Résumé :
La CAA confirme l’annulation de l’arrêté par lequel le préfet a refusé à l’intéressé, placé à l’ASE avant ses 16 ans, la délivrance d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » (art. L.423-22 du CESEDA) et l’enjoint de lui délivrer cette carte dans un délai d’un mois.
En effet, l’intéressé présente un jugement supplétif pris en compte par le juge des enfants pour décider de son placement en assistance éducative en qualité de mineur isolé et si le résultat d’une radiographie du poignet indique un âge osseux théorique de 19 ans, un âge de plus de seize ans lors du placement à l’ASE ne peut-être regardé comme acquis, notamment au regard de la marge d’erreur de ce type d’examen. En outre, la circonstance que les empreintes de l’intéressé soient rattachées à une personne majeure selon les autorités espagnoles ne suffit pas à remettre en cause l’extrait du registre d’état-civil produit.
Par ailleurs, les faits (déclaration fausse ou incomplète pour obtenir d’un organisme de protection sociale une allocation ou prestation indue) indiqués dans le procès-verbal des services de police (et apparaissant sur le fichier du traitement d’antécédents judiciaires) n’ont donné lieu à aucune poursuite pénale et leur matérialité est contestée par l’intéressé. Ils ne permettent pas de caractériser l’existence d’une menace pour l’ordre public.
C’est également à tort que le préfet relève l’absence de sérieux du suivi de sa formation alors que l’intéressé, malgré des débuts difficiles, a fait de sérieux et réels progrès et a signé, suite à sa réorientation, un contrat d’apprentissage avec un employeur qui souligne son sérieux et son assiduité.
Enfin, la Cour rappelle que l’art. L. 423-22 du CESEDA n’exige pas que le demandeur soit isolé dans son pays d’origine et que la délivrance du titre doit procéder d’une appréciation globale de la situation de la personne concernée (caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, liens avec sa famille restée dans le pays d’origine et avis de la structure d’accueil sur son insertion dans la société française).
Extraits de l’arrêt :
« […].
5. En l’espèce, l’intimé a produit un jugement supplétif du 29 octobre 2018 du tribunal de première instance de Kaloum (République de Guinée) jugeant que M.A est né le 21 novembre 2003, qui a été transcrit dans le registre d’état-civil de Kaloum le 28 décembre 2018. Cette date de naissance a notamment été prise en compte par le tribunal pour enfants près la cour d’appel de Douai, sur le fondement des dispositions de l’article 47 du code civil qui dispose que « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité (…) », pour décider de son placement en assistance éducative en qualité de mineur isolé en application de l’article 375 du code civil. Si le préfet du Nord se prévaut d’une radiographie du poignet du 16 août 2018 dont il ressort un âge osseux théorique de 19 ans selon la méthode de Greulich et Pyle, compte tenu de la marge d’erreur susceptible d’affecter les résultats de ce type d’examen osseux et en l’absence de tout autre examen clinique, un âge de plus de seize ans ne peut être regardé, en l’espèce, comme acquis à la date de son placement à l’aide sociale à l’enfance (ASE).
La circonstance qu’une comparaison d’empreintes ait donné un résultat positif auprès des autorités espagnoles, qui ont enregistré un dénommé avec pour date et lieu de naissance le [...] 1999 en Guinée, entré illégalement en Espagne [...] et en infraction avec la législation sur les étrangers le [....], ainsi qu’il ressort d’un procès-verbal du [...], ne suffit pas à remettre en cause l’extrait du registre d’état-civil du 28 décembre 2018 produit par M.A. Le procès-verbal du 16 août 2018 dressé par les services de police pour des faits notamment de « déclaration fausse ou incomplète pour obtenir d’un organisme de protection sociale une allocation ou prestation indue » qui n’ont donné lieu à aucune poursuite pénale, et le fichier du traitement d’antécédents judiciaires au nom du requérant sur lequel sont reportées ces mentions du procès-verbal, ne permettent pas, alors que la matérialité des faits en cause est contestée par M.A, de caractériser l’existence de la menace pour l’ordre public alléguée par le préfet. Dans ces conditions, M.A doit être regardé comme ayant été confié à l’aide sociale à l’enfance avant l’âge de seize ans.
6. Le préfet du Nord fait valoir la réorientation de M.A pour contester le sérieux du suivi de sa formation. Cependant, il ressort des pièces du dossier qu’après des débuts difficiles, dont atteste son bulletin du premier trimestre 2019-2020, M.A a fait de sérieux et de réels progrès, ainsi qu’en justifie son bulletin du premier trimestre 2020-2021. Ses bilans individuels d’insertion professionnelle montrent que s’il a d’abord effectué un stage dans le domaine de la restauration, il a en parallèle participé à différents ateliers de découverte de métiers, et a trouvé un poste d’apprenti en chaudronnerie, qui a donné lieu à la signature d’un contrat d’apprentissage en décembre 2020, l’employeur étant satisfait et l’apprenti étant sérieux et assidu. Dans ces circonstances, M.A ne peut être regardé comme dépourvu d’un projet professionnel sérieux.
7. Le préfet du Nord soutient qu’il incombe à l’étranger, et non à l’administration, d’établir que l’intéressé est dépourvu de liens privés et familiaux dans son pays d’origine. Cependant, d’une part, les dispositions de l’article L. 423-22 précité n’exigent pas que le demandeur soit isolé dans son pays d’origine et, d’autre part, la délivrance du titre doit procéder d’une appréciation globale sur la situation de la personne concernée au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, de ses liens avec sa famille restée dans le pays d’origine et de l’avis de la structure d’accueil sur son insertion dans la société française. En l’espèce, si M.A a en Guinée ses parents et sa soeur, il ne ressort pas des pièces du dossier que M.A entretienne avec sa famille demeurée dans son pays d’origine des liens d’une particulière intensité, ni même de quelconques relations, alors qu’il poursuit depuis son placement en 2019 une formation professionnelle sérieuse et assidue. En outre, plusieurs pièces au dossier, notamment une attestation du responsable de son centre de formation, une attestation de son employeur en contrat d’apprentissage, et une attestation sportive du Sporting Club […] , justifient de la bonne insertion, professionnelle et extra-professionnelle, de M.A dans la société française. Dans ces circonstances, le préfet ne pouvait, sans entacher sa décision d’une erreur d’appréciation, refuser la délivrance du titre sollicité.
[…]. »
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