Tribunal administratif de Bordeaux – Ordonnance N°2205326 du 7 octobre 2022 – Référé-liberté – Le département de la Gironde est enjoint de reprendre l’accueil provisoire d’un mineur isolé – Classement sans suite du dossier par le procureur de la République malgré une évaluation sociale concluant à la minorité et à l’isolement – Le fait que le juge des enfants ne se soit pas encore prononcé ne fait pas obstacle à la poursuite de la prise en charge provisoire par le département dès lors qu’il s’agit la seule solution pour mettre un terme aux risques encourus par le jeune et que cet accueil n’excède pas les capacités d’action du département - Atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit de toute personne à bénéficier d’un hébergement garantissant la satisfaction de ses besoins élémentaires

Résumé :

Le département de la Gironde est enjoint de reprendre l’accueil provisoire de l’intéressé qui avait fait l’objet d’une évaluation sociale concluant à sa minorité et à son isolement, avant que le procureur de la République, saisi par le département afin de prolonger cette prise en charge, ne classe son dossier sans suite.

Le juge des référés retient que le fait que le juge des enfants, saisi par le requérant, ne se soit pas encore prononcé sur sa minorité ni n’ait ordonné de mesure provisoire, ne fait pas obstacle, en tant que tel, à ce que le département poursuive la prise en charge à titre provisoire d’un jeune dès lors que cet accueil s’avère être la seule solution pour mettre un terme aux risques encourus pour sa santé, sa sécurité ou sa moralité et n’excède pas les capacités d’action du département.

En l’espèce, compte tenu des risques encourus par l’intéressé (sans abri et dépourvu de toute ressource), la demande est justifiée par l’urgence et le défaut de maintien de l’accueil provisoire de l’intéressé porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit de toute personne à bénéficier d’un hébergement garantissant la satisfaction des besoins élémentaires.


Extraits de l’ordonnance :

« […].

3. [...]. Toutefois, lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l’accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il appartient au juge des référés, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’apprécier, dans chaque cas, les diligences accomplies par l’administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l’âge, de l’état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée et, si celle-ci est confrontée à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité, d’enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire.

4. Il résulte de l’instruction que M. A, [...], a été accueilli à titre provisoire par le service de l’aide sociale à l’enfance du département de la Gironde. Après avoir soumis M. A à une évaluation socio-éducative dans les termes de l’article R. 211-11 du code de l’action sociale et des familles, le département a saisi le procureur de la République, seul compétent en application des dispositions précitées pour décider du maintien de l’accueil provisoire d’un mineur isolé, aux fins que soit ordonné à titre provisoire la poursuite de la prise en charge de l’intéressé au-delà de la période d’accueil d’urgence de cinq jours. A la suite de la décision du parquet du 3 octobre 2022 de classer sans suite cette demande, le département de la Gironde a, par décision du 5 octobre 2022, refusé de prendre en charge l’intéressé au titre de l’aide sociale à l’enfance. Toutefois, le rapport d’évaluation dont M. A a fait l’objet [...] de la part des services départementaux conclut de manière formelle à sa minorité en raison tant de son apparence physique que de sa posture et de son comportement juvénile au cours de l’entretien d’évaluation. Par ailleurs, il n’est pas contesté que M.A, dont l’évaluation précitée reconnaît l’isolement sur le territoire français, est en situation de précarité extrême, étant sans abri et dépourvu de toute ressource pour assumer seul ses besoins élémentaires. S’il est vrai que le juge des enfants, saisi par le conseil du requérant sur le fondement de l’article 375 du code civil par requête datée du 6 octobre 2022, ne s’est pas encore prononcé sur la minorité de ce dernier et n’a pas davantage ordonné l’une des mesures prévues à l’article 375-3 de ce code, cette circonstance ne fait pas obstacle, par elle-même, à ce que le département poursuive la prise en charge à titre provisoire dès lors qu’un tel accueil s’avère la seule solution pour mettre un terme aux risques encourus par le jeune pour sa santé, sa sécurité ou sa moralité et qu’elle n’excède pas les capacités d’action de la collectivité. En l’espèce, le département de la Gironde n’établit pas, ni même ne soutient, que la prise en charge provisoire de M. A excède ses capacités. Dans ces conditions, et alors que, compte tenu des risques encourus par l’intéressé, la demande est justifiée par l’urgence, le défaut de maintien de l’accueil provisoire de l’intéressé porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit de toute personne à bénéficier d’un hébergement garantissant la satisfaction des besoins élémentaires. Dès lors, dans les circonstances particulières de l’espèce, il y a lieu d’enjoindre au département de la Gironde, à qui il incombe la prise en charge des mineurs, de reprendre l’accueil provisoire de M. A et ce, dans une structure collective adaptée eu égard à l’état de santé psychique de ce dernier, ainsi que d’assurer ses besoins élémentaires dans un délai de douze heures à compter de la notification de la présente ordonnance. [...].

[…]. »


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TA Bordeaux - Ordonnance N°2205326 du 7 octobre 2022
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