Tribunal administratif de Grenoble – Ordonnance N°2207258 du 21 novembre 2022 – Référé-suspension – Suspension d’une décision de non renouvellement d’un contrat jeune majeur – La condition d’urgence doit être en principe constatée pour un jeune confié à l’ASE demandant la suspension d’une décision de refus de poursuite d’une prise en charge au titre des deux derniers alinéas de l’art. L. 222-5 du CASF

Résumé :

Le juge des référés, statuant sur le fondement de l’art. L. 521-1 du code de justice administrative (« référé suspension »), suspend l’exécution de la décision du président du conseil départemental de l’Isère (contre laquelle un recours administratif préalable obligatoire a été formé) de ne pas renouveler le contrat jeune majeur de l’intéressé et l’enjoint de le reprendre en charge.

Le juge retient en effet que la condition d’urgence doit être en principe constatée, sauf dans les cas où l’administration justifie de circonstances particulières, lorsqu’un jeune jusque-là confié à l’ASE demande la suspension d’une décision de refus de poursuite d’une prise en charge au titre des deux derniers alinéas de l’art. L. 222-5 du CASF. Le jeune concerné relevant de l’alinéa 5 de cet article, la condition d’urgence doit être en principe constatée. En l’espèce, le juge ne retient pas l’utilité des arguments présentés par le Département pour contester l’urgence (contrats jeunes majeurs précédents, formation qualifiante, bénéfice antérieur de deux CDD, etc.) au regard de la situation actuelle de ce jeune ne disposant d’aucune solution d’hébergement et est sans emploi.

De plus, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 5° de l’art. L. 222-5 du CASF est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

RAPPEL – Art. L. 521-1 du code de justice administrative – Référé suspension :

« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

(…). »


Extraits de l’ordonnance :

« […].

5. L’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Eu égard aux effets particuliers d’une décision refusant de poursuivre la prise en charge, au titre des deux derniers alinéas de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles, d’un jeune jusque-là confié à l’aide sociale à l’enfance, la condition d’urgence doit en principe être constatée lorsqu’il demande la suspension d’une telle décision de refus. Il peut toutefois en aller autrement dans les cas où l’administration justifie de circonstances particulières, qu’il appartient au juge des référés de prendre en considération en procédant à une appréciation globale des circonstances de l’espèce qui lui est soumise.

6. Ainsi qu’il a été dit au point 3, la situation de M. A, né […] 2002 […] au Mali, pris en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance de l’Isère depuis une ordonnance de placement provisoire du […] 2019, relève de l’alinéa 5 de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles. La condition d’urgence doit en principe être constatée. Le département de l’Isère fait valoir que l’intéressé, à sa majorité, a bénéficié de manière ininterrompue de trois contrats jeune-majeur formalisés et d’une prolongation exceptionnelle de prise en charge, que dès la conclusion de son troisième contrat jeune majeur en mai 2022, et alors qu’il était sur le point d’obtenir son diplôme de CAP […], il lui avait été précisé qu’il devait anticiper une fin de prise en charge à l’ASE à partir du 1er septembre 2022, que l’accompagnement jeune majeur dont il a bénéficié pendant 24 mois depuis sa majorité lui a permis d’obtenir : - une formation qualifiante en juin 2022 (un CAP […]), - un titre de séjour, en cours de renouvellement, l’autorisant à travailler et deux contrats de maçon avec le même employeur, dès l’obtention du CAP, avec une rémunération supérieure au SMIC et que le Département n’a pas mis fin à sa prise en charge de manière brutale. Si l’intéressé est en passe de devenir autonome financièrement et socialement puisque, ainsi qu’il l’a soutenu à l’audience, il est susceptible de signer prochainement un contrat à durée indéterminée, il n’est toutefois, pas sérieusement contesté que ce dernier ne dispose d’aucune solution d’hébergement même provisoire. Enfin, s’il a été titulaire de deux contrat à durée déterminée avec le même employeur en qualité de maçon, avec une rémunération brute mensuelle supérieure au SMIC de 1880,62 euros, puis de 1678,99 euros, il est actuellement sans emploi et l’intéressé soutient sans être contredit ne percevoir aucun revenu de remplacement. M. A a donc encore besoin, pour quelques mois, d’un accompagnement des services de l’aide sociale à l’enfance pour l’aider notamment à trouver une solution d’hébergement à même de garantir son insertion socio-professionnelle à terme.

Dans ces circonstances, le Département de l’Isère ne conteste pas utilement l’existence d’une situation d’urgence alors que la décision litigieuse aurait pour effet d’entraîner immédiatement pour le requérant de très graves difficultés et compromettrait les efforts d’intégration de l’intéressé. Compte-tenu de ces circonstances, la condition d’urgence prévue à l’article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.

7. Dans ces circonstances, et en l’état de l’instruction, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 5° de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles au regard de la situation de l’intéressé, alors que la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 a renforcé les obligations des départements à l’égard des jeunes majeurs lorsqu’ils ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance avant leur majorité, est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

[…].  »


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TA Grenoble – Ordonnance N°2207258 du 21 novembre 2022
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