Résumé :
Le juge des référés du TA de Marseille enjoint au directeur académique des services de l’éducation nationale des Bouches-du-Rhône d’affecter l’intéressé, mineur isolé pris en charge par l’ASE, dans un établissement scolaire dans un délai de 10 jours.
Le juge, statuant sur le fondement de l’article L.521-2 du code de justice administrative (« référé-liberté »), rappelle que l’égal accès à l’instruction est garanti par des textes constitutionnels, conventionnels et législatifs et que la privation pour un enfant, en particulier isolé sur le territoire français, de l’accès à une scolarisation ou une formation scolaire ou professionnelle adaptées peut constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Le caractère grave et manifestement illégal de cette atteinte s’apprécie en tenant compte de l’âge de l’enfant, mais aussi des diligences accomplies par l’autorité administrative au regard des moyens dont elle dispose.
Le juge retient que l’absence de scolarisation de l’intéressé depuis la réalisation du test CASNAV (5 mois auparavant) doit être regardée comme une carence des services de l’Etat constitutive d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Le juge estime que cette carence crée par elle-même une situation d’urgence particulière dans le contexte d’isolement de l’intéressé. En outre, l’administration ne justifie d’aucune diligence accomplie pour le scolariser.
Extraits de l’ordonnance :
« 2. L’égal accès à l’instruction est garantie par le treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère celui de la Constitution de 1958. Ce droit, confirmé par l’article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, est en outre rappelé à l’article L. 111-1 du code de l’éducation, qui énonce que " le droit à l’éducation est garanti à chacun ". L’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction est mise en oeuvre par les dispositions de l’article L.131-1 du code de l’éducation, aux termes desquelles : " L’instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre six et seize ans ", ainsi que par celles de l’article 122-2 du même code qui prévoient : " () Tout mineur dispose du droit de poursuivre sa scolarité au-delà de l’âge de seize ans. () ".
3. Il résulte des principes constitutionnels, conventionnels et législatifs rappelés au point précédent que la privation pour un enfant, notamment s’il souffre d’isolement sur le territoire français, de toute possibilité de bénéficier d’une scolarisation ou d’une formation scolaire ou professionnelle adaptées, selon les modalités que le législateur a définies afin d’assurer le respect de l’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l’article L.521-2 du code de justice administrative, pouvant justifier l’intervention du juge des référés sur le fondement de cet article, sous réserve qu’une urgence particulière rende nécessaire l’intervention d’une mesure de sauvegarde dans les quarante-huit heures.
Le caractère grave et manifestement illégal d’une telle atteinte s’apprécie en tenant compte, d’une part, de l’âge de l’enfant, d’autre part, des diligences accomplies par l’autorité administrative compétente, au regard des moyens dont elle dispose.
4. Il résulte de l’instruction que M. C, de nationalité guinéenne, né le 20 août 2005, a fait l’objet, [...], d’un placement en assistance éducative par le juge des enfants [...], et a été confié jusqu’à sa majorité à la cellule " mineurs non accompagnés " du département des Bouches-du-Rhône, sur le fondement de l’article 375 du code civil, en qualité de mineur isolé. M. C a entrepris des démarches en vue d’être scolarisé et a passé, le 9 mai 2022, un test de positionnement du centre académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (CASNAV), préalable obligatoire à l’affectation et à l’inscription en établissement scolaire. N’ayant été informé d’aucune décision depuis ce test, M. C demande, par la présente requête, au juge des référés d’enjoindre au directeur académique des services de l’éducation nationale des Bouches-du-Rhône de l’affecter dans un établissement scolaire dans le délai de deux jours suivant la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
5. A défaut de toute prise en charge par d’autres voies, l’absence de scolarisation de M. C depuis la réalisation du test CASNAV doit être regardée comme une carence des services de l’Etat constitutive d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, créant E elle-même une situation d’urgence particulière dans le contexte d’isolement de l’intéressé, mineur non accompagné. Il est constant que M. C n’a pas reçu d’affectation scolaire. En l’état, l’administration qui n’a pas produit d’observations, n’a pas justifié des diligences qu’elle aurait accomplies pour scolariser M. C. Dans ces conditions, il y a lieu d’enjoindre au directeur académique des services de l’éducation nationale des Bouches-du-Rhône de scolariser M. C dans un établissement correspondant à l’orientation retenue à l’issue du test CASNAV qu’il a passé, dans le délai de dix jours à compter de la notification de la présente ordonnance, et sans qu’il y ait lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte.
[…] ».
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