Résumé :
Après une première évaluation à Paris concluant à sa minorité, une OPP a orienté l’intéressé vers l’ASE du département de Seine-Maritime où il a fait l’objet d’une seconde évaluation (le 15 février 2022). Par la suite, la juge des tutelles du Tribunal judiciaire de Rouen a rejeté la demande d’ouverture d’une tutelle (jugement ayant fait l’objet d’un appel). L’intéressé a alors saisi la juge des enfants afin de solliciter son placement à l’ASE.
La juge des enfants souligne tout d’abord que si le département peut présenter des observations devant le juge des enfants, il ne peut en revanche pas faire de demandes dans le cadre de cette procédure tant qu’il n’est pas désigné comme service gardien.
Surtout, elle retient qu’au titre de l’article L.221-2-5 du CASF (issu de la loi du 7 février 2022) la seconde évaluation en date du 15 février est illégale et donc nulle et non avenue. De plus, les informations issues des consultations AEM et VISABIO ne peuvent être retenues car fondées sur les conclusions de cette seconde évaluation et ne répondent pas aux obligations d’habilitations spécialisées.
La présomption de minorité est retenue par la juge des enfants au regard de la première évaluation et de l’acte de naissance malien présenté par l’intéressé. Concernant ce document, l’absence de numéro NINA ne peut en effet être retenue puisque cet élément n’était pas obligatoire au jour de sa naissance et les mentions en chiffre et en lettre ne rendent pas le document nécessairement faux. Par ailleurs, cet acte n’est pas soumis à l’obligation de double légalisation. Enfin, le fait que l’intéressé ait indiqué avoir utilisé un faux passeport (naissance en 1996) pour demander un visa ne peut suffire à renverser la présomption de minorité puisque cette déclaration a été faite devant la juge des tutelles sans son avocat et que l’intéressé affirme que les informations du passeport étaient fausses.
La juge des enfants ordonne alors son placement à l’ASE de Seine-Maritime.
« Le président du conseil départemental ne peut procéder à une nouvelle évaluation de la minorité et de l’état d’isolement du mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille lorsque ce dernier est orienté en application du troisième alinéa de l’article 375-5 du code civil ou lorsqu’il est confié à l’aide sociale à l’enfance en application du 3° de l’article 375-3 du même code. »
Extraits du jugement :
« S’agissant de la recevabilité des demandes du conseil départemental de la SEINE-MARITIME, il convient de relever que si le département peut être entendu en ses observations dans le cadre de la procédure devant la juge des enfants, il ne peut faire des demandes tant qu’il n’est pas désigné comme service gardien. [...].
[...]
S’agissant de la nullité de l’évaluation du SEMNA, il ressort document qu’il est intitulé "complément d’évaluation" et fait référence en page 2 à l’évaluation faite le 5 janvier 2022 à Paris. Il est donc manifeste que le département de SEINE-MARITIME a sollicité une seconde évaluation alors qu’il savait que M.A bénéficiait d’une orientation en tant que mineur et d’une procédure de placement en raison de sa minorité. Le document du SEMNA correspond à une évaluation complète avec les questions et les analyses habituelles en la matière, et est également qualifié de seconde évaluation par la juge des tutelles mineurs et par le conseil départemental de SEINE-MARITIME pour justifier la fin de la prise en charge.
Or, au regard de la loi du 7 février 2022, dit loi Taquet et de l’article L221-2-5 du code de l’action sociale et des familles entré en vigueur le 9 février 2022, une seconde évaluation d’un mineur déjà évalué n’est pas légale.
Ainsi, la réévaluation du SEMNA du 15 février 2022 est illégale donc nulle, et doit être considérée comme non avenue.
S’agissant des consultations des fichiers AEM et VISABIO, celles-ci se fondent sur les conclusions de la seconde évaluation. En outre, ces consultations ne répondent pas aux obligations d’habilitations spécialisées et le président du conseil départemental de SEINE-MARITIME n’apporte pas la preuve d’une consultation légale.
Ainsi, les informations issues des consultations AEM et VISABIO ne sont pas exploitables dans le cadre de l’évaluation de la minorité de M.A.
S’agissant de la présomption de minorité de M.A, il résulte des pièces produites au dossier et des débats que le requérant dispose d’un extrait d’acte de naissance malien comportant des mentions cohérentes avec ses déclarations, les tampons officiels et une date d’obtention compatible avec son parcours. Le numéro NINA n’était pas encore prévu au jour de sa naissance, puisqu’il est devenu obligatoire par une loi du mois d’août 2006. Les mentions en chiffre et en lettre sont des caractéristiques courantes dans les actes maliens, ne rendant pas le document nécessairement faux. Il n’y a donc pas d’irrégularité visible sur le document, qui n’est pas soumis à une obligation de double légalisation.
Ainsi, M.A bénéficie d’une présomption de minorité au regard du document d’état civil produit et de l’évaluation du DEMIE 75.
S’agissant des déclarations faites au cours de l’audition devant la juge des tutelles mineurs où il indique affirme avoir utilisé un faux passeport avec une année de naissance en 1996 pour demander un visa, elles ne peuvent à elles seules renverser la présomption de minorité au regard des conditions d’obtention de ces déclarations (sans avocat) et de l’absence de reconnaissance d’une date de naissance en 1996 par le requérant, qui affirme que les informations du passeport était fausses.
Ainsi, la présomption de minorité n’est pas renversée.
[…]. »
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