Communiqué : disponible ici
Résumé :
Les associations requérantes demandent l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 30 janvier 2019 relatif aux modalités d’évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel relatif à ces personnes.
Le Conseil d’Etat considère que "les requérants sont seulement fondés à demander l’annulation de l’article 6 du décret" relatif à la date d’entrée en vigueur dudit décret et rejette le surplus des conclusions des requêtes.
Il apporte toutefois des précisions sur la façon d’appliquer le décret afin d’éviter toute interprétation abusive, notamment l’interdiction du président du conseil départemental de fonder sa décision sur le seul refus de l’intéressé à fournir les informations nécessaires à l’interrogation ou au renseignement des traitements de fichiers, ni sur le seul constat qu’il serait déjà enregistré dans l’un deux.
Extraits de la décision :
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5. Le texte publié au Journal officiel de la République française du décret attaqué ne précise pas la date à laquelle il entre en vigueur et, à son article 6, fixe au lendemain de sa publication la date d’entrée en vigueur de l’article 51 de la loi du 10 septembre 2018. Or il ressort de l’examen des pièces versées au dossier par le ministre de l’intérieur que tant le projet initial du Gouvernement que le texte adopté par la section de l’intérieur du Conseil d’Etat fixaient au 1er janvier 2019 la date d’entrée en vigueur de l’article 51 de la loi du 10 septembre 2018 et du décret lui-même. Par suite, l’article 6 du décret attaqué a été adopté en méconnaissances des règles qui gouvernent l’examen par le Conseil d’Etat des projets de décret. En revanche, le décret ne comporte pas d’autre disposition qui différerait tant du projet initial du Gouvernement que du texte adopté par la section de l’intérieur. Il y a lieu d’annuler, par suite, l’article 6 du décret attaqué, ce dont il résulte que ce décret n’a été légalement applicable qu’à compter du 1er mars 2019, date de l’entrée en vigueur de l’article 51 de la loi du 10 septembre 2018 en l’absence d’autre date fixée par décret en Conseil d’Etat.
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10. Le décret attaqué, d’une part, modifie le II de l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles précisant les éléments sur lesquels le président du conseil départemental peut s’appuyer pour évaluer la situation d’une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille. Ces éléments comprennent désormais non seulement les entretiens conduits avec la personne dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire, les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge réalisés sur décision de l’autorité judiciaire en vertu de l’article 388 du code civil et le concours du préfet de département ou du préfet de police pour vérifier l’authenticité des documents détenus par la personne, mais également les informations fournies par ces autorités pour aider à la détermination de l’identité et de la situation de la personne, laquelle doit, à cette fin, communiquer aux agents habilités des préfectures toute information utile à son identification et au renseignement du traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « appui à l’évaluation de la minorité » (AEM). D’autre part, en application de l’article L. 611-6-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le décret définit les caractéristiques de ce traitement, qu’il autorise le ministre de l’intérieur à mettre en œuvre et dans lequel peuvent être enregistrées certaines données à caractère personnel des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, et, dans le but d’aider à la détermination de l’identité de ces personnes, modifie les dispositions applicables au traitement « application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France » (AGDREF2) et au traitement automatisé de données à caractère personnel relatives aux étrangers sollicitant la délivrance d’un visa ou « VISABIO ».En revanche, le décret ne modifie pas l’étendue des obligations du président du conseil départemental en ce qui concerne l’accueil provisoire d’urgence des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille, non plus que sa compétence pour évaluer, sur la base d’un faisceau d’indices, leur situation, notamment quant à leur âge, et ne l’autorise pas à prendre une décision qui serait fondée sur le seul refus de l’intéressé de fournir les informations nécessaires à l’interrogation ou au renseignement des traitements mentionnés ci-dessus ni sur le seul constat qu’il serait déjà enregistré dans l’un d’eux.
