Tribunal administratif de Nantes – Ordonnance du 7 septembre 2022 N°2211509 – Référé-liberté – Le département est enjoint d’assurer l’hébergement et la prise en charge des besoins essentiels d’un mineur isolé jusqu’à décision de l’autorité judiciaire – Le préfet est enjoint d’enregistrer la demande d’asile du mineur, le refus du Procureur de désigner un administrateur ad hoc ne pouvant y faire obstacle

Résumé :

Faits

L’intéressé a été confié à l’ASE en tant que mineur isolé par le biais d’une OPP du procureur de la République de Paris avant de faire l’objet d’une décision de non-lieu à ouverture d’une mesure de tutelle (de laquelle il a fait appel) suite à une nouvelle évaluation réalisée par le département du Maine-et-Loire. Le département a alors mis fin à sa prise en charge.

Plus d’un an après, l’intéressé a demandé au département de Maine-et-Loire une nouvelle prise en charge au titre de l’accueil provisoire d’urgence au regard des documents d’état-civil attestant de sa minorité. Il a également saisi le juge des enfants, mais ce dernier a considéré qu’il appartenait à la cour d’appel des tutelles de se prononcer sur sa minorité et n’a pas fait droit à sa demande.

L’intéressé a également sollicité auprès du préfet de Maine-et-Loire l’enregistrement de sa demande d’asile sans qu’il n’y soit donné aucune suite, en dépit de relances.

Il demande ici au juge des référés, sur le fondement de l’article L.521-2 du code de justice administrative (« référé-liberté »), d’enjoindre au département de Maine-et-Loire d’assurer son hébergement et ses besoins fondamentaux et au préfet de Maine-et-Loire d’enregistrer sa demande d’asile dans un délai de 48 heures.

Décision :

1. Concernant l’absence de prise en charge par le département de Maine-et-Loire, le juge des référés rappelle tout d’abord que lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour le mineur, une carence caractérisée du département dans l’accomplissement de sa mission de prise en charge des mineurs confiés à l’ASE porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Il reprend en outre la jurisprudence du Conseil d’Etat issue de sa décision du 4 juin 2020 (n°440686) en affirmant que le juge des référés est compétent, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, pour enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire d’urgence lorsque l’appréciation portée par le département sur l’absence de minorité de l’intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité.

En l’espèce, le juge des référés retient que l’appréciation portée sur la minorité de l’intéressé par le département de Maine-et-Loire est manifestement erronée. En effet, lorsque l’intéressé s’est de nouveau présenté au département, il a produit des documents d’état-civil attestant de sa minorité, sans que le département ne les remette en cause, se bornant à invoquer l’autorité de la chose jugée attachée aux décisions judiciaires précédentes, alors même que ces dernières ne s’étaient pas prononcées sur ces documents.

De plus, le juge des référés estime que la condition d’urgence est remplie, l’intéressé étant hébergé par le 115 avec des adultes dans des conditions ne tenant pas compte de sa minorité. Par ailleurs, le comité des droits de l’enfant avait prononcé une mesure provisoire demandant à l’Etat français de placer l’intéressé dans un foyer pour mineur.

Ainsi, le juge des référés retient que la carence du département a porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et l’enjoint d’assurer l’hébergement de l’intéressé dans une structure adaptée à son âge, ainsi que la prise en charge de ses besoins essentiels jusqu’à décision de la Cour d’appel relative à sa minorité.

2. Concernant l’absence d’enregistrement de la demande d’asile de l’intéressé, le juge des référés retient que la condition d’urgence est satisfaite, ce refus portant par lui-même une atteinte suffisamment grave et immédiate à la situation de la personne concernée, notamment lorsque cette dernière est un.e mineur.e isolé.e.
De plus, le juge des référés rappelle que le préfet est tenu d’enregistrer la demande d’asile d’un.e mineur.e non accompagné.e se présentant sans représentant légal, le refus du Procureur de désigner un administrateur ad hoc ne pouvant y faire obstacle.
Ainsi, le refus du préfet, qui place le mineur concerné dans une situation de précarité et de vulnérabilité et l’expose au risque de ne pas pouvoir bénéficier du droit à la réunification familiale en tant que mineur protégé, constitue une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d’asile.

