Résumé :
L’intéressée, jeune majeure de moins de 21 ans, s’est vue refuser la prise en charge sur le fondement du sixième alinéa de l’article L 222-5 du CASF au motif qu’elle était âgée de plus de 21 ans. Le Président du Conseil départemental s’est fondé sur un jugement du juge des enfants annulé par la Cour d’appel, ainsi que sur une ordonnance de la juge des tutelles retenant une date de naissance relevée par la consultation du fichier Visiabio.
Amené à se prononcer sur le fondement de l’art. L. 521-1 du code de justice administrative (« référé suspension »), le juge des référés retient que le président du conseil départemental a commis une erreur de droit en s’estimant lié par l’appréciation portée par la juridiction judiciaire sur la date de naissance de l’intéressée, et une erreur manifeste d’appréciation en estimant que Mme ne pouvait bénéficier d’une prise en charge sur le fondement du sixième alinéa de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles.
Extraits :
« […].
Sur la condition tenant à l’urgence :
9. Il résulte des termes mêmes du courrier du 19 octobre 2020 que, en raison de la décision formalisée par ce courrier rejetant la demande présentée par Mme sur le fondement du sixième alinéa de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles, l’intéressée a été pour la première fois expressément invitée à quitter le logement dont elle a pu bénéficier dans le cadre de la prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance qui a pris le fin le 3 décembre 2018 en lui indiquant qu’elle pouvait se rapprocher des services de l’Etat afin de trouver une solution d’hébergement. L’existence d’un maintien irrégulier dans ce logement lui a été rappelée dans le courrier du 20 janvier 2021 formalisant la décision en litige. Par un courrier du 10 février 2021, notifié à Mme le même jour, la responsable de service de l’Association "Abri de la Providence", propriétaire du logement, lui a indiqué qu’un professionnel du service se présentera au logement le jeudi 25 février 2021 à 17h30 afin d’effectuer l’état des lieux de sortie et la remise des clefs de ce logement, présenté par la signataire du courrier comme illégalement occupé depuis le 15 avril 2019. Ce même courrier précise qu’en cas de maintien dans les lieux, une procédure d’expulsion sera engagée. Quand bien même la période de sursis à toute mesure d’expulsion mentionnée au premier alinéa de l’article L. 412-6 du code des procédures civiles d’exécution qui devait prendre fin au 31 mars 2021 a été prolongée jusqu’au 31 mai 2021 en vertu de l’article 1er de l’ordonnance n° 2021-141 du 10 février 2021 relative au prolongement de la trêve hivernale, l’exécution de la décision du 20 janvier 2021, dès lors qu’elle aurait pour effet de priver de tout logement Mme qui ne dispose d’aucune ressources propres, ne bénéficie d’aucun soutien familial et poursuit une scolarité, porte une atteinte suffisamment grave et immédiate à sa situation.
[…]
Sur la condition à l ’existence d’un moyen propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision :
14. Le président du conseil départemental de Maine-et-Loire se prévaut, de manière constante, des décisions de la juridiction judiciaire concernant Mme ayant considéré que l’ intéressée était née le 13 avril 1999. Toutefois, il ne saurait légalement se fonder sur le jugement du 3 décembre 2018 de la juge des tutelles dès lors qu’il a été annulé par l’arrêt du 5 avril 2019 de la chambre spéciale des mineurs de la Cour d’appel d’Angers. L’ordonnance du 26 novembre 2018 de la juge des tutelles, rendue également sans que Mme ait pu être entendue, retient, comme au demeurant le jugement du 3 décembre 2018, une date de naissance fixée au 13 avril 1999 en s’appuyant essentiellement sur les résultats de la consultation du fichier Visabio, lesquels ont été par ailleurs déterminant des conclusions de l’évaluation réalisée le 14 septembre 2018 par les services de l’aide sociale à l’enfance de Maine-et Loire. Cette ordonnance du 26 novembre a été en outre rendue, de même d’ailleurs que ce jugement, à l’issue d’une procédure au cours de laquelle le certificat de naissance du 18 septembre 2018 n’a pu être produit puisque Mme n’a pas été mise à même d’être entendue, de sorte que sa valeur probante n’a pu être appréciée. Dans ces conditions, l’existence de ces décisions de la juridiction judiciaire, qui ne sont pas revêtues de l ’autorité de la chose jugée et qui ne saurait lier l’appréciation que doit porter le président du conseil départemental de Maine-et-Loire dans la mise en œuvre du 6ème alinéa de l’article L. 222-5 du code de l ’action sociale et des familles, ne constitue pas un élément de nature à renverser la présomption de valeur probante de l’acte d’état civil produit. De même, la seule détention d’un passeport, qui n’est au demeurant pas produit au dossier, mentionnant le 13 avril 1999 comme date de naissance, et dont Mme a soutenu de manière précise et constante depuis son entrée en France qu’il s’agissait d’un faux document destiné à la faire passer pour une majeure afin de pouvoir fuir l’Angola sans ses parents, sa mère étant décédée en 2009 et son père étant resté en Angola, ne permet pas davantage de remettre en cause la valeur probante du certificat de naissance produit, dont la mention relative à la date de naissance de l ’intéressée est au surplus confirmé par la carte d’identité de Mme, indiquant qu’elle est née le 13 avril 2002. Par suite, Mme doit être considérée comme étant âgée de moins de 21 ans à la date de la présente ordonnance.
15. En second lieu, il résulte de l’instruction, et n’est d’ailleurs pas contesté, que Mme éprouve des difficultés d’insertion sociale faute de ressources et en l’absence de soutien familial et que, pour surmonter ces difficultés d’insertion, elle suit, de manière sérieuse, ainsi qu’il en est attesté par le proviseur du lycée professionnel Simone Veil à Angers, une formation destinée à une qualification professionnelle dans le domaine des soins et des services à la
personne. Elle était inscrite, au cours de l’année 2019-2020, en seconde professionnelle au sein de ce lycée, et, au cours de la présente année scolaire, elle est inscrite en première.
16. Dans ces conditions, sont de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision en litige, d’abord, le moyen tiré de ce qu’en s’estimant lié par l ’appréciation portée par la juridiction judiciaire sur la date de naissance de l’intéressée, le président du conseil départemental de Maine-et-Loire a commis une erreur de droit, ensuite, le moyen tiré de ce que la décision en litige, qui retient implicitement mais nécessairement le 13 avril 1999 comme date
de naissance, est entachée d’erreur d’appréciation, enfin et surtout, le moyen tiré de ce qu’en estimant que Mme ne pouvait bénéficier d’une prise en charge sur le fondement du sixième alinéa de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles, le président du conseil départemental de Maine-et-Loire a commis une erreur manifeste d’appréciation.
[…]. »
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