Résumé :
La Cour d’appel infirme le jugement du juge des tutelles et ordonne l’ouverture d’une mesure de tutelle, déférée au président du conseil départemental, à l’égard de l’intéressé, mineur et isolé sur le territoire français.
Suite à une évaluation ayant conclu à sa minorité dans un premier département, l’intéressé avait été orienté, par le biais d’une ordonnance placement provisoire, vers un second département au sein duquel il a fait l’objet d’une seconde évaluation de sa minorité.
La Cour d’appel retient que cette seconde évaluation est illégale et devra donc être écartée, de même que les consultations des fichiers AEM, AGDREF2 et VISABIO sollicitées au regard des conclusions de celle-ci, car contraire à l’interdiction posée à l’art. L.221-2-5 du CASF. La caducité de l’ordonnance de placement provisoire du procureur de la République, qui n’est en rien imputable au mineur (le procureur n’ayant pas saisi le juge des enfants dans un délai de huit jours), ne saurait faire exception au principe d’interdiction de réévaluation, justement adopté par le législateur afin de stabiliser la situation de ces mineurs en cas de réorientation vers un autre département.
Par ailleurs, la Cour d’appel rappelle que l’attitude et l’apparence physique de l’intéressé constituent des critères subjectifs qui ne sauraient à eux seuls faire obstacle à la reconnaissance de sa minorité.
Observations du Défenseur des Droits : Décisions 2022-129 du 8 juin 2022 relative à des observations présentées devant la Cour d’appel concernant un mineur non accompagné ressortissant malien muni de documents d’état civil et réévalué après orientation nationale
La loi du 7 février 2022 créé un nouvel article L.221-2-5 du CASF qui pose l’interdiction pour les conseils départementaux de procéder à une nouvelle évaluation de la minorité et de l’isolement (appelée « réévaluation » ou « double évaluation ») d’un·e MIE ayant déjà été évalué·e mineur·e et isolé·e dans un premier département d’accueil, puis orienté·e sur décision judiciaire vers un nouveau département.
Cette interdiction s’applique lorsque le placement est ordonné dans le cadre d’une ordonnance de placement prise par le Parquet ou d’une décision du juge des enfants (l’article L.221-2-5 visant le troisième alinéa de l’article 375-5 et le 3° de l’article 375-3 du code civil).
Art. L.221-2-5 du CASF : « Le président du conseil départemental ne peut procéder à une nouvelle évaluation de la minorité et de l’état d’isolement du mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille lorsque ce dernier est orienté en application du troisième alinéa de l’article 375-5 du code civil ou lorsqu’il est confié à l’aide sociale à l’enfance en application du 3° de l’article 375-3 du même code. »
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Extraits de l’arrêt :
« […].
En l’espèce, il ressort des pièces du dossier qu’en dépit du libellé du document établi par le D le 15 février 2022, intitulé "complément d’information à une évaluation", X a fait l’objet de deux évaluations de minorité exhaustives, faisant toutes deux état de l’ensemble des items listés à l’article 8 de l’arrêté du 20 novembre 2019 pris en application de l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles, soit l’état civil du déclarant, la composition familiale, ses conditions de vie dans sa famille et son environnement social dans son pays d’origine, les motifs de son départ, son parcours migratoire, ses conditions de vie depuis son arrivée en France et son projet.
[…].
Contrairement à ce que soutenu par le président du conseil départemental de C, les dispositions ci-avant rappelées de l’article L. 221-2-5 du code de l’action sociale et des familles étaient applicables à X, en dépit de ce que l’ordonnance de placement provisoire dont il avait fait l’objet le 14 janvier 2022 était devenue caduque faute pour le procureur de la République d’avoir saisi le juge des enfants dans le délai de huit jours dont il disposait pour ce faire en application des dispositions de l’article 375-5 du code civil. En effet, aucun élément ne permettait, à la date à laquelle a été réalisée cette seconde évaluation, de conclure à la majorité de X, et la caducité de l’ordonnance de placement provisoire, qui n’est en rien imputable au mineur, ne saurait faire exception au principe d’interdiction de réévaluation de la minorité des mineurs non accompagnés, justement adopté par le législateur afin de stabiliser la situation de ces mineurs en cas de réorientation vers un autre département.
Par suite, la seconde évaluation est illégale par application des dispositions de l’article L. 221-2-5 du code de l’action sociale et des familles, et sera écartée des débats sans plus ample examen.
Il en sera de même, par voie de conséquence et sans qu’il soit besoin de statuer sur leur légalité, des consultations des fichiers AEM, AGDREF2 et VISABIO, lesquelles n’ont été sollicitées qu’au regard des conclusions de cette seconde évaluation.
Dès lors qu’aucune vérification documentaire n’a été confiée aux services du bureau de la fraude documentaire de la police aux frontières (PAF), ou à l’échelle déconcentrée, à des personnes ressources en fraude documentaire, formées et agrées par ce bureau, la présomption de validité attachée à l’acte d’état civil produit par X ne saurait être remise en cause.
L’attitude et l’apparence physique de X constituent des critères subjectifs qui ne sauraient à eux-seuls suffire à faire obstacle à la reconnaissance de sa minorité.
[…]. »
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