Résumé :
Le Conseil d’Etat annule partiellement le décret du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d’un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour, ainsi que l’arrêté du 27 avril 2021 relatif aux titres de séjour dont la demande s’effectue au moyen d’un téléservice.
Tout en validant la possibilité de prévoir une obligation de recours au téléservice dans le cadre de démarches administratives, le Conseil d’Etat annule partiellement ces deux textes en se fondant sur l’absence de prévoyance :
- D’une part, des modalités d’accueil et d’accompagnement pourtant prévues au second alinéa de l’article R.431-2 du CESEDA. Un accueil et un accompagnement doivent être mis en place en faveur des personnes ne disposant pas d’un accès aux outils numériques ou rencontrant des difficultés pour procéder aux démarches en ligne.
- D’autre part, d’une solution de substitution au dépôt en ligne dans le cas où, malgré le recours au dispositif d’accueil et d’accompagnement mentionné ci-dessus, la personne serait dans l’impossibilité d’utiliser le téléservice.
En application de cette décision, le Conseil d’Etat précise que, dans l’attente que le décret soit complété par des dispositions organisant une solution de substitution au téléservice, si un étranger se trouve dans l’impossibilité de déposer sa demande de titre de séjour en ligne, l’autorité administrative est tenue de lui permettre le dépôt de celle-ci selon une autre modalité.
Extraits de la décision :
« 1. Le décret du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d’un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour modifie notamment les dispositions réglementaires du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatives à la délivrance des titres de séjour. L’article R. 431-2 de ce code, dans sa rédaction issue de ce décret, prévoit ainsi que, pour les catégories de titres de séjour figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de l’immigration, les demandes s’effectuent au moyen d’un téléservice à compter de la date fixée par le même arrêté. L’arrêté du 27 avril 2021 pris en application de l’article R. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction initiale, rend ces dispositions applicables à compter du 1er mai 2021 aux demandes de cartes de séjour temporaires portant la mention "étudiant" ou "étudiant-programme de mobilité", aux demandes de cartes de séjour pluriannuelles portant les mêmes mentions, et aux certificats de résidence algériens portant la mention "étudiant". […].
[…]
En ce qui concerne l’obligation d’accomplir des démarches administratives par la voie d’un téléservice :
6. En premier lieu, l’obligation d’avoir recours à un téléservice pour accomplir une démarche administrative auprès d’un service de l’Etat, et notamment pour demander la délivrance d’une autorisation, dès lors qu’elle n’a pas pour effet de modifier les conditions légales auxquelles est subordonnée sa délivrance, ne met pas en cause, par elle-même, les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, non plus qu’aucune autre règle ou aucun autre principe dont l’article 34 ou d’autres dispositions de la Constitution prévoient qu’ils relèvent du domaine de la loi.
7. Ces dispositions [articles L.112-8 et L.112-9 du code des relations entre le public et l’administration] créent, sauf lorsqu’y font obstacle les considérations mentionnées à l’article L. 112-10, un droit, pour les usagers, de saisir l’administration par voie électronique, sans le leur imposer. Contrairement à ce qui est soutenu, elles ne font cependant pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire édicte une obligation d’accomplir des démarches administratives par la voie d’un téléservice.
8. En troisième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, ni les principes d’égalité devant la loi, d’égalité devant le service public et de continuité du service public, ni le droit à la compensation du handicap énoncé par l’article L. 114-1-1 du code de l’action sociale et des familles, ni le principe de non-discrimination reconnu par l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni, en tout état de cause, les autres droits garantis par la même convention, l’article 9 de la convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées ou la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation du droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ne font obstacle, par principe, à ce que soit rendu obligatoire le recours à un téléservice pour accomplir une démarche administrative, et notamment pour demander la délivrance d’une autorisation.
9. Toutefois, le pouvoir réglementaire ne saurait édicter une telle obligation qu’à la condition de permettre l’accès normal des usagers au service public et de garantir aux personnes concernées l’exercice effectif de leurs droits. Il doit tenir compte de l’objet du service, du degré de complexité des démarches administratives en cause et de leurs conséquences pour les intéressés, des caractéristiques de l’outil numérique mis en oeuvre ainsi que de celles du public concerné, notamment, le cas échéant, de ses difficultés dans l’accès aux services en ligne ou dans leur maniement.
