Résumé :
La Cour retient que c’est à tort que la préfète a fondé sa décision de refus de titre de séjour (sollicité sur le fondement de l’art. L. 313-15 du CESEDA devenu L. 435-3 du CESEDA) sur les circonstances que les documents d’état-civil étaient " faux ou non-recevables " ne permettant pas d’établir l’âge de l’intéressé , qu’il ne justifiait ni du suivi d’une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle ni de l’absence de liens avec sa famille restée au Mali.
En effet, la Cour estime que les actes dressés sur un support ordinaire grand public sans sécurité documentaire et sans numéro fiduciaire ne sont pas de nature à établir que les mentions qui y sont inscrites seraient inexactes. Ainsi, la préfète n’établit pas que les documents d’état-civil maliens ne seraient pas authentiques.
De plus, la Cour rappelle que l’acte de naissance établi à la suite d’un jugement supplétif n’a pas à mentionner l’âge des parents et que l’acte indiquant que le père est “ déclarant” n’est pas de nature à établir que les mentions relatives qui y sont inscrites seraient inexactes, ni que l’acte d’état civil serait irrégulier ou falsifié.
En outre, lors de l’appel, le requérant justifie également de son identité et en particulier de sa date de naissance par la production d’un passeport dont l’authenticité n’est pas sérieusement contestée.
Enfin, la préfète a commis une erreur manifeste d’appréciation en contraignant l’intéressé à interrompre en cours d’année ses études, lui faisant perdre une chance d’obtenir un diplôme destiné à lui apporter une qualification professionnelle et en ne prenant pas en compte les circonstances particulières de l’intéressé qui justifiait des éléments démontrant sa bonne insertion dans la société française : en suivant un CAP “ cuisine “ depuis 3 mois et demi, en bénéficiant d’un contrat “jeune majeur”, en prouvant le caractère réel et sérieux de sa formation par l’attestation élogieuse de son employeur, et en possédant un avis favorable de sa structure d’accueil. En outre, la préfète ne démontre pas la conservation de lien avec la famille du pays d’origine.
La Cour annule la décision de la préfète et enjoint à cette dernière de délivrer un titre de séjour au requérant, dans un délai de deux mois à compter de la notification de cet arrêt.
Extraits de l’arrêt :
« [...]7. Pour refuser d’admettre exceptionnellement au séjour M. B sur le fondement de ces dispositions, la préfète de la Haute-Saône, après avoir pris en compte l’avis favorable de sa structure d’accueil, s’est fondée, d’une part, sur les circonstances que les documents d’état civil produits pour justifier de l’état civil de l’intéressé étaient " faux ou non recevables " et ne permettaient pas d’établir son âge et, d’autre part, sur l’absence de justification du suivi d’une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et de l’absence de liens avec sa famille restée au Mali. [...]
12. Pour contester l’authenticité de ces actes, la décision de refus de titre de séjour en litige se fonde sur le rapport de l’analyse technique réalisée le 19 décembre 2019 par le service territorial de Pontarlier de la police aux frontières. Ce rapport relève que le document présenté comme un jugement supplétif n’est qu’un extrait certifié conforme, imprimé par une technique grand public sur un support non sécurisé. L’analyse relève également, s’agissant de l’extrait d’acte de naissance, que celui-ci est rédigé sur un support grand public, qu’il ne comporte pas de numéro fiduciaire, qu’il n’est pas accompagné du jugement supplétif, que l’âge des parents n’est pas indiqué et que les mentions relatives au déclarant n’auraient en revanche pas dues être complétées s’agissant d’un acte d’état civil établi d’après un jugement supplétif.
13. Or, premièrement, en application de l’article 106 du code des personnes et de la famille du Mali, issu de la loi n° 2011-087 du 30 décembre 2011, les modèles des registres d’actes d’état civil, sont déterminés par arrêté conjoint du ministre chargé de la justice et du ministre chargé de l’état civil. Le volet n° 3 des registres d’actes d’état civil correspond au volet remis au déclarant. Enfin, selon ce même article, " le ministère chargé de l’état civil a seul la responsabilité de la production des registres () Il assure leur sécurisation à travers les mentions qui y figurent, la qualité du papier utilisé, les signes, les couleurs et techniques adoptées pour en empêcher la contrefaçon ".
