Résumé :
Le Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’art. L.521-2 du code de justice administrative (« référé liberté »), rejette la requête du département des Bouches-du-Rhône demandant l’annulation de l’ordonnance du TA de Marseille qui lui a enjoint d’accorder à l’intéressée (confiée provisoirement à l’ASE durant sa minorité et accompagnée de sa fille en bas âge) une prise en charge en tant que jeune majeure.
Si le département remettait ici en cause la minorité de l’intéressée lors de sa prise en charge par l’ASE, le Conseil d’Etat souligne que les doutes concernant sa date de naissance n’ont pu être levés et que le juge des enfants avait prononcé la poursuite provisoire de sa prise en charge.
L’intéressée ne disposant en outre d’aucun ressources ni soutien en France, le Conseil d’Etat retient qu’elle remplit ainsi les conditions posées par le 5° de l’art. L.222-5 du CASF et que par suite, ce refus porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit à une prise en charge au titre de l’ASE du jeune remplissant ces conditions.
Par ailleurs, l’argument par lequel le département faisait valoir que la condition d’urgence ne serait pas remplie au motif qu’il s’était engagé à poursuivre sa prise en charge jusqu’à ce qu’une solution d’hébergement d’urgence soit proposée par le 115 est écarté. Le Conseil d’Etat retient en effet que la poursuite de la prise en charge socio-éducative globale de l’intéressée est incompatible avec une fin de prise en charge par l’ASE en qualité de jeune majeure, qui aurait pour elle des conséquences graves.
« La loi du 7 février 2022 a créé un droit au maintien de la prise en charge pour les jeunes confiés à l’ASE avant leur majorité et qui ne disposent pas encore, une fois celle-ci atteinte, de ressources ou d’un soutien familial suffisant. Dans cette hypothèse, les départements ne disposent plus, comme par le passé, d’un large pouvoir d’appréciation leur permettant de fixer des critères extralégaux, notamment en termes d’exigences de scolarisation, de formation ou de perspectives d’insertion rapide. Seuls les besoins du jeune conditionnent le maintien ou la réactivation de sa prise en charge par l’ASE. » (voir ADDENDUM du 26 juillet 2022 à l’édition 2020 du cahier juridique « Quelles aides pour les jeunes majeurs isolés ? - Co-édition Aadjam / Gisti / InfoMIE »).
Le droit à une prise en charge des jeunes majeurs visés par le 5° de l’article L. 222-5 du CASF a été affirmé de manière claire et répétée par le Conseil d’Etat : voir notamment Conseil d’Etat – Ordonnance N°468365 du 15 novembre 2022 ; Conseil d’Etat – Ordonnance N°468184 du 28 novembre 2022 ; Conseil d’Etat – Ordonnance N°469133 du 12 décembre 2022 ; Conseil d’Etat – Ordonnance N°469420 du 15 décembre 2022 ; Conseil d’Etat – Ordonnance N°473812 du 16 mai 2023
Extraits :
« […].
Sur l’âge de Mme B et son droit à la poursuite de sa prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance en qualité de jeune majeur :
5. En premier lieu, il résulte de l’instruction et des différentes expertises ordonnées par le juge des enfants les 18 août 2022 et 9 janvier 2023, d’une part, que les doutes concernant la date de naissance de Mme B n’ont pu, à le date de la présente décision, être levés, eu égard notamment à l’absence de force probante de la copie d’acte de naissance et du jugement supplétif guinéens produits par l’intéressée, et d’autre part, que le juge des enfants a ordonné, par un nouveau jugement du 12 mai 2023, la poursuite de la prise en charge de l’intéressée par le département des Bouches-du-Rhône dans l’attente de la réalisation d’une nouvelle expertise osseuse. En second lieu, si Mme B, selon ses propres affirmations, serait née le 13 mai 2005 et aurait donc atteint sa majorité le 13 mai 2023, il résulte également de l’instruction qu’elle est sans ressources ni soutien en France, élève seule sa fille A, âgée de deux ans, et suit notamment de façon régulière une formation qualifiante visant à lui permettre d’obtenir un CAP. En l’état de l’instruction, elle doit être regardée comme remplissant les conditions posées par les dispositions du 5° de l’article L.222-5 du code de la famille et de l’aide sociale, qui imposaient la poursuite de sa prise en charge en qualité de jeune majeur. Par suite, le refus de sa prise en charge à ce titre porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit à une prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance du jeune majeur remplissant ces conditions.
Sur l’urgence et la possibilité pour Mme B d’être prise en charge par l’Etat au titre de l’aide sociale et de bénéficier d’un hébergement d’urgence :
6. Le département des Bouches-du-Rhône fait valoir, au soutien de son appel, qu’il s’est engagé à poursuivre la prise en charge de Mme B à la maison d’accueil [...] avec sa fille, jusqu’à ce qu’une solution d’hébergement d’urgence dans une structure d’accueil mère-enfant puisse lui être proposée par le 115, permettant la poursuite de sa prise en charge par l’Etat au titre de l’aide sociale, de sorte que la condition d’urgence requise par l’article L.521-2 du code de justice administrative n’est pas remplie. Toutefois, il ne résulte pas de l’instruction que la poursuite de la prise en charge socio-éducative globale de Mme B, qui remplit, à la date de la présente ordonnance, ainsi qu’il a été dit au point 4, les conditions posées par l’article L.222-5 du code de la famille et de l’aide sociale précité, soit compatible avec la fin de la prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance en qualité de jeune majeur, qui aurait pour elle des conséquences graves.
[…]. »
Voir l’ordonnance du Conseil d’Etat au format PDF :
Voir l’ordonnance du TA de Marseille au format PDF :