Cour administrative d’appel de Bordeaux – 1ère chambre - Arrêt N° 21BX02934 du 17 décembre 2021 – Annulation d’un refus de titre de séjour (L.435-3 du CESEDA) – Autorité de la chose jugée s’attachant au dispositif et motifs qui sont le support nécessaire d’un jugement d’annulation devenu définitif – La préfète ne pouvait fonder son nouveau refus sur un motif identique à celui censuré par le TA en l’absence de modification de la situation de droit ou de fait – Sérieux de la formation suivi malgré l’échec d’un premier CAP et une réorientation

Résumé :

La Cour annule l’arrêté par lequel la préfète refuse de nouveau à l’intéressé un titre de séjour sur le fondement de l’art. L. 313-15 (devenu L.435-3 du CESEDA) et l’enjoint de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de deux mois.

La préfète a méconnu l’autorité de la chose jugée qui s’attache au jugement du TA de Bordeaux annulant un premier refus de titre de séjour puisqu’elle a de nouveau refusé ce titre pour un motif identique à celui censuré par le TA, et ce en l’absence de modification de la situation de droit ou de fait. En effet, alors que le TA avait jugé que la préfète n’apportait pas la preuve du caractère frauduleux des documents d’état civil présentés, elle retient de nouveau dans le cadre de son second refus l’absence de caractère probant de ces mêmes documents au regard d’un nouvel avis du service de la fraude qui se fonde sur les mêmes motifs que les avis antérieurs, et ce en l’absence d’élément de fait nouveau (notamment une saisine des autorités maliennes).

Par ailleurs, la préfète a entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation en considérant que l’intéressé ne remplissait pas des conditions posées par l’art. L. 313-15 du CESEDA. S’agissant de sa formation, la Cour souligne que l’échec pour l’obtention de son CAP s’explique principalement par des difficultés de maîtrise de la langue française et qu’il a fait preuve de sérieux et de motivation dans ce cadre, puis dans celui de sa réorientation vers une autre formation et a en outre bénéficié du renouvellement de son contrat jeune majeur.


Extraits de l’arrêt :

« […].

4. Pour annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 23 octobre 2019 par lequel la préfète de la Gironde avait refusé de délivrer à M. A un titre de séjour sur le fondement de l’article L. 313-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le tribunal administratif de Bordeaux, par son jugement du 17 juin 2020 devenu définitif, s’est fondé sur le fait que, s’agissant de l’extrait d’acte de naissance [...], l’avis défavorable du service de la fraude documentaire de la direction zonale de la police aux frontières résultait uniquement d’un doute sur la compétence de l’adjoint au maire ayant légalisé le document et non sur le document lui-même qui possédait toutes les caractéristiques d’un acte authentique, sans trace de fraude. S’agissant du jugement supplétif [...] et du nouvel acte de naissance, aux mentions conformes et cohérentes avec les actes antérieurs, il a retenu que le demandeur justifiait, sans être contredit, de la différence de numéro d’identifiant par la règlementation en vigueur au Mali, selon laquelle les actes établis sur jugement supplétif reçoivent un nouveau numéro d’identification et que le rapport d’analyse se bornait à émettre des doutes sur les conditions de délivrance de ces documents sans conclure de manière formelle à leur caractère frauduleux, ces actes apparaissant conformes à leur formalisme, sans trace de fraude. Le tribunal administratif en a déduit qu’en l’absence de saisine des autorités maliennes la préfète ne pouvait être regardée comme apportant la preuve du caractère frauduleux de ces documents d’état civil. L’autorité de la chose jugée s’attachant au dispositif de ce jugement d’annulation devenu définitif ainsi qu’aux motifs qui en sont le support nécessaire faisait obstacle à ce que, en l’absence de modification de la situation de droit ou de fait, le titre de séjour sollicité soit à nouveau refusé par l’autorité administrative pour un motif identique à celui qui avait été censuré par le tribunal administratif.

5. En l’espèce, alors que le requérant soutient sans être contredit qu’il n’a pas envoyé d’autre document d’état civil dans le cadre du réexamen de sa demande de titre de séjour, la préfète se prévaut d’un avis du service de la fraude documentaire par mail du 3 août 2020, qui se fonde sur les mêmes motifs que les avis antérieurs. Ainsi, en l’absence d’élément de fait nouveau, et notamment d’une saisine des autorités maliennes, en retenant que les documents d’état civil produits par l’intéressé étaient entachés de fraude et ne pouvaient être regardés comme probants, le préfète de la Gironde a méconnu l’autorité de la chose jugée qui s’attache au jugement n° 2000498 du 17 juin 2020.

6. Il ressort toutefois de la décision attaquée que la préfète, si elle a déclaré la demande irrecevable a également procédé à l’examen de la situation de M. A au regard des conditions de l’article L. 313-15 […] pour estimer qu’il ne remplissait pas les conditions posées par cet article. Il est constant que l’intéressé a été pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance […], à l’âge de seize ans. Il ressort des pièces du dossier qu’il a d’abord suivi un CAP cuisine qu’il n’a pas obtenu au terme de deux années d’études et qu’il a ensuite souhaité se réorienter dans une nouvelle formation de peintre en bâtiment, pour laquelle il a suivi une formation qualifiante […] puis signé un contrat de professionnalisation […]. M. A justifie ainsi suivre une formation depuis plus de six mois et ne constitue pas une menace pour l’ordre public. Il ressort également des pièces du dossier que son échec pour l’obtention de son CAP s’explique principalement par ses difficultés de maîtrise de la langue française et que les rapports éducatifs le décrivent comme sérieux, motivé et impliqué dans ses études et auprès de son employeur durant le CAP et soulignent ses efforts pour combler ses lacunes en français. A cet égard, même si un rapport évoque son refus de suivre des cours supplémentaires, le requérant justifie avoir suivi sérieusement des cours de français durant toute la période considérée. Dans le cadre de sa réorientation, le rapport éducatif établi fin 2020 note qu’il est assidu et fait preuve d’une grande motivation, en s’investissant pleinement dans son apprentissage et dans les cours théoriques, et que son employeur comme ses formateurs soulignent son sérieux et son investissement tant sur le plan théorique que pratique, son employeur souhaitant le recruter au terme de son contrat d’apprentissage. M. A a également bénéficié du renouvellement de son contrat jeune majeur du 1er octobre 2020 au 30 mars 2021. Dans ces conditions quand bien même il n’est pas dépourvu d’attaches familiales dans son pays d’origine, où réside notamment sa mère, M. A est fondé à soutenir que la préfète de la Gironde a entaché sa décision de refus de séjour d’une erreur manifeste d’appréciation.

[…].  »


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CAA Bordeaux - Arrêt N°21BX02934 du 17 décembre 2021
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