14. En l’espèce, alors que l’autorité administrative ne fournit aucun élément sur la qualité des supports des actes d’état civil maliens, les sécurités que doivent comporter ces actes ainsi que les mentions qu’ils doivent contenir selon la réglementation malienne applicable, M. B produit une attestation du consulat général de la République du Mali en date du 25 mars 2019 précisant que l’informatisation n’est pas encore effective au Mali et qu’aucun support ou mode d’impression avec une imprimante particulière n’est exigée ni sur le territoire malien, ni dans les missions diplomatiques et consulaires et que, par conséquent, les autorités maliennes compétentes utilisent tout procédé existant pour imprimer les documents administratifs. Dès lors, contrairement à ce qu’a estimé l’autorité administrative, les seules circonstances que les actes présentés par M. B sont dressés sur un support ordinaire grand public sans sécurité documentaire et sans numéro fiduciaire ne sont pas de nature à établir que les mentions qui y sont inscrites seraient inexactes, ni que l’acte d’état civil produit par M. B serait irrégulier ou falsifié.
15. Deuxièmement, il ne ressort pas des dispositions du code des personnes et de la famille du Mali, issu de la loi n° 2011-087 du 30 décembre 2011, et en particulier des articles 133 et suivants relatifs aux jugements supplétifs et 157 et suivants relatifs aux actes de naissance, que les actes de naissance établis à la suite d’un jugement supplétif doivent mentionner l’âge des parents.
16. Enfin, il ressort des visas du jugement supplétif que celui-ci a notamment été rendu au vu des témoignages fournis par M. B. Dans ces conditions, la circonstance que l’acte de naissance produit par ce dernier indique que son père est " déclarant ", portée avant la mention des références du jugement supplétif, n’est pas de nature à établir que les mentions relatives qui y sont inscrites seraient inexactes, ni que l’acte d’état civil produit par M. B serait irrégulier ou falsifié.
17. Il résulte de ce qui précède qu’aucun des éléments avancés par l’autorité administrative, chacun pris isolément ou dans leur l’ensemble, ne sont de nature à établir que les documents d’état civil produits par M. B ne seraient pas authentiques ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondraient pas à la réalité. Ceux-ci font donc foi, en application de l’article 47 du code civil auquel renvoie l’article L. 111-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. En outre, à hauteur d’appel, le requérant justifie également de son identité et en particulier de sa date de naissance par la production d’un passeport dont l’authenticité n’est pas sérieusement contestée. Ainsi, contrairement à ce que soutient l’autorité préfectorale, il est établi que M. B est né le 25 mars 2002.
18. D’autre part, en revanche, M. B ne justifie du suivi d’une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle que depuis le 28 janvier 2020, soit moins de six mois à la date de la décision attaquée. Dans ces circonstances, le requérant n’est pas fondé à soutenir que la préfète de la Haute Saône a apprécié de façon manifestement erronée sa situation en refusant de l’admettre exceptionnellement au séjour sur le fondement de l’article L. 313-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
19. En second lieu, toutefois, M. B est entré en France et a été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance alors qu’il était âgé de seize ans et onze mois, au début de l’année 2019. Il ressort des pièces du dossier qu’il a signé un contrat " jeune majeur " avec le département de la Haute-Saône le 11 mai 2020, après avoir débuté le 28 janvier 2020, trois mois et demi avant la décision attaquée, un CAP " Cuisine " au sein du CFA Hilaire de Chardonnet. Le caractère réel et sérieux de cette formation sont notamment attestés par l’attestation élogieuse de son employeur ainsi que l’avis favorable de sa structure d’accueil.
Ces éléments démontrent également sa bonne insertion dans la société française. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B aurait conservé des liens avec sa famille sans son pays d’origine. Dans ces circonstances particulières, la décision de refus de titre de séjour du 12 mai 2020, qui a pour effet de contraindre M. B à interrompre en cours d’année des études poursuivies avec le soutien du conseil départemental et de lui faire perdre une chance d’obtenir un diplôme destiné à lui apporter une qualification professionnelle, comporte des conséquences manifestement excessives sur sa situation personnelle. Il en résulte qu’en refusant de lui délivrer un titre de séjour, la préfète de la Haute-Saône a entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation.
20. Il résulte tout de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens qu’il soulève, que M. B est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 11 mai 2020 par laquelle la préfète de la Haute-Saône a refusé de lui délivrer un titre de séjour et, par voie de conséquence, des décisions concomitantes portant obligation de quitter le territoire, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour.
Sur les conclusions aux fins d’injonction :
21. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution ".
22. L’annulation ci-dessus prononcée implique nécessairement que la préfète de la Haute-Saône délivre à M. B une carte de séjour temporaire dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans cette attente, du fait de l’annulation par voie de conséquence de l’obligation de quitter le territoire français, la préfète délivrera immédiatement à M. B une autorisation provisoire de séjour sur le fondement de l’article L. 614-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’autorisant à exercer une activité professionnelle.[...] »