Conseil d’Etat – Ordonnance N°466355 du 8 août 2022 – Mise à l’abri d’un MIE en recours devant le juge des enfants - Référé-liberté

Résumé :

Faits

M.C, ressortissant camerounais se disant mineur et isolé sur le territoire français, a fait l’objet d’un accueil provisoire d’urgence par l’ASE du département de la Meuse. A la suite d’entretiens visant à déterminer sa minorité et son isolement, ainsi que d’un "examen osseux", le président du conseil départemental a pris un arrêté mettant fin à sa prise en charge. M.C a alors été hébergé dans une structure pour adultes au sein de laquelle il était exposé à des violences.

M.C a saisi le juge des enfants pour demander son placement à l’ASE et a par la suite également demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nancy, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (« référé-liberté »), d’enjoindre au président du conseil départemental de la Meuse d’assurer son hébergement, sa sécurité, sa vêture et sa nourriture jusqu’à décision du juge des enfants.

Le département de la Meuse demande ici au juge des référés du Conseil d’Etat d’annuler l’ordonnance du 19 juillet 2022 par laquelle le tribunal administratif de Nancy a enjoint au département de mettre à l’abri M.C dans un délai de 24 heures jusqu’à la notification de la décision du juge des enfants.


Décision du Conseil d’Etat :

Le Conseil d’Etat se prononce tout d’abord sur l’existence d’une atteinte portée à une liberté fondamentale. Il rappelle alors la responsabilité du département dans la prise en charge des mineurs confiés à l’ASE et précise que dans l’accomplissement de cette mission, lorsqu’une carence entraîne des conséquences graves pour le mineur, celle-ci porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat réaffirme ici (comme dégagé dans son ordonnance du 4 juin 2020 n°440686) que le juge du référé, statuant sur le fondement de l’article L.521-2, est compétent pour enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire lorsqu’il lui apparaît que l’appréciation portée par le département sur l’absence de qualité de mineur isolé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité.
En l’espèce, le Conseil d’Etat retient que les éléments soulevés par le département ne sont pas suffisants pour remettre en cause l’authenticité de l’acte de naissance produit (absence du cachet officiel de l’arrondissement de la ville où il a été établi et de la signature du déclarant) et que l’âge indiqué par ce document est compatible avec les tests osseux réalisés.

Se prononçant ensuite sur l’urgence, le Conseil d’Etat retient que M.C se trouve dans une situation de grave danger, aux prises avec des individus se livrant à la consommation et au trafic de stupéfiants (comme en atteste notamment la main-courante déposée par l’intéressé).

Le Conseil d’Etat rejette donc la requête du département de la Meuse.

RAPPEL – Le référé-liberté – Article 521-2 du code de justice administrative

« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »

RAPPEL – La compétence du juge administratif

Par une décision de principe du 1er juillet 2015, le Conseil d’État a déclaré incompétent le juge administratif pour examiner le refus du Conseil départemental d’admettre un mineur isolé étranger à l’ASE au motif qu’il existait une voie de recours devant le juge des enfants.

TOUTEFOIS, dans certains cas la saisine du Tribunal administratif demeure possible. Notamment :

• Le Conseil d’Etat confère aux mineurs la capacité d’effectuer des référés-liberté devant le juge administratif lorsqu’un département refuse de les prendre en charge malgré la décision judiciaire les y contraignant. Voir : Conseil d’Etat, 12 mars 2014, n°375956 ainsi que quatre décisions du 27 juillet 2016. (Dans certaines conditions, le juge peut également prononcer une injonction à l’égard de l’autorité de police générale).

• Surtout, en 2020, le Conseil d’Etat a ouvert la possibilité de faire appel au juge des référés pour des mineurs en recours devant le juge des enfants, afin de demander le prolongement de leur accueil provisoire, en affirmant qu’ : «  il appartient toutefois au juge du référé, statuant sur le fondement de l’article L 521- 2 du code de justice administrative, lorsqu’il lui apparait que l’appréciation portée par le département sur l’absence de qualité de mineur isolé de l’intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité, d’enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire ». (Voir : Conseil d’Etat, 4 juin 2020, n°440686).

Voir la décision du Conseil d’Etat au format PDF :

Conseil d’Etat – N°466355 du 8 août 2022

Voir l’ordonnance du TA de Nancy :

TA Nancy - Ordonnance N°220202 du 19 juillet 2022
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