Résumé :
Un mineur isolé ressortissant malien fait l’objet d’un refus d’admission à l’aide sociale à l’enfance par le conseil départemental. En possession de documents d’état civil, il saisit le juge des enfants et l’audience est reportée à une date ultérieure indéterminée suite aux mesures prises dans le cadre de l’épidémie de Covid-19.
Le juge des référés, statuant sur le fondement de l’art. L. 521-2 du code de justice administrative (« référé-liberté »), retient que les documents d’état civil versés au débat ne sont pas contestés en défense. En outre, la Ville de Paris ne conteste pas sérieusement que le requérant est seul, sans famille connue, dépourvu de ressources et sans hébergement.
Compte tenu de la situation d’urgence sanitaire nécessitant un confinement généralisé des personnes et de la saisine pendante du tribunal pour enfants de Paris, le tribunal administratif considère que le refus de la Ville de Paris de prendre en charge l’hébergement de l’intéressé constitue une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
La Ville de Paris est alors enjoint de prendre en charge le mineur sous 48h dans une structure agréée protection de l’enfance jusqu’à ce que l’autorité judiciaire se prononce définitivement sur la question de la minorité.
Extraits :
« […].
En ce qui concerne la condition d’urgence :
3. M. fait valoir sans être contredit qu’il est dépourvu d’hébergement et de moyen de subsistance et qu’il se trouve exposé à des risques sanitaires accrus d’exposition et de contamination au Covid-19. Ainsi, dès lors que l’intéressé se trouve dans une situation de grande détresse et de vulnérabilité extrême l’empêchant en outre de respecter l’obligation de confinement posée par le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 et de se protéger de l’épidémie actuelle de Covid-19, il y a lieu de considérer que la condition d’urgence requise par l’article L. 521-2 du code de justice administrative est remplie.
[...].
En ce qui concerne l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :
5. Il résulte de ces dispositions qu’il incombe aux autorités du département, le cas échéant dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants, de prendre en charge l’hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l’aide sociale à l’enfance. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu’un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l’accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
6. L’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 du code de justice administrative est subordonnée au constat que la situation litigieuse permet de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Il incombe, dès lors, au juge des référés d’apprécier, dans chaque cas, en tenant compte des moyens dont l’administration départementale dispose ainsi que de la situation du mineur intéressé, quelles sont les mesures qui peuvent être utilement ordonnées sur le fondement de l’article L. 521-2 et qui, compte tenu de l’urgence, peuvent revêtir toutes modalités provisoires de nature à faire cesser l’atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale, dans l’attente d’un accueil du mineur dans un établissement ou un service autorisé, un lieu de vie et d’accueil ou une famille d’accueil si celui-ci n’est pas matériellement possible à très bref délai.
[...].
8. M. ressortissant malien, qui a déclaré être né le 10 juillet 2003 à ... (Mali), a sollicité sa prise sa charge au titre de l’aide sociale à l’enfance auprès de la Ville de Paris et a été reçu, à cet effet, le 2 mars 2020 dans le cadre du dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers (DEMIE) de la Croix-Rouge Française. Par une décision du 3 mars 2020, la Ville de Paris a rejeté sa demande au motif que l’entretien d’évaluation n’avait pas permis de conclure à sa minorité et son isolement. Le 3 avril 2020, le requérant a demandé au juge des enfants du tribunal de grande instance de Paris que soit ordonné son placement auprès de l’aide sociale à l’enfance sur le fondement des dispositions de l’article 375 du code civil. Les audiences du tribunal pour enfants de Paris ayant été suspendues à la suite des mesures prises pour faire face à l’épidémie de Covid-19, l’examen de la demande de M. se trouve reportée à une date ultérieure indéterminée.
9. A l’appui de sa requête, M. produit des documents d’état civil constitués d’un extrait d’acte de naissance et d’un extrait du jugement supplétif d’acte de naissance, qu’il a également déposés lors de sa saisine du tribunal pour enfants de Paris le 3 avril 2020 et qui indiquent une date de naissance au 10 juillet 2003, portant l’âge présumé du requérant à 16 ans et 9 mois à la date de la présente ordonnance. Il ne résulte d’aucun élément de l’instruction que ces documents d’état civil versés au débat, qui ne sont pas contestés en défense et qui contredisent l’appréciation portée tant par le DEMIE de la Croix-Rouge Française que par les services de la Ville de Paris, seraient irréguliers, falsifiés ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondraient pas à la réalité. Par ailleurs, la Ville de Paris, qui n’établit pas que la prise en charge de M. excéderait ses capacités, ne conteste pas sérieusement que le requérant est seul, sans famille connue, dépourvu de ressources et sans hébergement. Dans les circonstances de l’espèce, eu égard, d’une part, à la situation d’urgence sanitaire nécessitant un confinement généralisé des personnes se trouvant sur le territoire français pour assurer la protection générale de la population et, d’autre part, à la saisine pendante du tribunal pour enfants de Paris, il y a lieu de considérer, en l’état de l’instruction, que le refus de la Ville de Paris de prendre en charge l’hébergement de M. révèle une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
[...]. »
Ordonnance disponible en format pdf ci-dessous :