En conséquence, le juge des référés enjoint au préfet de Maine-et-Loire d’enregistrer la demande d’asile de l’intéressé dans un délai de 48 heures.

RAPPEL – Le référé-liberté – Article 521-2 du code de justice administrative

« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »

RAPPEL – La compétence du juge administratif

Par une décision de principe du 1er juillet 2015, le Conseil d’État a déclaré incompétent le juge administratif pour examiner le refus du Conseil départemental d’admettre un mineur isolé étranger à l’ASE au motif qu’il existait une voie de recours devant le juge des enfants.

TOUTEFOIS, dans certains cas la saisine du Tribunal administratif demeure possible. Notamment :

• Le Conseil d’Etat confère aux mineurs la capacité d’effectuer des référés-liberté devant le juge administratif lorsqu’un département refuse de les prendre en charge malgré la décision judiciaire les y contraignant. Voir : Conseil d’Etat, 12 mars 2014, n°375956 ainsi que quatre décisions du 27 juillet 2016. (Dans certaines conditions, le juge peut également prononcer une injonction à l’égard de l’autorité de police générale).

• Surtout, en 2020, le Conseil d’Etat a ouvert la possibilité de faire appel au juge des référés pour des mineurs en recours devant le juge des enfants, afin de demander le prolongement de leur accueil provisoire, en affirmant qu’ : «  il appartient toutefois au juge du référé, statuant sur le fondement de l’article L 521- 2 du code de justice administrative, lorsqu’il lui apparait que l’appréciation portée par le département sur l’absence de qualité de mineur isolé de l’intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité, d’enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire ». (Voir : Conseil d’Etat, 4 juin 2020, n°440686).

Voir les observations de la Défenseure des droits devant le Tribunal administratif (Décision du Défenseur des droits n° 2022-174 – 5 septembre 2022)


Extraits de l’ordonnance :

« 6. Il résulte de ces dispositions [articles 375, 375-3, deux premiers alinéas de l’article 373-5 du code civil et articles L.221-1, L.222-5, L.223-2 et R.221-11 du CASF] qu’il incombe aux autorités du département, le cas échéant dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants ou par le procureur de la République ayant ordonné en urgence une mesure de placement provisoire, de prendre en charge l’hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l’aide sociale à l’enfance. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu’un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l’accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il incombe au juge des référés d’apprécier, dans chaque cas, les diligences accomplies par l’administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l’âge, de l’état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

[…]

8. Il appartient toutefois au juge du référé, sur le fondement de l’article L. 521-2, lorsqu’il lui apparaît que l’appréciation portée par le département sur l’absence de qualité de mineur isolé de l’intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité, d’enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire.

[…]

10. […] M. B a transmis au département de Maine-et-Loire, un certificat de naissance original et une carte d’identité établie pour les ressortissants pakistanais résidant à l’étranger, lesquels font état de mentions concordantes et d’une naissance le 10 octobre 2004. Le département ne forme aucune critique à l’encontre de ces documents et se borne à invoquer l’autorité de la chose jugée attachée aux décisions du 19 octobre 2020 du juge des tutelles du tribunal judiciaire d’Angers et du 17 janvier 2022 du juge des enfants d’Angers, statuant sur la minorité de l’intéressé. Toutefois, d’une part, il résulte de la motivation de cette ordonnance du 19 octobre 2020, qu’aucun " document d’identité en original " n’a été produit devant le juge des tutelles, lequel n’a ainsi pu apprécier la valeur probante, ni du certificat de naissance original transmis au département de Maine-et-Loire, ni de la carte d’identité précitée, laquelle a été délivrée postérieurement à cette décision de justice. D’autre part, il ressort des termes du jugement en assistance éducative du 17 janvier 2022 que la juge des enfants n’a pas analysé les éléments nouveaux produits par M. B relatifs à la question de sa minorité, ceux-ci relevant, selon les termes de ce jugement, de la seule compétence du juge des tutelles et de la Cour d’appel saisie par l’intéressé. Dans ces conditions, en l’absence de tout élément invoqué par le département de Maine-et-Loire, de nature à remettre en cause l’authenticité de l’acte de naissance de M. B et la valeur probante de sa carte d’identité, l’appréciation ainsi portée sur la minorité de l’intéressé apparaît, en l’état de l’instruction et à la date de la présente ordonnance, manifestement erronée.

