Tribunal administratif de Nice – Ordonnance n°2000571 du 07 février 2020 – Référé-liberté – Aucune décision de refus d’entrée sur le territoire ne peut être exécutée avant 48h pour les personnes sollicitant l’asile à la frontière – Le préfet des Alpes-Maritimes a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d’asile – Il lui est enjoint de faire toutes diligences pour que la demande d’asile de l’intéressé soit enregistrée et qu’il soit procédé à l’examen de sa demande

Résumé :

Un mineur isolé gambien a fait l’objet d’un contrôle à la frontière franco-italienne et a demandé à plusieurs reprises à déposer une demande d’asile. Il s’est vu remettre une décision de refus d’entrée sans la présence d’un interprète, sans avoir bénéficié d’un jour franc et sans avoir pu faire enregistrer sa demande d’asile et il n’est pas soutenu par le Préfet que M.X aurait présenté une demande d’asile en Italie.

Le juge des référés, statuant sur le fondement de l’art. L. 521-2 du code de justice administrative (« référé-liberté »), relève que le droit constitutionnel d’asile a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié ce qui implique que l’étranger qui sollicite l’asile soit autorisé à demeurer sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande. Le Tribunal considère qu’eu égard aux conséquences qu’entraînent un refus d’enregistrement d’une demande d’asile, la condition d’urgence est remplie et que le préfet a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d’asile.

Il est enjoint au préfet de faire toutes les diligences pour que la demande d’asile en France soit enregistrée et qu’il soit procédé à son examen.

Extraits :

« […].

5. Eu égard aux conséquences qu’entraînent un refus d’enregistrement d’une demande d’asile, la condition d’urgence particulière prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie dès lors que M. S soutient qu’il a demandé en vain à déposer une demande d’asile et qu’il résulte de l’instruction qu’il a été interpellé, le 4 février 2020, sur le territoire français et qu’il fait l’objet, le même jour, d’un refus d’entrée sur le territoire français.

6. Aux termes de l’article L. 213-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Tout refus d’entrée en France fait l’objet d’une décision écrite motivée prise, sauf en cas de demande d’asile, par un agent relevant d’une catégorie fixée par voie réglementaire./ Cette décision est notifiée à l’intéressé avec mention de son droit d’avertir ou de faire avertir la personne chez laquelle il a indiqué qu’il devait se rendre, son consulat ou le conseil de son choix, et, sauf à Mayotte, de refuser d’être rapatrié avant l’expiration du délai d’un jour franc. En cas de demande d’asile, la décision mentionne également son droit d’introduire un recours en annulation sur le fondement de l’article L. 213-9 et précise les voies et délais de ce recours. La décision et la notification des droits qui l’accompagne doivent lui être communiquées dans une langue qu’il comprend. L’étranger est invité à indiquer sur la notification s’il souhaite bénéficier du jour franc. L’étranger mineur non accompagné d’un représentant légal ne peut être rapatrié avant l’expiration du délai d’un jour franc prévu au présent alinéa./ Lorsque l’étranger ne parle pas le français, il est fait application de l’article L. 111-7./ La décision prononçant le refus d’entrée peut être exécutée d’office par l’administration ». Aux termes de l’article L. 213-8-1 de ce code : « La décision de refuser l’entrée en France à un étranger qui se présente à la frontière et demande à bénéficier du droit d’asile ne peut être prise par le ministre chargé de l’immigration que si / 1° L’examen de la demande d’asile relève de la compétence d’un autre Etat en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d’engagements identiques à ceux prévus par le même règlement avec d’autres Etats ; (...) ». Aux termes de l’article R. 213-2 de ce code : « Lorsque l’étranger qui se présente à la frontière demande à bénéficier du droit d’asile, il est informé sans délai, dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu’il la comprend, de la procédure de demande d’asile et de son déroulement, de ses droits et obligations au cours de cette procédure, des conséquences que pourrait avoir le non-respect de ses obligations ou le refus de coopérer avec les autorités et des moyens dont il dispose pour l’aider à présenter sa demande. / Lorsque l’examen de la demande d’asile est susceptible de relever de la responsabilité d’un autre Etat, l’étranger est informé, dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu’il la comprend, de l’application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dans les conditions fixées par son article 4 ». L’article L. 213-9 dispose que l’étranger qui a fait l’objet d’un refus d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile peut, dans les quarante-huit heures suivant la notification de ces décisions, en demander l’annulation au président du tribunal administratif et que la décision de refus d’entrée au titre de l’asile ne peut être exécutée avant l’expiration d’un délai de quarante-huit heures suivant sa notification ou, en cas de saisine du président du tribunal administratif, avant que ce dernier n’ait statué. Enfin, aux termes de l’article R 213- 8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Dans le cas prévu au 1° de l’article L. 213-8-1, l’autorité administrative compétente pour procéder à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile et prendre la décision de transfert vers cet Etat est le ministre chargé de l’immigration. La décision de refuser l’entrée en France au titre de l’asile n’a pas à faire l’objet d’une motivation distincte de celle de la décision de transfert. ».