En ce qui concerne l’obligation faite aux ressortissants étrangers de présenter certaines demandes de titre de séjour par la voie d’un téléservice :
10. Eu égard aux caractéristiques du public concerné, à la diversité et à la complexité des situations des demandeurs et aux conséquences qu’a sur la situation d’un étranger, notamment sur son droit à se maintenir en France et, dans certains cas, à y travailler, l’enregistrement de sa demande, il incombe au pouvoir règlementaire, lorsqu’il impose le recours à un téléservice pour l’obtention de certains titres de séjour, de prévoir les dispositions nécessaires pour que bénéficient d’un accompagnement les personnes qui ne disposent pas d’un accès aux outils numériques ou qui rencontrent des difficultés soit dans leur utilisation, soit dans l’accomplissement des démarches administratives. Il lui incombe, en outre, pour les mêmes motifs, de garantir la possibilité de recourir à une solution de substitution, pour le cas où certains demandeurs se heurteraient, malgré cet accompagnement, à l’impossibilité de recourir au téléservice pour des raisons tenant à la conception de cet outil ou à son mode de fonctionnement.
11. Aux termes du second alinéa de l’article R. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction issue du décret contesté : " Les personnes qui ne sont pas en mesure d’effectuer elles-mêmes le dépôt en ligne de leur demande bénéficient d’un accueil et d’un accompagnement leur permettant d’accomplir cette formalité. Le ministre chargé de l’immigration fixe les modalités de cet accueil et de cet accompagnement." Ces dispositions font ainsi obligation au ministre de définir précisément, sous le contrôle du juge administratif, des modalités adaptées et de les rendre effectives, y compris par un accueil physique lorsqu’un accueil à distance ne suffit pas à assurer l’accompagnement approprié. En revanche, elles ne prévoient pas de solution de substitution destinée, par exception, à répondre au cas où, alors même que l’étranger aurait préalablement accompli toutes les diligences qui lui incombent et aurait notamment fait appel au dispositif d’accueil et d’accompagnement prévu, il se trouverait dans l’impossibilité d’utiliser le téléservice pour des raisons tenant à la conception de cet outil ou à son mode de fonctionnement. Les requérants sont, par suite, fondés à soutenir que sont entachés d’illégalité le décret attaqué en tant qu’il ne comporte pas de dispositions en ce sens, ainsi que, par voie de conséquence et dans la même mesure, l’arrêté du 27 avril 2021 qui, en application de ce décret, détermine les catégories de demandes qui doivent être effectuées au moyen du téléservice.
12. En outre, l’arrêté du 27 avril 2021 rend, pour les catégories de titres de séjour qu’il mentionne, l’obligation de recourir au téléservice applicable à compter du 1er mai de la même année. Il ressort des éléments produits par le ministre de l’intérieur en réponse à une mesure d’instruction ordonnée par la 10ème chambre de la section du contentieux que le ministre n’a fixé les modalités de l’accueil et de l’accompagnement imposées par le second alinéa de l’article R. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers que par une circulaire du 20 août 2021, qui prévoit leur mise en oeuvre complète à compter du 1er novembre 2021. L’arrêté du 27 avril 2021 est donc illégal en tant qu’il ne fixait pas ces modalités d’accueil et d’accompagnement.
[…].
16. Il résulte de tout ce qui précède que La Cimade et autres sont fondés à demander l’annulation du décret du 24 mars 2021 en tant qu’il ne prévoit pas la solution de substitution mentionnée au point 11 de la présente décision et de l’arrêté du 27 avril 2021, d’une part, dans la même mesure, et, d’autre part, en tant qu’il ne prévoyait pas les modalités d’accueil et d’accompagnement prévues au second alinéa de l’article R. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers en France.
17. Les annulations partielles motivées par l’absence de la solution de substitution mentionnée au point précédent impliquent nécessairement que le décret attaqué soit complété par des dispositions prévoyant celle-ci, en renvoyant, le cas échéant, au ministre compétent le soin d’en préciser les modalités. Dans l’attente que cette réglementation complémentaire soit édictée, ces mêmes annulations ont nécessairement pour conséquence que, si un étranger venait à se trouver, par l’effet des circonstances envisagées au point 11, confronté à l’impossibilité de déposer sa demande par la voie du téléservice, l’autorité administrative serait tenue, par exception, de permettre le dépôt de celle-ci selon une autre modalité.
[…]. »
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