Résumé :
La CJUE est saisie de questions préjudicielles par le Conseil du contentieux des étrangers belge, amené à se prononcer sur un recours contre les décisions par lesquelles les autorités belges ont refusé les demandes de visas présentés par la mère d’une mineure non accompagnée reconnue réfugiée en Belgique. En effet, la juridiction belge s’interrogeait sur les conséquences du statut matrimonial de cette mineure, qui s’était mariée au Liban, sur la demande de regroupement familial réalisée par la mère de celle-ci.
Elle a ainsi demandé à la Cour si l’article 10, paragraphe 3, sous a) de la directive 2003/86, lu conjointement avec l’article 2, sous f), de cette directive, devait être interprété en ce sens que pour acquérir le statut de regroupant aux fins du regroupement familial avec ses ascendants directs au premier degré, un réfugié mineur non accompagné résidant dans un Etat membre doit être non marié ?
La CJUE répond par la négative.
En effet, la Cour retient que le droit au regroupement familial reconnu aux MNA par l’article 10, paragraphe 3, sous a) de cette directive, n’est pas soumis à une marge d’appréciation de la part des Etats et ne prévoit pas que le réfugié mineur doit être non marié pour ouvrir droit au regroupement familial en faveur de ses ascendants directs. Plus largement, l’article 2, sous f) de la même directive, qui vient définir le statut de « mineur non accompagné », n’exige pas que le mineur soit célibataire pour être considéré comme tel.
Par ailleurs, la Cour souligne que la directive comprend des dispositions visant expressément des situations dans lesquelles le statut matrimonial du mineur est pris en compte. En effet, la condition selon laquelle le mineur doit ne pas être marié est prévue (article 4, paragraphe 1 de ladite directive) pour les enfants demandant à rejoindre un parent protégé. Le fait que tel ne soit pas le cas pour le MNA réfugié souhaitant faire venir des membres de sa famille témoigne ainsi d’une volonté du législateur de ne pas réduire le bénéfice du regroupement familial aux seuls réfugiés MNA non mariés.
La Cour retient par ailleurs que cette interprétation ne crée pas d’inégalité de traitement entre un mineur « regroupant » (souhaitant être rejoint par un membre de sa famille) et mineur « regroupé » (souhaitant rejoindre un membre de sa famille) puisque ces deux situations ne sont pas comparables. En effet, le MNA réfugié étant isolé en dehors de son pays d’origine se trouve par là même dans une situation de vulnérabilité particulière qui justifie que le regroupement familial avec ses ascendants directs soit favorisé. En outre, l’exigence selon laquelle le mineur réfugié devrait être non marié placerait le mineur marié dans une situation de particulière vulnérabilité, ne pouvant faire venir ni ses parents, ni son conjoint si l’Etat membre concerné applique une condition d’âge minimal pour le regroupement familial des conjoints, tel que la directive le permet.
Enfin, la Cour estime que l’exigence selon laquelle le mineur réfugié doit ne pas être marié serait contraire à la finalité de la directive qui vise à faciliter le regroupement familial des réfugiés, et plus spécifiquement des réfugiés MNA avec leurs ascendants directs au premier degré.
Extraits de l’arrêt :
« 28. Ainsi, l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86 impose aux Etats membres l’obligation positive précise d’autoriser, dans l’hypothèse déterminée par cette disposition, le regroupement familial des ascendants directs au premier degré du regroupant. Le droit au regroupement familial ainsi reconnu aux réfugiés mineurs non accompagnés n’est soumis ni à une marge d’appréciation de la part des Etats membres ni aux conditions prévues à l’article 4, paragraphe 2, sous a), de la même directive […].
29. L’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86 ne prévoit pas spécifiquement que le réfugié mineur doit être non marié pour que l’entrée et le séjour de ses ascendants directs au premier degré soient autorisés, aux fins du regroupement familial.
30. Par ailleurs, aux termes de l’article 2, sous f), de la directive 2003/86, le mineur non accompagné est défini comme « tout ressortissant de pays tiers ou apatride âgé de moins de 18 ans, entrant sur le territoire d’un Etat membre sans être accompagné d’un adulte qui soit responsable de lui par la loi ou la coutume, aussi longtemps qu’il n’est pas effectivement pris en charge par une telle personne, ou toute personne mineure qui est laissée seule après être entrée sur le territoire d’un Etat membre ».
[...].
32. [...] cette définition ne se réfère nullement à l’état civil du mineur et n’exige pas que le mineur soit célibataire pour pouvoir être considéré comme un mineur non accompagné.
33. S’agissant, en deuxième lieu, du contexte dans lequel l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86 s’insère, il y a lieu de souligner que cette directive contient des dispositions qui visent expressément des situations dans lesquelles le statut matrimonial du mineur est pris en compte.
34. En particulier, l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive, qui détermine les membres de la famille du regroupant pouvant bénéficier du regroupement familial, prévoit que « [l]es enfants mineurs visés au présent article doivent […] ne pas être mariés. » […].
35. Le fait que le législateur de l’Union ait prévu une telle condition en ce qui concerne l’état civil des enfants mineurs d’un parent regroupant, mais non pour le regroupant réfugié mineur non accompagné, paraît témoigner de sa volonté de ne pas restreindre le bénéfice de l’article 10, paragraphe 3 sous a), de la directive 2003/86 aux seuls réfugiés mineurs non accompagnés non mariés.
36. Par ailleurs, [...] cette interprétation du contexte dans lequel s’insère l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86, lu conjointement avec l’article 2, sous f), de cette directive, ne crée pas d’inégalité de traitement entre la situation d’un mineur marié qui demande le regroupement familial avec son ascendant direct, visée à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2003/86, et celle d’un regroupant réfugié mineur non accompagné marié dont l’ascendant direct au premier degré demande à bénéficier du regroupement familial, visée à l’article 10, paragraphe 3, sous a), de cette directive, dès lors que ces deux situations ne sont pas comparables.
[...].
40. En troisième lieu, s’agissant de la finalité de la directive 2003/86, il convient de rappeler que celle-ci est, aux termes de son article 1er, de fixer les conditions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial dont disposent les ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire des États membres.
41. À cet égard, il ressort du considérant 8 de cette directive que celle-ci prévoit pour les réfugiés des conditions plus favorables pour l’exercice de ce droit au regroupement familial, dès lors que leur situation demande une attention particulière à cause des raisons qui les ont contraints à fuir leur pays et qui les empêchent d’y mener une vie familiale normale. Conformément à cet objectif, ladite directive vise à faciliter le regroupement familial d’un réfugié mineur non accompagné avec ses ascendants directs au premier degré.
[...].
44. Compte tenu de ce contexte, une interprétation de l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86 qui restreindrait le bénéfice du droit au regroupement familial avec leurs ascendants directs au premier degré aux seuls refugiés mineurs non accompagnés qui ne sont pas mariés irait à l’encontre de cet objectif de protection particulière.
[...].
49. Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la première question que l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86, lu conjointement avec l’article 2, sous f), de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’un réfugié mineur non accompagné qui réside dans un État membre ne doit pas être non marié pour acquérir le statut de regroupant aux fins du regroupement familial avec ses ascendants directs au premier degré.
[…]. »
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