Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne – quatrième chambre – 21 septembre 2023 – C-143/22 – Question préjudicielle – Réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures - La France est tenue de respecter les normes et procédures communes prévues par la directive « retour »

Résumé :

Le Conseil d’Etat, saisi par plusieurs associations d’un recours pour excès de pouvoir contre l’ordonnance n°2020-1733 du 16 décembre 2020, a sursis à statuer et a posé à la CJUE une question préjudicielle portant sur la possibilité de notifier des décisions de refus d’entrée en cas de réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures sans respecter les normes et procédures prévues par la directive 2008/115 (dite directive "retour").

Dans le présent arrêt, la CJUE juge que dans cette situation, si un Etat membre peut adopter une décision de refus d’entrée sur la base du code de frontières Schengen, il est néanmoins tenu de respecter les normes et procédures communes prévues par cette directive en vue de l’éloignement de l’intéressé (ce qui implique notamment que ce dernier bénéficie d’un délai pour quitter volontairement le territoire, l’éloignement forcé n’intervient qu’en dernier recours).

Voir la décision du Défenseur des droits n°2022-147 du 30 juin 2022 relative aux observations présentées devant la CJUE : www.infomie.net


Extraits de l’arrêt :

«  […].

L’article 25 du code frontières Schengen autorise, à titre exceptionnel et dans certaines conditions, un État membre à réintroduire temporairement un contrôle aux frontières sur tous les tronçons ou certains tronçons spécifiques de ses frontières intérieures en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure de cet État membre. Selon l’article 32 de ce code, lorsqu’un contrôle aux frontières intérieures est réintroduit, les dispositions pertinentes du titre II dudit code, titre qui porte sur les frontières extérieures, s’appliquent mutatis mutandis.

Tel est le cas de l’article 14 du code frontières Schengen, qui prévoit que l’entrée sur le territoire des États membres est refusée au ressortissant d’un pays tiers qui ne remplit pas l’ensemble des conditions d’entrée énoncées à l’article 6, paragraphe 1, de ce code et qui n’appartient pas à l’une des catégories de personnes visées à l’article 6, paragraphe 5, du même code.

Il importe toutefois de rappeler qu’un ressortissant d’un pays tiers qui, à la suite de son entrée irrégulière sur le territoire d’un État membre, est présent sur ce territoire sans remplir les conditions d’entrée, de séjour ou de résidence, se trouve, de ce fait, en séjour irrégulier, au sens de la directive 2008/115. Ce ressortissant relève, donc, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de cette directive et sous réserve de l’article 2, paragraphe 2, de celle-ci, du champ d’application de ladite directive, sans que cette présence sur le territoire de l’État membre concerné soit soumise à une condition de durée minimale ou d’intention de rester sur ce territoire. Il doit donc, en principe, être soumis aux normes et aux procédures communes prévues par la même directive en vue de son éloignement et cela tant que son séjour n’a pas été, le cas échéant, régularisé (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2019, Arib e.a., C‑444/17, EU:C:2019:220, points 37 et 39 ainsi que jurisprudence citée).

Il en va ainsi y compris lorsque ce ressortissant d’un pays tiers a été appréhendé à un point de passage frontalier, pour autant que ce point de passage frontalier se situe sur le territoire dudit État membre. […].

[…].

Il résulte de tout ce qui précède, d’une part, qu’un État membre ayant réintroduit des contrôles à ses frontières intérieures peut appliquer, mutatis mutandis, l’article 14 du code frontières Schengen ainsi que l’annexe V, partie A, point 1, de ce code à l’égard d’un ressortissant d’un pays tiers qui est intercepté, sans titre de séjour régulier, à un point de passage frontalier autorisé où s’exercent de tels contrôles.

D’autre part, lorsque ce point de passage frontalier est situé sur le territoire de l’État membre concerné, ce dernier doit toutefois veiller à ce que les conséquences d’une telle application, mutatis mutandis, des dispositions citées au point précédent n’aboutissent pas à méconnaître les normes et les procédures communes prévues par la directive 2008/115. […].

[…].

En égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que le code frontières Schengen et la directive 2008/115 doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’un État membre a réintroduit des contrôles à ses frontières intérieures, il peut adopter, à l’égard d’un ressortissant d’un pays tiers qui se présente à un point de passage frontalier autorisé situé sur son territoire et où s’exercent de tels contrôles, une décision de refus d’entrée, en vertu d’une application mutatis mutandis de l’article 14 de ce code, pour autant que les normes et les procédures communes prévues par cette directive soient appliquées à ce ressortissant en vue de son éloignement.

[...]. »


Voir l’arrêt au format PDF :

CJUE – 21 septembre 2023 – C-14322

Voir le communiqué de presse de la CJUE :

CP CJUE
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