Résumé :
Un mineur isolé afghan contrôlé en France en provenance d’Italie s’est vu notifier une décision de refus d’entrée sur le territoire puis a été reconduit le lendemain à la frontière Italienne.
Le juge des référés, statuant sur le fondement de l’art. L. 521-2 du code de justice administrative (« référé-liberté »), relève que M.X a été renvoyé quelques heures après son interpellation, qu’il n’a donc pas bénéficié du délai d’un jour franc, et qu’il n’est pas établi qu’il ait été contrôlé en Italie ni qu’il aurait été pris en charge, de sorte que la condition d’urgence est remplie. Par ailleurs, le préfet n’apporte aucun élément permettant de lever le doute sur la minorité de M.X - le doute profite à l’intéressé (art. 388 du code civil). Il n’est pas non plus établi que le Procureur aurait été avisé en vue d’une désignation d’un administrateur ad hoc, ni que le Président du Conseil départemental aurait été informé pour évaluer la situation de M.X. Ainsi, "en agissant de la sorte, l’administration n’a pas accompli les diligences nécessaires pour réunir les informations qu’elle devait, dans le cas d’un mineur, s’efforcer, dans la mesure du possible, de collecter avant de procéder à son éloignement forcé. Il suit de là que la décision de refus d’entrée en France en litige est entachée d’une illégalité manifeste qui a porté et continue de porter gravement atteinte à l’intérêt de M.X".
La décision de refus d’entrée sur le territoire est suspendue, il est enjoint au préfet de prendre attache avec les autorités italiennes pour que M.X se voit délivrer un sauf-conduit lui permettant de se présenter au poste frontière de Menton et de mettre en œuvre l’ensemble des garanties légales.
Extraits :
« […].
En qui concerne l’urgence :
7. Il n’est pas contesté que M. X a été renvoyé, quelques heures après son interpellation, en Italie, après voir fait l’objet d’une décision de refus d’entrée. Il n’est pas établi qu’il aurait été contrôlé à ce jour en Italie ni que les autorités de ce pays l’auraient pris en charge administrativement. La condition d’urgence est donc remplie en l’espèce.
En ce qui concerne la minorité du requérant :
8. Aux termes de l’article 388 du code civil : « Le mineur est l’individu de l’un ou l’autre sexe qui n’a point encore l’âge de dix-huit ans accomplis. / Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge, en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé. / Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d’erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l’intéressé est mineur. Le doute profite à l’intéressé. / En cas de doute sur la minorité de l’intéressé, il ne peut être procédé à une évaluation de son âge à partir d’un examen du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires ».
9. Il résulte de l’instruction et notamment de la décision de refus d’entrée en France du 2 février 2020 que M. X, ressortissant afghan, a été interpellé le même jour, dans le train, en provenance d’Italie, vers 20 h 05, à hauteur de Menton. Si cette décision mentionne que M. X est « ... né le 01/01/2001 en Afghanistan... », ce dernier soutient qu’il a indiqué être né le 1er janvier 2003. Son conseil a versé au dossier une photographie d’un jeune homme qu’il présente comme étant M. X et ayant inscrit le chiffre 16 dans sa main. Si le préfet des Alpes-Maritimes indique que les fonctionnaires réalisent un examen individuel et approfondi des situations, il n’apporte, toutefois aucun élément, alors que la décision de refus d’entrée est peu circonstanciée et ne détaille pas, en tout état de cause, les conditions dans lesquelles le requérant a été entendu et notamment s’il a été entendu dans une langue qu’il comprend, permettant de lever le doute qui subsiste sur l’âge du requérant et qui doit donc profiter à l’intéressé.
En ce qui concerne l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :
10. La décision portant refus d’entrée en France d’un étranger mineur non accompagné d’un représentant légal et la décision de renvoi de ce dernier dans le pays de l’Union européenne dans lequel il a transité doivent être entourées des garanties particulières qu’appelle l’attention primordiale qui doit être accordée à l’intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant, en vertu de l’article 3 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant du 26 janvier 1990. Doit également être assuré le respect effectif des droits et libertés fondamentaux de l’enfant mineur. Au nombre des exigences permettant d’en garantir l’effectivité figure, notamment, l’obligation posée par l’article L. 213-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, pour l’autorité administrative, de ne pas rapatrier un étranger mineur non accompagné d’un représentant légal avant l’expiration du délai d’un jour franc.
11. Ainsi qu’il a été dit précédemment, M. X, qui déclare être mineur, a été contrôlé en France le 2 février 2020 vers 20 h 00 et s’est vu notifier une décision de refus d’entrée sur le territoire. Il a été reconduit le lendemain, à 11 h 15, à la frontière italienne. Le délai d’un jour franc prévu par les dispositions précitées de l’article L. 213-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’a donc pas été respecté. Il n’est, en l’espèce, ni établi ni même allégué par le préfet des Alpes Maritimes que le procureur de la République aurait été immédiatement avisé pour qu’il désigne un administrateur ad hoc ni que le président du Conseil départemental aurait été immédiatement informé afin de lui permettre d’évaluer la situation du requérant. L’autorité administrative ne s’est pas davantage préoccupée des conditions dans lesquelles le requérant serait pris en charge en Italie. En agissant de la sorte, l’administration n’a pas accompli les diligences nécessaires pour réunir les informations qu’elle devait, dans le cas d’un mineur, s’efforcer, dans la mesure du possible, de collecter avant de procéder à son éloignement forcé. Il suit de là que la décision de refus d’entrée en France en litige est entachée d’une illégalité manifeste qui a porté et continue de porter gravement atteinte à l’intérêt de M. X.
12. Il appartient au juge des référés, lorsque seule une mesure non provisoire est de nature à venir à bout d’une atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale, d’enjoindre à l’auteur de l’atteinte de prendre toute disposition de nature à sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale en cause. Il y a lieu, en l’espèce, pour le juge des référés de suspendre la décision du 2 février 2020 refusant l’entrée sur le territoire français de M. X d’une part et d’enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de prendre attache avec les autorités italiennes pour que M. X se voit remettre un sauf-conduit lui permettant de se présenter au poste frontière de Menton, de saisir immédiatement, dès que cette présentation sera effective, le procureur de la République pour qu’il désigne un administrateur ad hoc, de délivrer ensuite à M. X dans une langue qu’il comprend une information complète sur ses droits et obligations en matière d’asile et d’informer également le président du conseil départemental des Alpes-Maritimes afin de lui permettre d’évaluer la situation du requérant, d’autre part.
[...]. »
Ordonnance disponible au format pdf ci-dessous :