Source : Cour de Cassation, 1e chambre civile
Date : Arrêt du 16 octobre 2019 n°959
Cour de cassation
Première chambre civile
16 octobre 2019
N° 19-17.358
Arrêt n°959 FD
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par M. Z A, domicilié établissement Alteralia, résidence Eugène Hénaff, ..., ..., contre l’arrêt rendu le 18 décembre 2018 par la cour d’appel de Paris (pôle 3, chambre 6), dans le litige l’opposant au conseil départemental de Seine Saint Denis, dont le siège est immeuble Picasso, ..., ..., défendeur à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l’audience publique du 15 octobre 2019, où étaient présents : Mme Batut, président, M. Hascher, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mme Berthomier, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de M. A, de la SCP Lyon Caen et Thiriez, avocat du conseil départemental de Seine Saint Denis, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Vu l’article 47 du code civil :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Z A a saisi le juge des enfants le 22 mai 2017 afin d’être confié à l’aide sociale à l’enfance, se déclarant mineur pour être né le 22 octobre 2001 à Bamako (Mali) et isolé sur le territoire français ;
Attendu que, pour donner mainlevée de la mesure de placement et d’assistance éducative, l’arrêt constate que le rapport du 16 juillet 2018 du bureau de la fraude documentaire, chargé de l’examen approfondi de l’acte de naissance et du jugement supplétif d’acte de naissance produits par l’intéressé, observe que le délai d’appel du jugement supplétif n’a pas été respecté et en déduit que ces documents sont non probants ;
Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était tenue, les dispositions du droit malien soumettant la régularité des actes de naissance aux conditions par elle énoncées, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 18 décembre 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;
Condamne le conseil départemental de Seine Saint Denis aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize octobre deux mille dix neuf.
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MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour M. A
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir donné mainlevée à compter du 2 février 2018 de la décision ayant confié Z A auprès de l’Aide sociale à l’enfance de Seine Saint Denis et d’avoir dit n’y avoir plus lieu à assistance éducative au profit de X se disant Z A ;
Aux motifs propres que la procédure d’assistance éducative est applicable à tous les mineurs non émancipés qui se trouvent sur le territoire français quelle que soit leur nationalité, si leur santé, leur moralité, leur sécurité sont en danger ou si les conditions de leur éducation ou de leur développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ; aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l’état civil des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes en usage dans ce pays, fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenues, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles que cet acte est irrégulier ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ; en application de l’article 388 du code civil, les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge, en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé ; les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d’erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l’intéressé est mineur ; le doute profite à l’intéressé ; en l’espèce, le bureau de la fraude documentaire ne s’est pas contredit puisque le 13 juin 2017 il ne donnait pas d’avis favorable ni défavorable sur l’extrait d’acte de naissance et le jugement supplétif de naissance ;le rapport du 16 juillet 2018 constate les mêmes conformités que les précédentes mais ajoute une analyse juridique en faisant observer que le délai d’appel du jugement supplétif n’avait pas été respecté ; l’appelant qui ne critique pas ces constats objectifs ne remet pas en cause sérieusement l’avis défavorable de la DEFDI relativement à l’acte de naissance et au jugement supplétif ; par ailleurs, ces actes ne peuvent se rattacher en tout état de cause de façon certaine à la personne de l’appelant ; la carte d’identité consulaire, déclarée conforme, établie à partir de cet acte de naissance ne peut davantage faire foi, de même que le passeport déclaré conforme et établi en 2018 à partir de l’acte de naissance et du jugement supplétif non probants ; le bureau des fraudes a d’ailleurs pris soin de mentionner dans ses rapports de juillet 2018, à côté de la conformité du passeport et de la carte d’identité consulaire, l’observation relative au non respect du délai d’appel entre le jugement et sa transcription ; en outre rien ne permet d’écarter l’évaluation du PEMIE laquelle ne fait ressortir aucune difficulté de compréhension, l’entretien ayant eu lieu en langue Y, mais relève au contraire que ce dernier a su changer immédiatement de version lorsqu’il était face à des contradictions émanant de son propre discours ; le rapport, qui se fonde sur des éléments concrets, relatifs notamment à son parcours de vie et de migration, fait état non seulement du caractère peu crédible de certains de ses propos, des oublis et des imprécisions de date mais aussi de capacités de raisonnement et d’un développement physique ne correspondant pas à l’âge allégué ; enfin l’expertise dont les conditions de réalisation ne sont pas critiquées fait apparaître que l’âge osseux et l’âge dentaire sont supérieurs à 18 ans et que ces résultats ne sont pas compatibles avec l’âge allégué de 16 ans ; ce rapport, qui conclut à un âge physiologique supérieur à 8 ans et dont le manque de fiabilité allégué n’est pas démontré est un autre indice en faveur de la majorité de l’intéressé ; au vu de l’ensemble de ces éléments, la minorité de Z A n’est pas établie et le jugement déféré sera confirmé ;
