Tribunal administratif de Caen – Ordonnance n°2300782 du 29 mars 2023 – Référé liberté – APU – Le département de l’Orne est enjoint d’assurer l’accueil provisoire d’un mineur isolé – Appréciation manifestement erronée sur l’absence de qualité de mineur isolé – Atteinte grave et illégale à une liberté fondamentale

Résumé :

Le juge des référés, saisi sur le fondement de l’art. L. 521-2 du CJA ("référé-liberté") enjoint au département d’assurer l’accueil provisoire de l’intéressé jusqu’à décision de l’autorité judiciaire.

Il retient tout d’abord que l’appréciation portée par le département sur l’absence de qualité de mineur isolé est manifestement erronée et révèle une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
En effet, si le département mentionne que l’intéressé serait connu dans le système biométrique national (SBNA) sous l’identité d’une femme de 35 ans, il est incontestable qu’il ne correspond pas à cette identité. Il présente en outre devant le TA des documents (extrait d’acte de naissance, copie intégrale du registre des actes d’état civil, certificat de nationalité) dont l’authenticité n’est pas remise en cause. Enfin, le fait qu’il ait pu avoir un discours stéréotypé, peu précis et contenant des incohérences, ne saurait suffire pour remettre en cause sa minorité.

La condition d’urgence est par ailleurs remplie, l’intéressé étant notamment sans domicile fixe et souffrant d’une infection.

RAPPEL – Le référé-liberté – Article 521-2 du code de justice administrative

« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »

RAPPEL – La compétence du juge administratif

Par une décision de principe du 1er juillet 2015, le Conseil d’État a déclaré incompétent le juge administratif pour examiner le refus du Conseil départemental d’admettre un mineur isolé étranger à l’ASE au motif qu’il existait une voie de recours devant le juge des enfants.

TOUTEFOIS, dans certains cas la saisine du Tribunal administratif demeure possible. Notamment :

• Le Conseil d’Etat confère aux mineurs la capacité d’effectuer des référés-liberté devant le juge administratif lorsqu’un département refuse de les prendre en charge malgré la décision judiciaire les y contraignant. Voir : Conseil d’Etat, 12 mars 2014, n°375956 ainsi que quatre décisions du 27 juillet 2016. (Dans certaines conditions, le juge peut également prononcer une injonction à l’égard de l’autorité de police générale).

• Surtout, en 2020, le Conseil d’Etat a ouvert la possibilité de faire appel au juge des référés pour des mineurs en recours devant le juge des enfants, afin de demander le prolongement de leur accueil provisoire, en affirmant qu’ : «  il appartient toutefois au juge du référé, statuant sur le fondement de l’article L 521- 2 du code de justice administrative, lorsqu’il lui apparait que l’appréciation portée par le département sur l’absence de qualité de mineur isolé de l’intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité, d’enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire ». (Voir : Conseil d’Etat, 4 juin 2020, n°440686).


Extraits de l’ordonnance :

« […].

6. […] il incombe aux autorités du département, le cas échéant dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants ou par le procureur de la République ayant ordonné en urgence une mesure de placement provisoire, de prendre en charge l’hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l’aide sociale à l’enfance. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu’un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l’accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il incombe au juge des référés d’apprécier, dans chaque cas, les diligences accomplies par l’administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l’âge, de l’état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

7. Il en résulte également que, lorsqu’il est saisi par un mineur d’une demande d’admission à l’aide sociale à l’enfance, le président du conseil départemental peut seulement, au-delà de la période provisoire de cinq jours prévue par l’article L. 223-2 du code de l’action sociale et des familles, décider de saisir l’autorité judiciaire mais ne peut, en aucun cas, décider d’admettre le mineur à l’aide sociale à l’enfance sans que l’autorité judiciaire l’ait ordonné. L’article 375 du code civil autorise le mineur à solliciter lui-même le juge judiciaire pour que soient prononcées, le cas échéant, les mesures d’assistance éducative que sa situation nécessite. Lorsque le département refuse de saisir l’autorité judiciaire à l’issue de l’évaluation mentionnée au point 5 ci-dessus, au motif que l’intéressé n’aurait pas la qualité de mineur isolé, l’existence d’une voie de recours devant le juge des enfants par laquelle le mineur peut obtenir son admission à l’aide sociale rend irrecevable le recours formé devant le juge administratif contre la décision du département.

8. Il appartient toutefois au juge des référés, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, lorsqu’il lui apparaît que l’appréciation portée par le département sur l’absence de qualité de mineur isolé de l’intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité, d’enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire.

[…].

10. En l’espèce, le président du conseil départemental de l’Orne a, par une décision du 15 février 2023, mis fin à l’accueil provisoire de M. B et refusé sa prise en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance au motif qu’il n’était pas possible pour le département d’attester de la minorité alléguée et de l’isolement de M. B sur le territoire français. Il résulte de l’instruction que le département s’est fondé sur le fait que M. B n’avait présenté aucun document d’identité, qu’il était connu pour avoir demandé un titre de séjour ou un document de circulation sous l’identité de Mme Naima [....] née […] 1987, et que son récit sur son parcours était peu détaillé, parfois stéréotypé et faisait apparaître des incohérences. Toutefois, si le rapport d’appui à l’évaluation de la minorité indique que le requérant est connu, dans le système biométrique national (SBNA), sous l’identité de « Mme Naima [...] né(e) le […]1987 », mais qu’il est inconnu dans la base Visabio et le fichier dit « AEM » Appui à l’évaluation de la minorité, il ne peut être sérieusement contesté que l’intéressé, présent à l’audience, n’est pas de sexe féminin et qu’il n’est pas âgé de 35 ans. En outre, M. B fait valoir que, depuis l’évaluation de situation dont il a fait l’objet le 9 février 2023, il a pu récupérer des documents concernant son état civil, en particulier un extrait d’acte de naissance, une copie intégrale du registre des actes d’état civil ainsi qu’un certificat de nationalité, documents produits à l’appui de la présente requête et dont l’authenticité n’est pas remise en cause par le département de l’Orne. Enfin, la circonstance que l’intéressé ait pu avoir un discours stéréotypé et peu précis et qu’il confirmait sa version des faits lorsque des incohérences étaient relevées par les évaluateurs, notamment sur les rencontres fortuites avec des adultes qui l’ont aidé, de même que le fait qu’il ait déjà travaillé dans son pays alors qu’il dit être âgé de quinze ans, ne sauraient suffire pour remettre en cause la minorité alléguée. Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’appréciation du département de l’Orne sur l’absence de qualité de mineur isolé de M. B apparaît, à la date de la présente ordonnance, manifestement erronée et révèle une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

11. En outre, il résulte de l’instruction que M. B est sans domicile fixe, qu’il bénéficie de l’aide du Secours populaire et des Restos du cœur et qu’il souffre, selon un certificat […] d’une infection tuberculeuse latente pour laquelle il a un traitement médical jusqu’au 23 mai 2023. La condition d’urgence exigée par les dispositions précitées de l’article L. 521-2 du code de justice administrative doit, dans ces conditions, être regardée comme remplie.

[…].  »


Voir l’ordonnance au format PDF :

TA Caen - Ordonnance n°2300782 du 29 mars 2023
Retour en haut de page