Source : L’ODAE romand
Date : 28 octobre 2019
Présentation :
« La volonté d’une politique migratoire stricte, la suspicion et la crainte de supposés « abus » l’emportent encore trop souvent sur le devoir de protection des personnes et sur le respect de leurs droits fondamentaux.
C’est le bilan que tire l’ODAE romand de ses observations de terrain sur les deux dernières années, synthétisées dans son 9e rapport d’observation. Et dont chaque constat est étayé par un ou plusieurs exemples concrets.
Dans le domaine du droit de la libre circulation (ALCP), quand il s’agit de la prolongation d’un statut ou de regroupement familial, certaines autorités portent atteinte à l’Etat de droit en appliquant des critères non prévus par cette loi, en fondant leur décision sur une jurisprudence inadéquate, et en ignorant les droits spécifiques conférés par l’ALCP.
Dans le domaine du droit des étrangers, les personnes font aussi face à des exigences inconsidérées ou illégales et à des décisions erronées, ainsi qu’à de nombreuses incertitudes et tracasseries administratives. Quant aux femmes migrantes victimes de violences conjugales, elles sont confrontées à d’importantes difficultés pour voir leur permis renouvelé lorsqu’elles se séparent de leur mari violent.
Dans le domaine du droit d’asile, le règlement Dublin, appliqué de manière quasi automatique, donne toujours lieu à des situations dramatiques. Lorsqu’il s’agit d’examiner les demandes sur le fond, les critères d’octroi de l’asile restent restrictifs, ou se durcissent comme pour les Erythréen·ne·s. Les personnes en quête d’asile font face à de nombreux obstacles administratifs et il est très difficile pour elles de prouver la vraisemblance des persécutions subies ou qu’elles risquent dans leurs pays d’origine. Pour les personnes ayant reçu une réponse négative, les conditions de vie en Suisse, les mesures de détention et les pratiques de renvois restent préoccupantes. Enfin, la situation des personnes admises à titre provisoire et celle des mineur·e·s non accompagné·e·s et des jeunes adultes sont extrêmement précaires.
Les situations concrètes décrites au fil des pages de ce rapport rappellent qu’au-delà de l’abstraction des textes de loi, leur application au jour le jour concerne les vies de nombreuses personnes. Elles posent la question de la proportionnalité de certaines décisions au regard des droits fondamentaux.
Elles montrent aussi que le travail de défense effectué par les mandataires est essentiel. Pourtant, combien de personnes ne bénéficient pas d’une défense de qualité ou renoncent à faire reconnaître leurs droits face à une procédure éprouvante ? Trop souvent encore les voix des personnes sont réduites au silence, les parcours sont oubliés et les droits sont niés. »
Extraits :
« 6. MNA ET JEUNES ADULTES : DROITS DE L’ENFANT OUBLIÉS POUR LES ENFANTS MIGRANT∙E∙S
La situation des mineur∙e∙s non accompagné∙e∙s (MNA) fait partie des préoccupations principales des personnes actives sur le terrain de l’asile. Plusieurs problèmes sont soulevés. Premièrement, la question de la détermination de l’âge. En effet, dans la pratique, il n’est pas aisé de faire reconnaître la minorité notamment parce que les examens menés par les autorités sont controversés. Deuxièmement, la question de la prise en charge des MNA fait régulièrement couler de l’encre et suscite la mobilisation. Dans son dernier rapport d’observation, l’ODAE romand s’intéressait tout particulièrement à cette problématique qui reste malheureusement d’actualité.
Selon les chiffres du SEM58, les demandes des MNA représentent 2% des demandes d’asile en Suisse en 2018 (7,3% en 2016). Entre 2016 et 2018, leur nombre est passé de 1997 à 401 (la baisse concerne l’ensemble des demandes d’asile depuis 2015). Des mesures spécifiques sont prévues pour la prise en charge et la procédure d’asile des mineur∙e∙s. Les autorités ont notamment l’obligation de traiter leurs demandes en priorité et de nommer une personne de confiance (art. 17 LAsi et art. 7 OA1). En cas de renvoi, les autorités doivent garantir que des membres de la famille ou des structures d’accueil adéquates dans le pays d’origine puissent garantir une prise en charge (art. 69 al. 4 LEI). La Suisse a adopté plusieurs conventions internationales qui donnent des droits spécifiques aux enfants, en particulier la Convention sur les droits de l’enfant. Celle-ci ordonne à l’État de respecter l’intérêt supérieur de l’enfant dans toute décision administrative (art. 3 CDE).
