Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) – Cinquième section – Arrêt du 10 octobre 2019 – Affaire M.D. c. France – Seuil de gravité non atteint – Non-violation de l’article 3 de la CESDH

Faits et procédure :

Les faits concernent un mineur isolé de nationalité guinéenne confié à l’ASE par une ordonnance du juge des tutelles. Le mineur bénéficia d’une prise en charge par le département jusqu’à ce que la Cour d’appel, sur appel du Président du Conseil général, infirma l’ordonnance, retenant les résultats des tests osseux. La prise en charge pris fin pour une durée d’environ 14 mois. Le requérant, ayant obtenu un passeport des autorités guinéennes confirmant son état civil de mineur, saisit le juge des enfants. Au regard de ce nouveau document, le juge des enfants prit une mesure d’assistance éducative jusqu’à sa majorité.

Le requérant invoque les articles 3 et 13 de la Convention se plaignant d’avoir été abandonné par les autorités françaises dans une situation matérielle précaire, sans aucune possibilité de recours.

Décision :

Sur la détermination de la minorité du requérant, la Cour rappelle le pouvoir d’appréciation laissé aux autorités nationales compte tenu de cette "tâche délicate lorsqu’elles doivent évaluer l’authenticité d’actes d’état civil".

Afin de déterminer si les faits de l’espèce sont contraires à l’article 3 de la Convention, la Cour examine les faits par périodes successives.

Pour les périodes de prise en charge par l’ASE, elle constate qu’il a bénéficié d’une prise en charge complète avec la désignation d’un représentant légal, l’hébergement et la scolarisation. En ce sens, il n’a pas lieu de considérer qu’il a subi un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

Concernant la période de 14 mois sans aucune prise en charge, considéré comme majeur, en situation de rue ou à l’internat, la Cour reproche au requérant de ne pas donner d’élément précis quant à ses conditions effectives de vie. Elle constate tout de même qu’il est resté sans solution d’hébergement pendant quarante nuits, en tant que demandeur d’asile majeur, mais "qu’il ne saurait être reproché aux autorités françaises d’être restées indifférentes à sa situation". Par voie de conséquence, elle estime que le seuil de gravité de l’article 3 n’a pas été atteint, en reconnaissant que la période "était difficile", mais qu’elle ne constituait pas un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

Rappel : Le critère du seuil minimum de gravité de l’article 3 de la CESDH

Selon la jurisprudence bien établie de la Cour, un mauvais traitement doit atteindre un seuil minimum de gravité pour tomber sous le coup de l’article 3. La Cour estime que l’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé.


Extraits de l’arrêt :

« […].

93. La Cour a dit à de nombreuses reprises que pour tomber sous le coup de l’interdiction contenue à l’article 3 de la Convention, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (M.S.S. c. Belgique et Grèce précité, § 219, Svinarenko et Slyadnev c. Russie [GC], n°32541/08 et 43441/08, §114, 17 juillet 2014 et Tarakhel c. Suisse [GC], n° 29217/12, § 94, CEDH 2014 (extraits).

94. Par ailleurs, la Cour rappelle que dans les affaires relatives à l’accueil d’étrangers mineurs, accompagnés ou non accompagnés, il convient de garder à l’esprit que la situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant est déterminante et prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal (voir, par exemple, Rahimi c. Grèce, précité, N.T.P. et autres c. France, n° 68862/13, § 44, 24 mai 2018 et la jurisprudence citée et Khan c. France, n° 12267/16, § 73 à 75, 28 février 2019).

95. Enfin, la Cour a admis que les autorités nationales se trouvent devant une tâche délicate lorsqu’elles doivent évaluer l’authenticité d’actes d’état civil, en raison des difficultés résultant parfois du dysfonctionnement des services de l’état civil de certains pays d’origine des migrants et des risques de fraude qui y sont associés. Les autorités nationales sont en principe mieux placées pour établir les faits sur la base des preuves recueillies par elle ou produites devant elles et il faut donc leur réserver un certain pouvoir d’appréciation à cet égard. Il en est de même à l’égard de la décision de pratiquer un examen médical des enfants (voir sur ces points, Mugenzi c. France, n° 52701/09, § 51, 10 juillet 2014).

[…]

110. Dans ces conditions, même si le requérant est resté sans solution pendant quarante nuits alors qu’il avait la qualité de demandeur d’asile majeur, la Cour conclut qu’il ne saurait être reproché aux autorités françaises d’être restées indifférentes à sa situation. Par ailleurs, hormis pour ces quarante nuits pour lesquelles il ne donne que peu de précisions si
ce n’est qu’il en a passé certaines dans le hall du CHU, le requérant n’établit pas ne pas avoir été en mesure de faire face à ses besoins élémentaires (M.S.S c. Belgique et Grèce, précité, § 254, Sufi et Elmi c. Royaume-Uni, n° 8319/07 et 11449/07, § 283, 28 juin 2011, F.H. c. Grèce, n° 78456/11, § 107, 31 juillet 2014 et Amadou c. Grèce, n° 37991/11, § 58, 4 février 2016). La Cour constate également que, contrairement à d’autres affaires (voir notamment M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 254-263 et Sufi et Elmi c. Royaume-Uni, précité, § 291), le requérant n’était pas dénué de perspective de voir sa situation s’améliorer.

[…]. »

Voir l’arrêt :

CEDH - 10 octobre 2019 - M.D c. France

Voir le communiqué de presse :

CM - 10 octobre 2019 - M.D c. France
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