentation de ces jeunes au cours de la procédure de détermination de l’âge revient à leur accorder le bénéfice du doute et constitue une garantie essentielle pour le respect de leur intérêt supérieur et de leur droit d’être entendu. Ne pas le faire constitue une violation des articles 3 et 12 de la Convention, puisque la procédure de détermination de l’âge est le point de départ de l’application de la Convention. Le défaut de représentation adéquate peut donner lieu à une injustice importante.
12.9 À la lumière de tout ce qui précède, le Comité considère que la procédure de détermination de l’âge à laquelle a été soumis l’auteur, qui a déclaré être un enfant puis présenté une preuve de ce qu’il avançait, n’a pas été assortie des garanties nécessaires à la protection des droits que l’auteur tient de la Convention. En l’espèce, et en particulier dans le contexte de l’examen pratiqué pour déterminer l’âge de l’auteur, de l’absence de représentant pour l’accompagner pendant la procédure et du rejet presque systématique de la valeur probante de l’acte de naissance qu’il a présenté, alors que l’État partie n’a même pas pris officiellement connaissance des données fournies et qu’en cas de doute, il ne les a pas fait confirmer par les autorités consulaires algériennes, le Comité estime que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été une considération primordiale pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle l’auteur a été soumis, en violation des articles 3 et 12 de la Convention.
12.10 (...) Le Comité considère que l’âge et la date de naissance d’un enfant relèvent de son identité et que les États parties sont tenus de respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, sans le priver d’aucun des éléments qui la constituent. En l’espèce, il fait observer que l’État partie n’a pas respecté l’identité de l’auteur, alors même que celui-ci avait présenté aux autorités espagnoles une copie de son acte de naissance sur lequel figuraient des données sur son identité, en refusant d’accorder une quelconque valeur probante à la copie en question, sans avoir fait réaliser par les autorités compétentes un examen en bonne et due forme des données indiquées sur l’acte et sans avoir non plus vérifié ces données auprès des autorités du pays d’origine de l’auteur. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a violé l’article 8 de la Convention.
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12.12 Enfin, le Comité prend note des allégations de l’auteur concernant le non-respect par l’État partie de la mesure provisoire consistant à le transférer dans un centre de protection de l’enfance tant que son cas serait à l’examen. Le Comité rappelle que les États parties ayant ratifié le Protocole facultatif ont pour obligation internationale de mettre en œuvre les mesures provisoires demandées en application de l’article 6 du Protocole afin d’éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé avant qu’il ne prenne une décision sur une communication, l’objectif étant d’assurer l’efficacité de la procédure de présentation de communications émanant de particuliers34. En l’espèce, il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le transfert de l’auteur dans un centre de protection de l’enfance pourrait mettre gravement en danger les enfants accueillis dans ces centres. Il fait toutefois observer que cet argument repose sur l’hypothèse que l’auteur est majeur. Il estime que le plus risqué est d’envoyer une personne potentiellement mineure dans un centre qui n’accueille que des individus reconnus comme adultes. En conséquence, le Comité considère que le non-respect de la mesure provisoire demandée constitue en lui-même une violation de l’article 6 du Protocole facultatif.
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