Résumé :
La Cour d’appel annule le jugement du juge des enfants de Besançon pour défaut de communication au Ministère Public (art 425 dernier alinéa, 1187, 1189 et 1191 du code de procédure civile) et se prononçant sur le fond de l’affaire, confie l’intéressé, mineur et isolé, à l’aide sociale à l’enfance jusqu’à sa majorité.
Pour rejeter sa demande en assistance éducative, le juge des enfants avait notamment retenu que :
- si l’authenticité du passeport présenté n’était pas mise en doute par la PAF, cette dernière émettait des doutes sur l’âge de l’intéressé au regard de la photographie présente sur ce document et ainsi sur les pièces ayant permis son obtention.
Or, la CA retient que l’appréciation par la PAF de son âge au regard de la photographie du passeport est toute subjective et que tel qu’il s’est présenté à l’audience, on ne saurait dire qu’il est flagrant que l’intéressé n’est pas mineur. En outre, les conditions dans lesquelles il a récupéré les documents nécessaires à l’obtention de ce passeport ne sont pas incongrues et ne sauraient suffire à jeter la suspicion sur les documents en question (ayant contacté son frère en Côte d’Ivoire avec l’aide d’une association).
- les deux évaluations sociales remettaient en cause sa minorité.
Or, la CA souligne que rien ne permet de s’assurer que les professionnel.les ayant réalisé la première évaluation justifient d’une formation ou expérience adéquates, ni du caractère pluridisciplinaire de cette dernière (tel qu’exigé par l’art. R 221-11 du CASF et l’arrêté du 20 novembre 2019). En outre, l’intéressé a pu se trouver en difficulté pour relater son récit en langue française, ayant sollicité un interprète lors de son second entretien.
S’agissant de la seconde évaluation, son caractère pluridisciplinaire n’est pas non plus établi et son contenu est particulièrement laconique.
Ainsi, les lacunes de ces évaluations viennent relativiser et amoindrir le caractère probant des imprécisions et contradictions qu’elles pointent, qui d’ailleurs peuvent s’expliquer par un rapport aux dates et aux événements culturellement différent, par le niveau d’instruction du requérant pouvant lui rendre complexe de se situer dans le temps et d’avoir des repères chronologiques toujours fiables, ainsi que par le caractère par essence traumatique de son parcours migratoire.
S’il est fait notamment état du fait qu’il a mentionné aux évaluateurs une date de naissance différente de celle figurant sur son passeport, il n’avait alors aucun intérêt à se vieillir de quelques mois, aussi est-ce malaisé d’y voir une manipulation de sa part pour travestir la réalité.
Dès lors, la CA retient qu’il n’existe pas suffisamment d’élément permettant de considérer que le passeport régulier obtenu par l’intéressé ne correspond pas à la réalité.
Extraits de l’arrêt :
« […].
En d’autres termes, l’authenticité même du passeport n’est pas mise en doute, mais la police aux frontières s’interroge sur les pièces ayant permis l’obtention de ce titre, considérant que la photographie de Monsieur C apposée sur ce passeport révélait un âge apparent ne paraissant pas correspondre à celui résultant de la date de naissance mentionnée dans le document.
Cette dernière appréciation est néanmoins toute subjective et tel qu’il s’est présenté à l’audience devant la cour, on ne saurait dire qu’il est flagrant que Monsieur C n’est pas mineur. Par ailleurs, le fait que l’intéressé, avec l’aide de l’association qui l’accompagne dans ses démarches administratives, ait sollicité un frère resté en COTE D’IVOIRE pour récupérer les documents présentés pour obtenir son passeport n’est pas incongru en soi, et ne saurait suffire à jeter la suspicion sur les documents en question.
Quant aux évaluations qui sont opposées à Monsieur C, force est de constater, s’agissant de la première d’entre elles, réalisée en HAUTE-SAVOIE, que rien ne permet de s’assurer qu’elle ait été conduite, conformément aux prescriptions de l’article R 221-11 du code de l’action sociale et des familles et de l’arrêté du 20 novembre 2019 pris en application de ce texte, par des professionnels justifiant d’une formation ou d’une expérience idoines, permettant une approche pluridisciplinaire de la situation de l’intéressé, ni que le rapport d’évaluation, qui du reste n’est signé que par deux correspondantes mineurs isolés et n’apparaît pas avoir été validé par un responsable d’équipe, ait été relu par des professionnels dotés de qualifications et d’expériences différentes.
Par ailleurs, s’étant présenté seul à ce premier entretien, Monsieur C a pu croire en première intention que sa maîtrise relative de la langue française lui serait suffisante pour répondre, sans interprète, aux questions qui lui seraient soumises, et se trouver finalement en légitime difficulté pour faire, dans cette langue, le récit exhaustif de son histoire familiale et de son parcours. Il a d’ailleurs sollicité l’assistance d’un interprète pour sa seconde évaluation dans le département du DOUBS.
Il a été justifié à l’audience de la formation spécifique suivie en novembre 2021 par les personnels ayant conduit cette seconde évaluation qui, elle, a fait l’objet d’une relecture et d’une validation. Cependant, le caractère pluridisciplinaire de cette évaluation n’est pas plus établi que pour la première et son contenu est particulièrement laconique, puisqu’il y est essentiellement relevé que Monsieur C aurait renseigné une identité discordante pour sa mère dans un document de la préfecture du Doubs qui n’est toutefois pas fourni, ne permettant aucune vérification, et qu’il orthographiait son nom différemment lors de son arrivée en HAUTE-SAVOIE.
Les lacunes ainsi mises en évidence des évaluations réalisées viennent relativiser et amoindrir le caractère probant des imprécisions, incohérences et contradictions qu’elles pointent, qui d’ailleurs peuvent aussi s’expliquer par un rapport aux dates et aux événements culturellement différent, par le niveau d’instruction du requérant pouvant lui rendre complexe de se situer dans le temps et d’avoir des repères chronologiques toujours fiables, ainsi que par le caractère par essence traumatique de son parcours migratoire.
Il est notamment fait cas de ce que Monsieur C a communiqué aux évaluateurs une date de naissance différente de celle figurant sur son passeport, mais il n’avait aucun intérêt, en se disant né le 15 mars 2005 devant les évaluateurs, à se vieillir de quelques mois plutôt que de donner la date du 23 octobre 2005, aussi est-ce malaisé d’y voir une manipulation de sa part pour travestir la réalité.
Il y a dès lors lieu de retenir qu’il n’existe pas suffisamment d’éléments permettant de considérer que le passeport régulier obtenu par Monsieur C ne correspond pas à la réalité.
[…]. »
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