Et aux motifs adoptés que, par ordonnance de placement provisoire (OPP) du 22 mai 2017, X se disant Z A a été confié à l’ASE 93 pour une durée de six mois, le mineur ayant un rendez vous auprès du PEMIE le 7 juillet 2017 à 15 heures pour une évaluation de sa situation et de sa minorité et ayant produit à l’audience un acte de naissance ; une expertise d’âge osseux était également ordonnée le 7 août 2017 après que le rapport du PEMIE ait émis un avis défavorable quant à la minorité de Z A ; par OPP du 30 novembre 2017, la décision ayant confié X se disant Z A à l’ASE 93 a été maintenue pour une durée de trois mois dans l’attente d’une expertise d’âge osseux ; vu le rapport d’expertise d’âge osseux de l’Hôtel Dieu de Paris enregistrée par le greffe de céans le 6 décembre 2017 qui a conclu à sa majorité ; vu la note de situation transmise par l’ ASE 93 le 26 janvier 2018, vu l’audience de ce jour en présence de X se disant Z A accompagné par un membre de l’association Alteralia et de la remplaçante du référent ASE de la situation, le jeune homme maintenant le fait qu’il est mineur ; il ressort des débats et des éléments du dossier que l’évaluation du PEMIE et l’expertise d’âge osseux ont conclu à la majorité de X se disant Z A, que les documents d’identité qu’il a produits et qui ne porte pas sa photographie ne peuvent lui être rattachés ; en conséquence, au vu de la majorité de X se disant Z A, une mainlevée de la décision de placement sera prononcée ainsi qu’un plus lieu à assistance éducative ;
1 ) Alors que tout acte de l’état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ; qu’en se fondant, pour décider que l’acte de naissance et le jugement supplétif d’acte de naissance de Z A ne pouvaient bénéficier du jeu de la présomption de l’article 47 du code civil, sur le défaut du respect du délai d’appel entre le jugement supplétif d’acte de naissance et sa transcription, la cour d’appel, qui a statué par des motifs impropres à révéler une incohérence entre l’âge allégué par Z A et son âge réel, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 47 du code civil ;
2 ) Alors que l’appréciation de la régularité de l’acte de l’état civil étranger par le juge du for doit se faire selon les prescriptions de la loi de l’autorité ayant dressé l’acte ; qu’en se bornant en l’espèce à affirmer que le délai d’appel entre le jugement supplétif d’acte de naissance et sa transcription n’avait pas été respecté, sans rechercher, comme elle y était tenue, les dispositions du droit malien soumettant la régularité des extraits d’actes de naissance aux conditions par elle énoncées, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 47 du code civil ;
3 ) Alors que tout acte de l’état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ; qu’il en résulte que si le juge peut ordonner une expertise médicale aux fins de vérifier l’exactitude d’un acte fait en pays étranger et de rechercher l’âge de la personne qui invoque cet acte, c’est à la condition qu’il existe au préalable des éléments permettant de douter de la régularité de l’acte d’état civil fait en pays étranger, propres à renverser la présomption d’authenticité qui lui est par principe reconnu ; qu’en se bornant, pour passer outre l’acte de naissance et le jugement supplétif d’acte de naissance du 7 mars 2017 qui le désignait comme mineur, à relever péremptoirement que ces actes ne pouvaient se rattacher de façon certaine à la personne de Z A, sans exposer au préalable quels éléments auraient permis de douter de la régularité de ces actes présentés par l’intéressé et auraient rendu nécessaire le recours à une telle expertise, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 47 du code civil ;
4 ) Alors que, même à considérer que l’ensemble des documents produits par Z A n’étaient pas de nature à établir son âge, la cour d’appel n’en devait pas moins, pour décider que l’état de minorité de Z A n’était pas établi, justifier sa décision par des considérations de nature à démontrer que l’âge avancé par ce dernier ne pouvait correspondre à la réalité ; qu’en l’espèce, en se bornant à se référer aux conclusions de l’évaluation du PEMIE faisant état du caractère peu crédible de certains de ses propos, des oublis et des imprécisions de date mais aussi de capacité de raisonnement et d’un développement physique ne correspondant pas à l’âge allégué, sans examiner elle même – et alors que Z A était présent à l’audience – si l’âge avancé par ce dernier était cohérent avec son âge réel, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 375 du code civil ; 5 ) Alors que les tests osseux ne peuvent être réalisés que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé ; qu’en se bornant à énoncer que l’expertise faisait apparaître que l’âge osseux et l’âge dentaire étaient supérieurs à 18 ans et que ces résultats n’étaient pas compatibles avec l’âge allégué de 16 ans, sans constater que Z A avait donné son consentement à l’expertise, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 388 du code civil.