11. […]. Toutefois, il résulte de l’instruction que la seule prise en charge dont bénéficie M. B est un hébergement A le 115, dans des conditions ne tenant pas compte de sa minorité. Il est ainsi logé dans une structure hôtelière accueillant des adultes, sans aucune mesure particulière de nature à préserver son intérêt supérieur, alors qu’il est isolé en France. De plus, il résulte de l’instruction que le comité des droits de l’enfant a, le 22 juillet 2022, demandé à l’Etat français de placer M. B dans un foyer pour mineur, jusqu’à ce que son statut soit décidé auprès du comité. Eu égard à ces circonstances, et alors que la décision de la Cour d’appel statuant sur sa minorité devrait intervenir au plus tôt dans 15 jours, la condition d’urgence requise A l’article L. 521-2 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.

12. Dans les circonstances particulières de l’espèce, eu égard à la situation de précarité et de vulnérabilité dans laquelle se trouve M. B, mineur isolé, lequel ne bénéficie d’aucune prise en charge excepté le 115 pour son seul hébergement, il y a lieu de considérer que la carence du département de Maine-et-Loire dans l’accomplissement de sa mission définie à l’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles a porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

13. Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’enjoindre au département de Maine-et-Loire d’assurer l’hébergement de M. B dans une structure adaptée à son âge, ainsi que la prise en charge de ses besoins essentiels, alimentaire, vestimentaire, sanitaire et scolaire, jusqu’à ce que la Cour d’appel d’Angers ait statué sur la question relative à sa minorité, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de la présente ordonnance. […].

Sur l’absence d’enregistrement de la demande d’asile de M. B :

14. Le fait de refuser l’enregistrement d’une demande d’asile, qui fait obstacle à l’examen de cette dernière, prive l’étranger du droit d’être autorisé à demeurer sur le territoire français jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande. Ce refus porte par lui-même une atteinte suffisamment grave et immédiate à la situation du demandeur pour que la condition d’urgence soit, sauf circonstances particulières, tenue pour satisfaite. Cette condition trouve pleinement à s’appliquer lorsque le demandeur est un mineur isolé.

16. Il résulte de ces dispositions [articles L.521-9, L.521-10 et 521-18 du CESEDA] qu’il incombe au préfet d’enregistrer, sur la base des éléments dont il dispose, la demande d’asile d’un mineur non accompagné se présentant, sans représentant légal, dans ses services. En parallèle, le préfet doit aviser immédiatement le procureur de la République pour qu’il désigne sans délai un administrateur ad hoc. Dès la désignation de l’administrateur ad hoc effectuée, il appartient au préfet de convoquer le mineur non accompagné et l’administrateur ad hoc, afin de compléter l’enregistrement de la demande d’asile et, lorsque les conditions prévues aux articles R. 521-5 à R. 521-7 sont réunies, de lui remettre une attestation de demande d’asile.

17. Il résulte de l’instruction que le préfet de Maine-et-Loire a refusé d’enregistrer la demande d’asile de M. B, au motif que le procureur de la République près le tribunal judiciaire d’Angers a refusé de désigner un administrateur ad hoc. Toutefois, ainsi qu’il résulte de ce qui a été dit au point précédent, le préfet de Maine-et-Loire doit procéder à un premier enregistrement de la demande d’asile d’un mineur non accompagné, puis solliciter auprès de l’autorité judiciaire, la désignation d’un administrateur ad hoc. La circonstance invoquée en défense du refus, par l’autorité compétente, de désignation d’un administrateur ad hoc, ne saurait faire obstacle à l’enregistrement par le préfet, sur la base des éléments dont il dispose, de la demande d’asile d’une personne se déclarant mineure non accompagnée. Le refus litigieux, qui place M. B dans une situation de précarité et de vulnérabilité, et l’expose au risque de ne pouvoir, le cas échéant, bénéficier du droit à la réunification familiale en tant que mineur protégé, constitue une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d’asile.

18. Il y a lieu, en conséquence, d’enjoindre au préfet de Maine-et-Loire d’enregistrer la demande d’asile de M. B, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de la présente ordonnance. […].

[…] »


Voir l’ordonnance au format PDF :

TA Nantes - 7 septembre 2022 - N°2211509
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