Résumé :
Le Conseil d’Etat confirme l’ordonnance du TA de Marseille qui, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice (« référé-liberté »), a suspendu la décision de refus de prise en charge de l’intéressé (confié à l’ASE durant sa minorité) en qualité de jeune majeur et a enjoint au département des Bouches-du-Rhône de réexaminer cette question et de lui procurer une solution d’hébergement et une prise en charge de ses besoins alimentaires, sanitaires et médicaux dans un délai de 48 heures.
Le Conseil d’Etat retient dans un premier temps que la condition d’urgence est remplie puisque l’intéressé, sans ressources ni soutien familial en France, risque de se retrouver sans solution d’hébergement.
Par ailleurs, le Conseil d’Etat estime que la décision de fin de prise en charge de l’intéressé porte une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale. En effet, le département était légalement tenu de poursuivre cette prise en charge, l’intéressé remplissant les conditions posées par le 5° de l’article L. 222-5 du CASF qui prévoit, depuis la loi du 7 février 2022, un droit à une nouvelle prise en charge pour les jeunes majeurs de moins de vingt et un an ayant été confiés à l’ASE durant lors minorité et ne disposant pas de ressources ou d’un soutien familial suffisant.
Surtout, le Conseil d’Etat affirme ici que cette obligation de prise en charge ne se limite pas aux majeurs ayant fait l’objet d’une décision de placement définitif durant leur minorité prononcée par un juge des enfants. Ce droit s’étend ainsi également à l’intéressé qui a été confié à l’ASE par le biais d’ordonnances provisoires de placement.
Enfin, le Conseil d’Etat rappelle (voir Conseil d’Etat – Ordonnance N°468184 du 28 novembre 2022) que les chances d’insertion sociale et professionnelle ne suffisent plus (depuis la loi du 7 février 2022) à justifier la fin de prise en charge d’un jeune qui remplit les conditions posées au 5° de l’article L. 222-5 du CASF.
« La loi du 7 février 2022 a créé un droit au maintien de la prise en charge pour les jeunes confiés à l’ASE avant leur majorité et qui ne disposent pas encore, une fois celle-ci atteinte, de ressources ou d’un soutien familial suffisant. Dans cette hypothèse, les départements ne disposent plus, comme par le passé, d’un large pouvoir d’appréciation leur permettant de fixer des critères extralégaux, notamment en termes d’exigences de scolarisation, de formation ou de perspectives d’insertion rapide. Seuls les besoins du jeune conditionnent le maintien ou la réactivation de sa prise en charge par l’ASE. »
Pour plus de précisions voir : ADDENDUM du 26 juillet 2022 à l’édition 2020 du cahier juridique « Quelles aides pour les jeunes majeurs isolés ? - Co-édition Aadjam / Gisti / InfoMIE »
Le droit à une prise en charge des jeunes majeurs visés par le 5° de l’article L. 222-5 du CASF a été affirmé de manière claire et répétée par le Conseil d’Etat : voir notamment Conseil d’Etat – Ordonnance N°468365 du 15 novembre 2022 ; Conseil d’Etat – Ordonnance N°468184 du 28 novembre 2022 ; Conseil d’Etat – Ordonnance N°469133 du 12 décembre 2022
Extraits de l’ordonnance :
« 5. Il résulte de l’instruction que M. A inscrit en seconde année de CAP […], et qui suit en parallèle une formation en alternance au sein du Greta […], sans ressources et ne disposant d’aucun soutien familial en France, est exposé au risque de devoir quitter son lieu d’hébergement sans qu’aucune prise en charge adaptée à sa situation ne lui ait été proposée. Dans ces conditions, la condition d’urgence doit, en l’état de l’instruction, être regardée comme remplie.
Sur l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :
6. Il résulte des dispositions précitées de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles que, depuis l’entrée en vigueur du I de l’article 10 de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants dont elles sont issues, les jeunes majeurs de moins de vingt et un an ayant été pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance d’un département avant leur majorité bénéficient d’un droit à une nouvelle prise en charge à titre temporaire par ce service, lorsqu’ils ne disposent pas de ressources ou d’un soutien familial suffisant. Le département des Bouches-du-Rhône […] a pris en charge M. A au titre de l’aide sociale à l’enfance jusqu’à sa majorité, est, dès lors qu’il est constant qu’il ne bénéficie d’aucun soutien familial ni d’aucune ressource ou solution d’hébergement, légalement tenu de poursuivre cette prise en charge. Si le département soutient que les nouvelles dispositions de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles, dans leur rédaction issue de la loi du 7 février 2022, ne sauraient être interprétées comme lui imposant de prendre en charge des personnes qui ont été confiées de manière provisoire à l’aide sociale à l’enfance alors qu’elles étaient mineures, il ne résulte pas du 5° de l’article L. 222-5 cité au point 3 que le législateur auraient entendu restreindre le champ d’application de l’obligation ainsi mise à la charge des conseils départementaux au seul cas des mineurs ayant fait avant leur majorité l’objet d’une décision de placement définitif à l’aide sociale à l’enfance prononcée par un juge des enfants. Par ailleurs, si le département fait valoir que M. A ne justifie pas de réelles chances d’insertion sociale et professionnelle, une telle considération, qui pouvait être prise en compte dans le cadre du large pouvoir d’appréciation dont disposait auparavant le président du conseil départemental pour accorder ou maintenir la prise en charge d’un jeune majeur, ne sauraient suffire, pour l’application des dispositions du 5° de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles issues de la loi du 7 février 2022, à justifier qu’il soit mis fin à sa prise en charge par l’aide sociale à l’enfance. […].
[…]. »
Voir l’ordonnance du Conseil d’Etat au format PDF :
Voir l’ordonnance du Tribunal administratif de Marseille au format PDF :