Résumé :
Un mineur isolé confié à l’aide sociale à l’enfance après 16 ans, justifiant de 6 mois de formation qualifiante, ayant obtenu un CAP et étant sur le point d’être embauché, dépose à sa majorité une demande de titre de séjour sur le fondement de l’article L.313-15 du CESEDA. A l’appui de sa demande, il produit un jugement supplétif légalisé par la Guinée, démarche réalisée avec l’aide de son équipe éducative. La préfète lui oppose un refus de titre de séjour en remettant en cause la signature de la légalisation et en relevant l’impossibilité de produire les actes de décès de ses parents démontrant les liens avec la famille au pays d’origine.
La Cour suspend l’exécution de l’arrêté par lequel la préfète a rejeté sa demande de titre de séjour et l’enjoint de réexaminer la situation de l’intéressé et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l’autorisant à travailler. La Cour retient qu’une nouvelle légalisation, même postérieure à la date de la décision contestée, tend, en l’état de l’instruction à redonner force probante aux documents d’état civil. De plus, elle soutient que la nature des liens avec la famille restée dans le pays d’origine ne constitue qu’un élément d’appréciation de la situation de l’intéressé. Elle conclut à une erreur de fait quant au caractère frauduleux des actes d’état civil et à une application inexacte des dispositions de l’article L. 313-15 du CESEDA.
Extraits :
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10. Pour demander le bénéfice d’un titre de séjour, M. a fourni un jugement supplétif tenant lieu d’acte de naissance du 19 mars 2018 et un extrait de registre d’état civil du 29 mars 2018. Il résulte de l’instruction et notamment des débats à l’audience que ce sont les encadrants du centre éducatif et professionnel (...) qui ont pris l’initiative, sur les conseils de l’ambassade de Guinée, d’envoyer le jugement supplétif en Guinée afin de le faire légaliser par le service des affaires étrangères. C’est ce document qui a été soumis à l’expertise d’un analyse en fraude documentaire et à l’identité de la police aux frontières qui a notamment mis en doute l’authenticité du cachet apposé sur le jugement supplétif et de la signature de la personne signataire de la légalisation. Au regard de ce rapport, M. accompagné de son éducatrice, s’est rendu à l’ambassade de Guinée à Paris pour faire état des doutes de l’administration française quant à l’authenticité du jugement supplétif et obtenir une nouvelle légalisation de ce document. Il n’est pas contesté et ressort des termes du jugement du tribunal administratif de Besançon du 13 octobre 2020 qu’une nouvelle légalisation a été obtenue sous la signature de la chargée d’affaires financières et consulaires. Il est produit dans le cadre de la présente instance une attestation de l’ambassadeur de Guinée en France aux termes de laquelle il est précisé que la signataire a bien qualité pour légaliser les documents d’état civil. Cette nouvelle légalisation, même postérieure à la date de la décision contestée, tend, en l’état de l’instruction, à redonner force probante aux documents d’état civil dont le requérant se prévaut.
11. D’autre part, lorsqu’il examine une demande de titre de séjour délivré à titre exceptionnel portant la mention "salarié" ou "travailleur temporaire", présentée sur le fondement de l’article L 313-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le préfet vérifie tout d’abord que l’étranger est dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entre dans les prévisions de l’article L.311-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l’ordre public et qu’il a été confié, entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans, au service de l’aide sociale à l’enfance . Si ces conditions sont remplies, le préfet ne peut alors refuser la délivrance du titre qu’en raison de la situation de l’intéressé appréciée de façon globale notamment au regard du caractère réel et sérieux du suivi de la formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d’origine et de l’avis de la structure d’accueil sur l’insertion de cet étranger dans la société française. Le juge de l’excès de pouvoir exerce un contrôle restreint sur les motifs de délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de l’article L 313-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
12. La seule circonstance que M. ait été dans l’impossibilité de produire les actes de décès de ses parents alors qu’il a pu obtenir les actes d’état civil le concernant ne peut démontrer qu’il a gardé des liens avec sa famille restée dans son pays d’origine. Par ailleurs et en tout état de cause, de tels liens ne peuvent à eux-seuls, justifier le refus de titre de séjour sur le fondement de l’article L 313-15 du CESEDA, la nature des liens avec la famille restée dans le pays d’origine ne constituant qu’un élément d’appréciation de la situation de l’intéressé.
13. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de l’erreur de fait quant au caractère frauduleux des actes d’état civil et d’une application inexacte des dispositions de l’article L 313-15 du CESEDA sont propres à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. Il y a en conséquence lieu de suspendre l’exécution de l’arrêté du 15 juin 2020 portant refus de titre de séjour et la mesure d’éloignement prise sur son fondement.
[…]. »
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