Conseil d’Etat – Ordonnance N°468365 du 15 novembre 2022 – Référé-liberté – Loi du 7 février 2022 – Droit à une prise en charge pour les jeunes de moins de vingt-et-un ans confiés à l’ASE avant leur majorité, ne disposant pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants – Suspension de la décision de refus de renouvellement d’un contrat jeune majeur

Résumé :

Le Conseil d’Etat suspend l’exécution de la décision par laquelle le président du conseil départemental de l’Essonne a refusé de renouveler le contrat jeune majeur de l’intéressée et enjoint au département de réexaminer la demande de renouvellement dudit contrat et de lui procurer, dans un délai de 48 heures, une solution d’hébergement et une prise en charge de ses besoins alimentaires, sanitaires et médicaux.

Le Conseil d’Etat retient tout d’abord que la condition d’urgence est remplie, la requérante étant dans une situation d’extrême vulnérabilité, âgée de 19 ans, enceinte de cinq mois, sans domicile fixe (logée de façon ponctuelle et précaire à l’hôtel par le SIAO du Val-de-Marne), sans ressources ni soutien familial en France.

De plus, le Conseil d’Etat estime que la décision du département porte à l’intéressée une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. En effet, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, il résulte des dispositions de l’article L.222-5 du CASF que les jeunes majeurs de moins de vingt-et-un ans ayant été pris en charge par l’ASE avant leur majorité bénéficient d’un droit à une nouvelle prise en charge à titre temporaire, lorsqu’ils ne disposent pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants. Ainsi en l’espèce, le département de l’Essonne, qui a pris en charge l’intéressée jusqu’à sa majorité, et dès lors qu’elle ne bénéficie d’aucun soutien familial, d’aucune ressource, ni d’aucune solution d’hébergement présentant le minimum de stabilité que nécessite son état de grossesse, est légalement tenu de poursuivre sa prise en charge.

RAPPEL : Référé-liberté


Article L.521-2 du code de justice administrative
 :

« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures.  »

RAPPEL : Droit à une prise en charge pour les jeunes de moins de vingt-et-un ans confiés à l’ASE avant leur majorité, ne disposant pas de ressources ou d’un soutien familial suffisant


« La loi du 7 février 2022 a créé un droit au maintien de la prise en charge pour les jeunes confiés à l’ASE avant leur majorité et qui ne disposent pas encore, une fois celle-ci atteinte, de ressources ou d’un soutien familial suffisant. Dans cette hypothèse, les départements ne disposent plus, comme par le passé, d’un large pouvoir d’appréciation leur permettant de fixer des critères extralégaux, notamment en termes d’exigences de scolarisation, de formation ou de perspectives d’insertion rapide. Seuls les besoins du jeune conditionnent le maintien ou la réactivation de sa prise en charge par l’ASE. »

Pour plus de précisions voir : ADDENDUM du 26 juillet 2022 à l’édition 2020 du cahier juridique « Quelles aides pour les jeunes majeurs isolés ? - Co-édition Aadjam / Gisti / InfoMIE »


Extraits de l’ordonnance :

« 2. […] Mme B..., ressortissante ivoirienne née le 12 août 2003, […] a été confiée par le Procureur de la République le 28 janvier 2019 au service de l’aide sociale à l’enfance du département de l’Essonne. Elle a bénéficié de la part de ce dernier, à sa majorité, d’un contrat jeune majeur jusqu’au 12 août 2022.
Toutefois, par une décision du 7 septembre 2022, le département a refusé de renouveler cette prise en charge. Mme B... relève appel de l’ordonnance du 6 octobre 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande, présentée sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à ce que l’exécution de cette décision soit suspendue et à ce qu’il soit enjoint au département de réexaminer sa demande de renouvellement de contrat de jeune majeur et de lui assurer une solution d’hébergement et une prise en charge adaptée à son état de santé dans un délai de 24 heures, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.

[…]

Sur l’urgence :

4. L’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre.

5. Il résulte de l’instruction que Mme B..., aujourd’hui âgée de 19 ans, suivie au centre médico-psychologique de Thiais et enceinte de cinq mois, est dépourvue de soutiens familiaux en France, sans ressources, actuellement sans domicile fixe et logée de manière ponctuelle et précaire à l’hôtel par les services du service intégré de l’accueil et de l’orientation du Val de Marne. Dans ces conditions, au regard de l’extrême vulnérabilité de Mme B..., et alors même que le département fait valoir que la Fondation Rotschild à Chevilly-Larue où elle était hébergée a déclaré ne plus pouvoir la prendre en charge en raison de son comportement et du caractère inadapté de cet hébergement à sa personnalité et qu’elle aurait refusé une proposition d’accueil dans une maison d’accueil prénatal, la condition d’urgence doit, en l’état de l’instruction, être regardée comme remplie.

Sur l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

6. Il résulte des dispositions précitées de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles que, depuis l’entrée en vigueur du I de l’article 10 de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants dont elles sont issues, les jeunes majeurs de moins de vingt et un an ayant été pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance d’un département avant leur majorité bénéficient d’un droit à une nouvelle prise en charge à titre temporaire par ce service, lorsqu’ils ne disposent pas de ressources ou d’un soutien familial suffisant. Le département de l’Essonne qui, ainsi qu’il a été dit, a pris en charge Mme B... au titre de l’aide sociale à l’enfance jusqu’à sa majorité, est, dès lors qu’il est constant qu’elle ne bénéficie d’aucun soutien familial ni d’aucune ressource ni d’aucune solution d’hébergement présentant le minimum de stabilité que nécessite son état de grossesse, légalement tenu de poursuivre cette prise en charge. Si le département fait valoir que les services du département du Val de Marne seraient disposés à prendre en charge Mme B..., il n’établit pas, à la date de la présente ordonnance, que ceux-ci auraient proposé à Mme B... une prise en charge effective. Par suite, Mme B... est fondée à soutenir que la décision du département de l’Essonne de cesser sa prise en charge au titre des dispositions du 5° de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles porte, en l’état de l’instruction, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et qu’il y a lieu d’en suspendre l’exécution.

[…] »


Voir l’ordonnance au format PDF :

Conseil d’Etat – Ordonnance N°468365 du 15 novembre 2022
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