7. Le droit constitutionnel d’asile, qui a le caractère d’une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié. Ce droit implique que l’étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit en principe autorisé à demeurer sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande. Le ministre chargé de l’immigration peut, sur le fondement des dispositions précitées de l’article L. 213-8-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, rejeter la demande d’asile d’un étranger se présentant aux frontières du territoire national notamment lorsque l’examen de cette demande d’asile relève de la compétence d’un autre Etat.

8. Les dispositions mentionnées précédemment prévoient un régime juridique spécifique pour les étrangers se présentant à la frontière et demandant à bénéficier du droit d’asile, excluant que la décision de refus d’entrée sur le territoire puisse être exécutée avant l’expiration d’un délai de quarante-huit heures suivant sa notification ou avant l’intervention de la décision du tribunal administratif en cas de recours. Aucune circonstance ne peut justifier le non-respect de ces dispositions à l’égard des étrangers se présentant à la frontière franco- italienne. Il appartient aux personnes qui soutiendraient qu’elles auraient été empêchées de déposer une demande d’asile de saisir le juge des référés du tribunal administratif, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

9. M. S, de nationalité gambienne, soutient qu’il a été contrôlé dans la nuit du 3 février 2020 alors qu’il se trouvait sur le territoire français, qu’il a demandé aux policiers qui ont procédé au contrôle à déposer une demande d’asile, qu’il a ensuite été conduit et maintenu au poste frontière de Menton-Pont Saint Louis où il a déclaré une nouvelle fois vouloir déposer une demande d’asile. Il fait également valoir qu’il s’est vu remettre une décision de refus d’entrée sans la présence d’un interprète, sans avoir bénéficier d’un jour franc et sans avoir pu faire enregistrer sa demande d’asile. Si le préfet des Alpes-Maritimes mentionne dans ses écritures que le requérant n’a pas fait part de son intention de déposer une demande d’asile, il n’apporte, toutefois, aucun élément, alors que la décision de refus d’entrée est peu circonstanciée et ne détaille pas, en tout état de cause, les conditions dans lesquelles le requérant a été entendu et notamment s’il a bénéficié d’un interprète, de nature à contredire les circonstances relatées par M. S. Il n’est pas soutenu, en défense, que l’intéressé aurait présenté une demande d’asile en Italie. Par suite, M. S est fondé à soutenir que le préfet des Alpes-Maritimes a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d’asile. Dès lors, il y lieu d’enjoindre au préfet des Alpes Maritimes de faire toutes diligences pour que la demande d’asile de M. S soit enregistrée et qu’il soit procédé à l’examen de sa demande.

[...]. »

Ordonnance disponible au format pdf ci-dessous :

TA_Nice_07022020_n°2000571
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