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14. En deuxième lieu, le décret attaqué prévoit que, lorsque le président du conseil départemental a sollicité le concours du préfet, la personne qui se présente comme mineure et privée de la protection de sa famille communique aux agents habilités des préfectures toute information utile à son identification et au renseignement du traitement dénommé « appui à l’évaluation de la minorité ». Tout d’abord, la circonstance que l’intéressé soit ainsi amené à se rendre en préfecture et à y être accueilli par des agents habituellement chargés de la mise en œuvre de la réglementation concernant les ressortissants étrangers, à qui il appartient, au demeurant, de prendre en compte la situation de vulnérabilité de la personne se présentant comme mineure et privée de la protection de sa famille, n’est pas, en elle-même, contraire à l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ensuite, il résulte des dispositions combinées du quatrième alinéa du II de l’article R. 221- 11 et de l’article R. 221-15-2 du code de l’action sociale et des familles, issues du décret attaqué, que les agents en cause, qui sont spécialement habilités à cet effet, se bornent à recueillir la photographie de la personne se déclarant mineur non accompagné, ses empreintes digitales et des informations utiles à son identification ou au renseignement du traitement « appui à l’évaluation de la minorité », après une information appropriée prévue par l’article R. 221-15-8 que le décret attaqué insère dans le même code. L’intervention des agents des préfectures a pour seul objet de fournir au président du conseil départemental des informations permettant d’aider à la détermination de l’identité et de la situation de la personne, qui sont alors l’un des éléments de l’évaluation qui doit être conduite, en vertu du III de l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles, par les services du département, ou de la structure du secteur public ou du secteur associatif à laquelle cette mission a été déléguée par le président du conseil départemental. Elle est distincte des entretiens menés avec les intéressés par les professionnels de ces services ou structures, en application du septième alinéa du II du même article, dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire. Enfin, d’une part, il résulte des articles L. 221-1, L. 223-2 et R. 221-11 du même code que, sous réserve des cas où la condition de minorité ne serait à l’évidence pas remplie, il incombe aux autorités du département de mettre en place un accueil provisoire d’urgence pour toute personne se déclarant mineure et privée de la protection de sa famille, confrontée à des difficultés risquant de mettre en danger sa santé, sa sécurité ou sa moralité, sans pouvoir subordonner le bénéfice de cet accueil à la communication par l’intéressé des informations utiles à son identification et au renseignement du traitement « appui à l’évaluation de la minorité » ni au résultat de l’éventuelle sollicitation des services de l’Etat. D’autre part, il résulte des dispositions du décret attaqué, notamment du 5° de l’article R. 221-15-8 du code de l’action sociale et des familles, qu’une mesure d’éloignement ne peut être prise contre la personne que si, de nationalité étrangère, elle a été évaluée comme majeure, et après un examen de sa situation.
15. En troisième lieu, en prévoyant que la personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille « communique aux agents habilités des préfectures toute information utile à son identification », les dispositions de l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles issues du décret attaqué permettent la communication des informations nécessaires à son identification et à la vérification de ce qu’elle n’a pas déjà fait l’objet d’une évaluation de son âge, au moyen de la consultation des traitements « AGDREF2 » et « VISABIO » mentionnés aux articles R. 611-1 et R. 611-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et du traitement « appui à l’évaluation de la minorité » autorisé par le décret attaqué, pour donner au président du conseil départemental les informations permettant d’aider à la détermination de son identité et de sa situation. Dès lors que les seules informations pouvant être enregistrées sont celles nécessaires au renseignement du traitement « appui à l’évaluation de la minorité », qui sont limitativement énumérées par l’article R. 221-15-2 du code de l’action sociale et des familles, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l’absence de définition précise des informations pouvant être demandées par les agents des préfectures exposerait les intéressés au risque que les informations qu’ils communiquent soient utilisées à d’autres fins que la protection de l’enfance.
16. En quatrième lieu, si le décret attaqué dispose que le président du conseil départemental est informé d’un éventuel refus de l’intéressé de communiquer aux agents habilités des préfectures les informations mentionnées au quatrième alinéa du II de l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles, il ne prévoit aucune sanction à ce refus. A cet égard, l’évaluation de la minorité a pour objet d’apprécier, à partir d’un faisceau d’indices, la vraisemblance des affirmations de la personne se déclarant mineure et privée de la protection de sa famille et la majorité de l’intéressé ne saurait être déduite de son seul refus de communiquer les informations ainsi mentionnées.
17. En cinquième lieu, en vertu de l’article L. 511-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’étranger mineur de dix-huit ans ne peut faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français. Si le décret attaqué prévoit, au neuvième alinéa du II de l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles, que lorsque le président du conseil départemental a sollicité le concours du représentant de l’Etat dans le département, il notifie à ce dernier la date à laquelle l’évaluation de la situation de la personne a pris fin, en précisant s’il estime que la personne est
majeure ou mineure, il n’a ni pour objet ni pour effet de modifier les règles destinées à assurer la protection effective des étrangers de moins de dix-huit ans contre les mesures d’éloignement. Cette protection ne fait pas obstacle à ce qu’une mesure d’éloignement soit prise par l’autorité administrative à l’égard d’une personne dont elle estime, au terme de l’examen de sa situation, qu’elle est majeure, alors même qu’elle allèguerait être mineure. Elle implique en revanche que, saisi dans le cadre du recours suspensif ouvert contre une telle mesure, le juge administratif se prononce sur la minorité alléguée sauf, en cas de difficulté sérieuse, à ce qu’il saisisse l’autorité judiciaire d’une question préjudicielle portant sur l’état civil de l’intéressé. Dans l’hypothèse où une instance serait en cours devant le juge des enfants, le juge administratif peut surseoir à statuer si une telle mesure est utile à la bonne administration de la justice. Lorsque le doute persiste au vu de l’ensemble des éléments recueillis, il doit profiter à la qualité de mineur de l’intéressé.
[...]. »
Décision disponible au format pdf ci-dessous :