Résumé :
Le juge des référés, statuant sur le fondement de l’art. L. 521-2 du code de justice administrative (« référé-liberté »), enjoint au conseil départemental des Alpes-Maritimes de prendre en charge l’intéressé, se déclarant mineur et isolé, dans le cadre d’un accueil provisoire d’urgence et de réaliser l’évaluation prévue par l’art. R. 221-11 du CASF.
L’intéressé a fait l’objet d’un refus d’entrée en France par les services de la PAF et a été remis aux autorités italiennes, avant d’être de nouveau remis aux autorités françaises au regard de sa minorité. Le préfet a alors prononcé à son encontre une OQTF, considérant l’intéressé majeur au regard de l’« évaluation » dont il a fait l’objet. Or, il a seulement été entendu par un agent du département dans le cadre d’un dispositif expérimental prévu par un accord conventionnel conclu le 16 mars 2021 entre les autorités de l’Etat, les autorités judiciaires et les autorités du département, visant à assister les agents de la PAF dans la détermination de la minorité de personnes étrangères se déclarant mineures et isolées à la frontière. Cet entretien ne saurait se substituer à l’évaluation telle que prévue par l’art. R. 221-11 du CASF et qui doit être conduite dans le cadre d’un accueil provisoire d’urgence.
L’intéressé, isolé, sans hébergement ni ressource, compte tenu de son dénuement et de la vulnérabilité liée à son âge, doit être regardé comme confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité. Ainsi, le défaut de prise en charge par le département dans les conditions prévues par l’art. R. 221-11 du CASF constitue une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
- Référé-liberté – art. L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »
- Art. R. 221-11 du CASF - dispositions encadrant la procédure de mise à l’abri et d’évaluation sociale de la minorité et de l’isolement des mineur·es isolé·es étranger·es.
Voir également depuis la loi du 7 févirer 2022 : art. L.221-2-4 du CASF.
« L’expérimentation par les Alpes-Maritimes d’un "poste avancé" de pré-évaluation
Le conseil départemental des Alpes-Maritimes expérimente, depuis mai 2021, une action préventive en matière de régulation des flux migratoires sous la forme d’un poste avancé de pré-évaluation sociale. Installé à la police aux frontières (PAF) de Menton, celui-ci emploie trois agents du département.
Selon les informations transmises par le conseil départemental, un tiers des personnes se présentant comme MNA et passant par ce poste ont ainsi été évaluées "manifestement majeures" et ont été renvoyées en Italie sans entrer sur le territoire national.
Le département ambitionne, sous réserve d’un financement par l’État, de mettre en place un fonctionnement "H24 et 7j/7" de ce poste avancé, supposant l’emploi de 5 ETP supplémentaires. Il a par ailleurs demandé au ministère de l’Intérieur que la PAF puisse utiliser le fichier AEM à la frontière. »
Extraits de l’ordonnance :
« [...].
6. Il résulte de l’instruction que M. A, ressortissant guinéen, est entré irrégulièrement en France le 28 décembre 2022. Interpellé à la gare de Menton par les services de la police aux frontières, il s’est vu opposer un refus d’entrée. Il a alors été remis aux autorités italiennes, lesquelles, après avoir constaté qu’il était mineur, l’ont à leur tour remis aux autorités françaises. Par arrêté du même jour, le préfet des Alpes-Maritimes, considérant que M. A devait être, contrairement à ses déclarations, considéré comme étant majeur, a prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français sans délai.
7. Il résulte de l’instruction que, si l’arrêté portant obligation de quitter le territoire français indique que M. A a fait l’objet d’une évaluation sociale et de minorité par les services du conseil départemental des Alpes-Maritimes dont il est ressorti que la minorité de ce dernier n’était pas établie, de sorte que " sa prise en charge dans le dispositif de protection de l’enfance a ainsi cessé par décision du 28 décembre 2022 ", M. A, en réalité, a seulement été entendu par un agent du département dans le cadre d’un dispositif expérimental prévu par un accord conventionnel conclu le 16 mars 2021 entre les autorités de l’Etat, les autorités judiciaires et les autorités du département, dit d’appréciation de la minorité, ce dispositif visant à assister les agents de la police aux frontières dans la détermination de la minorité de personnes étrangères se déclarant à la frontière mineures et isolées. Toutefois, l’entretien réalisé dans le cadre de ce dispositif conçu, selon les stipulations du protocole, pour " limiter l’utilisation du dispositif de protection de l’enfance aux seules personnes étrangères susceptibles d’être mineures et isolées " ne saurait se substituer à l’évaluation de la situation de la personne telle que prévue par l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles et qui doit être conduite dans le cadre d’un accueil provisoire d’urgence, lequel prend fin par la notification d’une décision motivée de refus de prise en charge qui est susceptible de recours.
8. M. A, est, dans l’immédiat, seul, sans famille, sans hébergement ni ressources. Compte tenu de son dénuement et de la vulnérabilité liée à son jeune âge, il doit être regardé comme confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité. Il en résulte que le défaut de prise en charge par le département des Alpes-Maritimes dans les conditions prévues par les dispositions de l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles constitue une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Par suite, il y a lieu d’enjoindre au président du conseil départemental des Alpes-Maritimes de prendre à sa charge l’hébergement provisoire d’urgence de M. A dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de la présente ordonnance et de réaliser l’évaluation prévue par l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles. [...].
[…]. »
Voir l’ordonnance au format PDF :