Cour d’appel de Besançon – Chambre spéciale des mineurs – Arrêt N°23 du 14 juin 2023 – La CA confie l’intéressé, mineur isolé, à l’ASE – Appréciation subjective de la PAF quant à son apparence physique (photographie passeport) – Les quelques incohérences relevées dans le rapport d’évaluation sont d’autant moins probantes que le caractère pluridisciplinaire de l’évaluation n’a pas été démontré

Résumé :

La CA infirme le jugement du juge des enfants de Besançon et confie l’intéressé, mineur isolé sur le territoire français, au département du Doubs.

En effet, pour rejeter sa demande de protection, le juge des enfants s’était notamment fondé sur les doutes émis par la PAF quant à l’âge de l’intéressé au regard de la photographie présente sur son passeport. Or, la Cour souligne que la PAF a bien considéré le passeport comme étant authentique et que son appréciation quant à l’apparence physique de l’intéressé est toute subjective.

En outre, si le juge des enfants avait retenu que le rapport d’évaluation faisait état d’incohérences, la CA retient que ces dernières sont ténues et peu significatives (notamment concernant la mention d’une date de naissance différente lors de l’entretien d’accueil) et qu’il en va de même des quelques imprécisions sur sa biographie et son parcours migratoire eu égard au caractère traumatisant d’un tel périple.

Surtout, la CA retient que ces contradictions sont d’autant moins probantes que l’évaluation dont l’intéressé a fait l’objet n’a pas respecté la garantie de pluridisciplinarité exigée par l’art. R221-11 du CASF et l’arrêté du 20 novembre 2019. Il n’apparaît en effet pas que l’entretien ait été mené par deux évaluateurs ayant des qualifications ou expériences différentes ou qu’il ait été relu par une équipe composée de personnes ayant des qualifications ou des expériences différentes avant validation par le responsable de l’équipe.

RAPPEL - Caractère pluridisciplinaire de l’évaluation sociale :


Alinéa 7 du II de l’art. R.221-11 du CASF : «  Les entretiens mentionnés au deuxième alinéa du présent article sont conduits par des professionnels justifiant d’une formation ou d’une expérience définie par arrêté des ministres mentionnés au III dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire et se déroulant dans une langue comprise par l’intéressé. »

Art. 6 de l’arrêt du 20 novembre 2019 : « Le président du conseil départemental s’assure également du caractère pluridisciplinaire de l’évaluation sociale de la personne se présentant comme mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille. Cette pluridisciplinarité repose sur au moins une des deux modalités suivantes :

  • les entretiens avec la personne évaluée sont menés par au moins deux évaluateurs ayant des qualifications ou des expériences différentes, qui interviennent soit simultanément, soit de façon séquentielle ;
  • le rapport d’évaluation sociale est relu par une équipe composée de personnes ayant des qualifications ou des expériences différentes avant validation par le responsable d’équipe. »


Extraits de l’arrêt :

«  […].

En l’espèce, M. N s’est fait délivrer par les autorités consulaires ivoiriennes le 24 octobre 2022 un passeport biométrique.

Ce passeport a été soumis pour examen technique à la cellule de fraude documentaire de la Police aux Frontières […].

En d’autres termes, le passeport est authentique mais la police aux frontières s’interroge sur les documents ayant permis son obtention en raison d’une incohérence entre l’aspect physique de M. N et la date de naissance du [...] 2007.

Cette dernière appréciation est néanmoins toute subjective et tel qu’il s’est présenté à l’audience devant la cour, il apparaît difficile d’affirmer avec certitude que M. N est âgé de plus de 18 ans et qu’il n’a pas l’âge de 16 ans.

Quant au rapport d’évaluation qui a été établi en application de l’article R.221-11 du code de l’action sociale et des familles, les contradictions qu’il relève apparaissent ténues et peu significatives. Ainsi en est-il notamment de la date de naissance donnée lors de l’entretien d’accueil du 19 avril 2022 avec les services du département du Doubs qui est différente de celle figurant sur le passeport dès lors que M.A a bien indiqué la date du [...] 2007 lors de son entretien d’évaluation du 19 avril 2022 qui était celle qu’il avait déjà déclarée au département de Saône et Loire. Ainsi en est-il également des quelques incohérences ou contradictions de détail dans sa biographie et la chronologie du parcours migratoire, imprécisions compréhensibles au vu du caractère traumatisant d’un tel périple.

Les contradictions relevées sont d’autant moins probantes qu’il n’apparaît pas que l’évaluation dont a fait l’objet M.A ait été véritablement pluridisciplinaire au sens de l’article R.221.11 du code de l’action sociale et des familles et de l’arrêté du 20 novembre 2019 pris en application de ce texte. Sans qu’il soit ici jugé de la régularité de cet acte administratif signé par une éducatrice et sa cheffe de service, il n’apparaît pas que l’entretien ait été mené par deux évaluateurs ayant des qualifications ou des expériences différentes ou qu’il ait été relu par une équipe composée de personnes ayant des qualifications ou des expériences différentes avant validation par le responsable de l’équipe.

Il y a lieu de retenir dès lors qu’il n’existe pas suffisamment d’éléments permettant de considérer que le passeport régulier obtenu par M. N ne correspond pas à la réalité.

[…]. »


Voir l’arrêt au format PDF :

CA Besançon - Arrêt du 14 juin 2023
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