6.1 RECONNAISSANCE DE L’ÂGE
L’une des difficultés rencontrées par les RMNA est de faire reconnaître leur minorité. Les examens médicaux pratiqués pour la détermination de l’âge sont critiqués pour leur aspect invasif et approximatif. La Société suisse de pédiatrie a rappelé qu’aucune méthode scientifique ne permettait d’établir avec certitude l’âge d’un·e jeune entre 15 et 20 ans.
Or, la reconnaissance de l’âge est déterminante pour que les mineur∙e∙s puissent bénéficier des mesures spéciales prévues pour leur protection. Le fardeau de la preuve de l’âge repose sur les RMNA et en cas de doute, ce n’est pas forcément la présomption de minorité qui l’emporte.
6.2 DROITS DE L’ENFANT MALMENÉS DANS LES PROCÉDURES D’ASILE
En ce qui concerne les conditions d’accueil des MNA, elles font régulièrement l’objet de revendications portées par divers milieux qui pointent des dysfonctionnements. Encadrement insuffisant, disparitions, inégalités de traitements entre les cantons : les défis liés au respect des droits de l’enfant sont nombreux. En février 2018, la Cour des comptes de Genève a publié un rapport qui décrit en détail l’état de la situation des MNA dans le canton et révèle plusieurs lacunes au niveau de l’encadrement, de l’hébergement, de la santé et de la scolarisation. Cette autorité a établi une liste de 12 recommandations visant principalement à mieux définir les besoins spécifiques et la prise en charge des MNA. Elle a rappelé qu’ils et elles doivent être d’abord considéré·e·s et traité·e·s comme des enfants avant d’être considéré·e·s comme des migrant·e·s. Les enfants qui migrent avec leurs parents sont également touché∙e∙s par des décisions de renvoi qui ne prennent pas en compte leur intérêt supérieur, comme par exemple pour « Sebhat », un bébé qui s’est retrouvé à la rue avec sa mère après leur renvoi par la Suisse en Italie (voir p. 19). Par ailleurs, les mineur∙e∙s qui arrivent seul∙e∙s en Suisse sans y demander l’asile se retrouvent parfois dans des conditions extrêmement précaires, hors des structures de l’État, sans scolarisation ni encadrement.
6.3 JEUNES ADULTES
Lorsque la majorité est atteinte pendant la procédure, un·e jeune ne peut plus bénéficier des mesures spécifiques énumérées précédemment. Ainsi, le 18e anniversaire représente parfois un couperet, alors que l’entrée dans l’âge adulte ne se fait pas du jour au lendemain. Début février 2019, environ 200 personnes se sont réunies lors des premières assises romandes sur la situation des jeunes débouté∙e∙s de l’asile privé∙e∙s de formation. L’événement intervient dans un contexte d’inquiétudes quant au nombre croissant de jeunes devant interrompre leur apprentissage à la suite du rejet de leur demande d’asile et qui se retrouvent sans perspectives, peu importe le parcours réalisé jusque-là. Il a réuni des jeunes, des patron∙ne∙s contraint∙e∙s de congédier ces jeunes, des professionnel∙le∙s œuvrant dans leur accompagnement et des familles de parrainage. Un appel portant la voix de ces différentes catégories de personnes a été rédigé à cette occasion. Il demande aux autorités fédérales et cantonales de permettre aux jeunes, même débouté∙e∙s de l’asile, de mener à terme leur formation. Des assises sur la question des enfants et jeunes migrant·e·s non accompagné·e·s, ainsi que diverses mobilisations ont également eu lieu à Genève, après le suicide d’un jeune afghan dans un foyer. Le canton avait déjà été secoué par le suicide d’un jeune érythréen à l’été 2018. »
Rapport disponible au format pdf ci-dessous :